De Minos à Byzance
Tout commence avec la légendaire civilisation minoenne, qui, entre mythe et réalité, fascine par sa splendeur, son hospitalité et son pacifisme. Nulle fortifications ici, mais des palais tout entiers dévoués au bien-vivre. Ceux qui sont parvenus jusqu’à nous datent de l’époque dite des Seconds Palais (1700-1350 av. J.-C.) et témoignent d’un faste inégalé. Les palais minoens possèdent de nombreuses caractéristiques communes : une grande cour centrale rectangulaire vers laquelle convergent couloirs et escaliers, des murs intérieurs recouverts d’un enduit à la chaux et souvent ornés de fresques réalisées à base de pigments naturels, des sols recouverts de gypses, de petites pièces éclairées par de larges baies ou de grands puits de lumière et réparties par fonction (religieuse, administrative, sanitaire…) et surtout d’étonnants systèmes de tuyauterie en terre cuite permettant l’adduction et l’évacuation des eaux, alimentant des salles de bains avec baignoires et parfois même toilettes. Le comble du raffinement ! Cnossos est le plus impressionnant des palais minoens avec 1 300 salles, 5 étages et un impressionnant propylée (entrée monumentale soutenue par 4 piliers) s’étendant sur 22 000 m2. Certes, sa « restauration » par l’archéologue Arthur John Evans l’a quelque peu dénaturé avec ses piliers de béton et ses copies de fresques, mais qu’importe, vous ne pourrez qu’être impressionné par ce géant. Autres palais incontournables : Phaistos avec son entrée principale située en haut d’un escalier monumental et son théâtre à 8 gradins, Malia moins ostentatoire mais tout aussi impressionnant (surtout sa table d’offrande percée de 34 petites cavités) et Kato Zakros le plus petit… mais qui compte tout de même 300 pièces, ainsi qu’un étonnant atelier de fonte de métal équipé de conduits d’adduction d’air ! Les Minoens ont également bâti des villes entières, comme en témoigne le site de Gournia avec son dédale de rues dallées zigzagant entre les maisons réparties en quartiers d’habitation. La présence de villes autour des palais laisse penser que la société minoenne était structurée en petites monarchies centralisées vivant en parfaite harmonie.
Une harmonie qui fut mise à mal par l’arrivée des Mycéniens puis des Doriens privilégiant, eux, une architecture massive et défensive. Au cœur du site de Phaistos, il est encore possible de voir les vestiges d’un village mycénien avec notamment un portique, un sanctuaire et un megaron (grande salle rectangulaire à foyer fixe central précédée d’un vestibule). Si l’histoire a prouvé que l’Antiquité gréco-romaine fut une période faste en Crète avec la création de nouvelles cités (les Grecs préférant s’établir sur des sites plus sécurisés vers l’intérieur), ports et routes, force est de constater que les sites archéologiques de l’époque sont relativement modestes. Le site de Driros est le plus représentatif de la période grecque classique avec ses deux acropoles et son agora. Quant à Gortyne, elle est sans doute la ville qui porte le plus d’empreintes de la présence romaine avec théâtre, forum et nymphée.
Les Byzantins, eux, ont principalement laissé leur empreinte en matière religieuse. De façon générale, les édifices byzantins se caractérisent par un plan basilical dit centré ou un plan en croix grecque - avec en Crète une récurrence du plan à nef unique avec contreforts extérieurs -, des coupoles sur pendentifs, un extérieur souvent sobre et austère et un intérieur richement décoré (fresques, mosaïques) et un chœur dont se détachent des absides. Parmi les chefs-d’œuvre byzantins, notons l’église Saint-Nicolas Ormos de la première période byzantine, l’église Agios Titos à Gortyn datant du VIIe siècle, l’étonnante église Agios Fanourios à Kitharida avec ses coupoles multiples et son puissant appareillage de pierre ou bien encore l’église Agios Nikolaos et son impressionnante coupole. En parallèle des églises, les Byzantins ont également bâti des monastères dont celui de Katholiko situé non loin de l’église taillée dans la roche d’une grotte ayant abrité l’ermite Jean, fondateur du monastère.De la Sérénissime à la puissance ottomane
De tous les occupants de la Crète, ce sont sans doute les Vénitiens qui y ont laissé l’empreinte la plus visible. Dirigeant l’île d’une main de fer, les Doges de la Sérénissime en ont contrôlé tous les aspects, l’architecture et l’urbanisme en tête, la ville devant tout à la fois être fonctionnelle et impressionner. Conscients de sa position stratégique, les Vénitiens ont d’abord fortifié l’île. Ne manquez pas la forteresse de Frangokastello avec ses 4 puissantes tours d’angle ou bien encore le château de Gramvoussa avec ses remparts bastionnés. Génies des mers, les Vénitiens ont également doté les cités portuaires de puissants arsenaux reconnaissables à leur alignement de longues et hautes pièces voûtées surplombées de frontons triangulaires. Le complexe de La Canée avec ses 7 voûtes immenses et son môle terminé par un phare n’a rien perdu de sa majesté. Le rapport des Vénitiens à l’eau se lit aussi dans les trésors d’ingénierie développés en matière d’adduction d’eau. Ils construisirent notamment un aqueduc géant permettant d’acheminer l’eau jusqu’au centre d’Héraklion et de faire fonctionner les deux superbes fontaines Bembo et Morosini, cette dernière étant supportée par de puissants lions de pierre, symbole de la Sérénissime. Ces fontaines sont au centre de places, élément majeur de l’urbanisme vénitien, entourées de bâtiments administratifs. La loggia, ce bâtiment ouvert sur l’extérieur par des arcades ou des colonnades accueillant les élites, en est la plus belle représentante, comme en témoignent les loggias de La Canée et Héraklion aux façades richement décorées. Autre bâtiment vénitien clé, le duomo ou église principale, dont la basilique Saint-Marc d’Héraklion est la grande représentante avec son plan à trois nefs et son puissant portique. Des campaniles ou clochers d’églises isolés ont également été ajoutés à de nombreux édifices religieux existants. Les Vénitiens ont aussi apposé leur marque sur les monastères, créant notamment des entrées au vocabulaire gothique puis Renaissance sur des édifices byzantins. C’est le cas notamment dans les monastères d’Arkadi et d’Agia Triada Tsagarolon. Enfin, la présence vénitienne se lit dans les maisons, qu’elles soient citadines ou rurales. Les ruelles étroites de Réthymnon regorgent de demeures de pierre aux imposants portails sculptés surmontés de frontons et menant à des passages voûtés, eux-mêmes menant aux escaliers desservant le piano nobile ou étage noble agrémenté de balcons et fenêtres décorés. Dans les campagnes, les Vénitiens ont d’abord habité de puissantes tours puis des maisons-fortes d’aspect toujours austère mais désormais percées d’ouvertures et de fenêtres avant qu’une paix relative leur permette de se faire construire de superbes villas d’agrément, à l’image de la Villa Clodio à Chromonastiri. Un faste que la puissance ottomane a voulu très rapidement effacer, transformant quasi systématiquement les églises en mosquées, comme à La Canée où le clocher de l’église Saint-Nicolas fut démoli pour être remplacé par un haut minaret ponctué de deux balcons, ou comme avec l’église Saint-Tite devenue la Mosquée du Vizir. Les Ottomans capitalisèrent, eux aussi, sur les fortifications existantes et dotèrent les villes de grandes casernes, à l’image de celles d’Héraklion qui accueillent aujourd’hui la préfecture et le palais de justice. Mais l’empreinte ottomane la plus prégnante est à observer sur les façades des maisons. Nombreuses sont celles à arborer fièrement un sahnisi, ou balcon de bois couvert en encorbellement ajouté au premier étage des maisons vénitiennes… ou l’art de voir sans être vu.
Identité crétoise et perspectives contemporaines
L’identité crétoise s’exprime pleinement dans l’habitat traditionnel rural. Simples, de forme cubique, faites de bois, de pierre et de terre, ces maisons possèdent à l’origine peu d’ouvertures et s’organisent autour d’une pièce unique dont le sol est dallé de grandes pierres. Leur toiture plate est faite de plusieurs couches mêlant poutres de bois entrecroisées, roseaux et argile, une pente étant ménagée dans la structure pour récupérer l’eau de pluie. Puis progressivement leur architecture évolue, le système de planches et de travers de bois est remplacé par une arcade semi-circulaire, puis deux, permettant à la maison de gagner un étage. Leur décoration évolue également. Les murs blanchis à la chaux se parent de couleurs vives, tandis que certains toits se couvrent de tuiles. Le très coloré hameau d’Aspros Potamos avec ses maisons qui semblent s’emboîter les unes dans les autres est un bel exemple de cette identité crétoise. Autres constructions rurales phares : les mitata ou cabanes estivales des régions montagneuses, construites en blocs de pierres sèches suivant un plan cylindrique surmonté d’un toit conique avec un intérieur voûté supporté par des dalles encorbellées et légèrement inclinées vers l’extérieur. Le petit patrimoine des puits et citernes est, lui aussi, indissociable de la Crète, tout comme celui des moulins. Dans l’ouest où les précipitations sont fréquentes, vous pourrez observer des moulins à eau, tandis qu’à l’est, plus venteux, les paysages se couvrent de moulins à vent, comme à Ambellos sur le plateau de Lassithi. Dans les plaines arides, des moulins à vent en métal léger ont également été construits pour pomper l’eau des puits et irriguer les cultures. Aujourd’hui, ces trésors d’ingénierie côtoient de puissantes éoliennes.
Si la Crète n’a pu échapper à la bétonisation d’une partie de son littoral pour répondre à la demande touristique, elle a su malgré tout développer une architecture contemporaine qui oscille avec talent entre préservation et restauration de l’héritage du passé, modernisation des traditions héritées des Vénitiens et des Ottomans et créations aux lignes sobres et épurées. Minimalisme, harmonie avec la nature, recours à des matériaux nobles président à la construction de ces nouvelles demeures crétoises. Parmi les plus beaux exemples, notons la résidence familiale imaginée par l’agence Tense Architecture Network à Héraklion qui fut nommée au prix Mies van der Rohe 2017 pour ses volumes fluides conçus pour suivre la lumière du soleil, la Ring House à Agia Galini imaginée comme un véritable sanctuaire – en effet, les matériaux excavés ont été utilisés pour remodeler le jardin, tandis que des plantes locales ont été semées pour cacher les cicatrices des travaux - et comme un refuge lumineux enroulé autour d’une cour centrale, ou bien encore la Villa San Matteo au sommet du Cap Koutoula avec ses lignes géométriques adoucies par les teintes naturelles de ses matériaux bruts. L’architecture contemporaine crétoise, ou l’art de transformer un paysage aride et accidenté en source infinie d’inspiration !