" Ces îles tiennent à peine entre le ciel et la mer, mais je ne peux me lasser de leur beauté. " (Robert Louis Stevenson.)
De simples bandes de sable s'étirant jusqu'à l'horizon, ponctuées de cocotiers, protégées du grand océan par un récif frangeant d'un côté, et un lagon riche et nourricier de l'autre : tels sont les atolls des Tuamotu.
Et quels lagons ! L'incroyable diversité de leurs couleurs dépasse largement l'image que l'on a de cet archipel au nom si évocateur. Une véritable palette de turquoise, vert menthe, bleu marine, qu'un excellent appareil photo ne pourrait même pas capturer tant elles sont franches et vives. Paradis des plongeurs, source de nourriture et de revenus, les lagons sont la richesse essentielle de l'archipel.
Un chapelet d'atolls
Les Paumotus, natifs de ces îles magiques à peine émergées de l'océan, mènent une vie tranquille et bienheureuse, tournée vers la pêche (toujours miraculeuse) la coprahculture, et la perle noire, joyau des Tuamotu (mais le secteur est en crise depuis quelques années).
Les Tuamotu sont constituées de 78 atolls ou îles basses, de taille et forme variables, étendus sur 1 500 km de long du nord-ouest au sud-est. Le nord de l'archipel se situe à quelque 500 km de Tahiti et comporte les atolls les plus grands et les plus peuplés. Rangiroa constitue le plus vaste d'entre eux, avec 75 km de long, et le deuxième du monde, derrière Kwajelein, en Indonésie. Le plus petit, Nukutepipi, s'étend sur 4 km seulement. Certains sont ronds, comme Tikehau ; d'autres, ovales comme Manihi, ou même rectangulaires, comme Fakarava. Les lagons sont de profondeurs diverses, généralement moins de 70 m, voire complètement comblés ; un seul est soulevé : Makatea.
La structure d'un atoll est simple : une bande de sable discontinue enserrant un lagon et entourée d'une barrière récifale. Dans les Tuamotu, on se sent petit face à l'immensité océanique. Ces petits bouts de terre ferme ne représentent que 600 km² dispersés sur une surface de 600 000 km², soit un peu plus que la taille de la France. Mais ces bandes de sable enferment autant de mers intérieures, protégées de la houle, des lagons fournissant tout ce qu'il faut pour vivre, sur une surface totale de 13 600 km².
Certains atolls possèdent une ou plusieurs passes (ava) - ce qui permet de relier l'océan à l'intérieur du lagon, grâce à une ouverture dans la barrière récifale - et tous possèdent des chenaux (hoa), coupures dans la bande de sable laissant passer l'eau, mais sans ouverture dans la barrière. Les passes, plus ou moins larges, permettent le passage de plus ou moins grosses embarcations, et les atolls qui n'en sont pas, sont de facto difficiles d'accès, comme Anaa.
C'est dans les passes que se concentre la faune faisant la joie des plongeurs du monde entier : requins, napoléons, carangues, murènes, tortues à écailles, raies manta, dauphins, voire baleines. Selon certaines légendes, les baleines rentraient dans le lagon et se laissaient grimper dessus, pour être nettoyées et caressées par les Paumotu.
Les passes faisant communiquer le lagon et l'océan, avec la marée, les courants peuvent être très puissants et présentent un réel danger pour le touriste non informé. Si vous êtes pris dans un courant sortant, inutile de nager jusqu'à l'épuisement. Mieux vaut attendre l'arrêt du courant pour rejoindre la terre ferme, de même pour les plaisanciers, qui devraient attendre l'étale (la stabilisation des courants entrant sortant) pour franchir les passes. On ne compte plus les épaves rouillées jetées sur le récif par la tempête.
Parmi les dangers des Tuamotu, figurent en bonne place les cyclones. Du fait de l'absence de relief, les vagues peuvent submerger complètement ces îles, et l'on voit souvent des vestiges de maisons arrachées par les flots, où subsiste seulement une dalle de béton. Partout, vous verrez affichées les consignes de sécurité, et chaque île comporte au moins un bâtiment en dur servant de refuge (église, école...).
Une histoire originale
On ne connaît pas exactement l'origine du peuplement de l'archipel. Il aurait été colonisé vers l'an mille, depuis les Marquises, mais certains soutiennent que les Paumotus seraient les ancêtres d'insulaires chassés des îles de la Société et des Marquises vers le XVe siècle. Les deux thèses peuvent se révéler exactes.
En tout cas, Magellan fut le premier Européen à faire escale sur ces îles. Il fit relâche à Puka Puka en 1521, lors de son tour du monde.
Plusieurs autres explorateurs et scientifiques, comme Le Maire, Roggeveen, Bougainville ou Darwin, évoluèrent dans l'archipel, mais peu s'y attardèrent : avec ses barrières de corail invisibles et son relief absent, il était très périlleux de s'y aventurer, à une époque où l'on ne connaissait ni moteur ni GPS. Plusieurs appellations ont d'ailleurs précédé Tuamotu, comme : l'archipel dangereux, île sans fond, ou encore île pernicieuse pour Takapoto. La carte complète de l'archipel n'a d'ailleurs été achevée qu'en 1950 ! Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'archipel présenta peu d'intérêt pour les Européens, et fut longtemps délaissé au profit des îles de la Société, jugées plus accueillantes. Les rares traces qui subsistent sont les quelques marae de corail éparpillés sur les îles, et la mémoire collective, riche de contes et de légendes, relativement peu oubliée.
À l'arrivée des Européens, les Tuamotu du Centre et de l'Ouest étaient en proie à des guerres fratricides.
Les féroces guerriers d'Anaa réussirent à imposer leur domination et expulsèrent de nombreux habitants vers Tahiti, où ils furent accueillis par les Pomaré.
Christianisés, les insulaires revinrent ensuite vers les Tuamotu, accompagnés de missionnaires, pratiquant une évangélisation multiforme : catholique, protestante, mormone, sanito, adventiste... Pomaré III mit fin à la guerre en 1821 en annexant les Tuamotu à sa couronne. En 1880, les Tuamotu rentrèrent sous le giron français, avec le reste de la Polynésie.
Ce n'est que vers 1850, que l'économie se développa rapidement, sous de multiples aspects. Les huîtres nacrières furent d'abord exploitées pour la réalisation de boutons, et les équipages chiliens, australiens et américains épuisèrent quasiment les stocks naturels, jusqu'à l'arrivée des boutons en plastique vers 1960.
Encouragée par les missionnaires, la coprahculture prit un essor important dès 1870. De grandes cocoteraies furent plantées, modifiant profondément le paysage. Le coprah représentait en 1900, 40 % des exportations des Etablissements français d'Océanie (EFO). Puis, en 1911, vint l'exploitation des phosphates de Makatea, qui assura la prospérité de l'archipel jusqu'en 1966 (voir " Makatea ").
Projetées dans le monde moderne, les Tuamotu entrèrent de plain-pied en 1964 dans l'ère nucléaire. Des millions furent déversés sur l'archipel pour l'installation du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), avec des installations industrielles sur Hao, Mururoa et Fangataufa, et des essais sur Mururoa et Fangataufa, d'abord aériens puis souterrains. Les années 1960 virent aussi la naissance de la perliculture, première exportation du Territoire. La première ferme fut implantée à Manihi, et de nombreuses autres suivirent, sur tout l'archipel, jusqu'aux Gambier. Les installations sur pilotis parsèment désormais de nombreux atolls, notamment Manihi, Rangiroa, Takapoto, Takaroa, Arutua... Certaines devinrent de véritables usines employant jusqu'à 80 personnes. Assurant la richesse de l'archipel, ce secteur s'est fortement développé dans les années 1980, notamment dans les moyens de communication : le signe extérieur de richesse le plus en vogue n'était pas la taille du 4x4 comme à Tahiti, mais celle du bateau. C'est ainsi que l'on exhibe fièrement ces immenses speed-boats de 300 CV, qui permettent de gagner en un clin d'oeil les atolls voisins...
Toutefois, depuis la crise de la perliculture depuis 2008, le Territoire mise sur d'autres richesses, dont l'hôtellerie et la pêche. Si de nombreux atolls comptent plusieurs pensions de famille, seuls Rangiroa, Manihi, Tikehau et Fakarava disposent d'hôtels de classe internationale. Quant à la pêche, elle est peu valorisée. Les atolls se prêtent parfaitement à la réalisation de parcs à poissons, sorte de viviers construits en bloc de corail, mais ceux-ci sont essentiellement destinés à la consommation locale. Les poissons destinés au marché de Papeete sont livrés frais et à grands frais, par avion.
Un archipel à désenclaver
Aujourd'hui et depuis toujours, le problème principal des atolls demeure l'absence d'eau. Sans rivières, seule l'eau de pluie peut être récoltée, et l'eau courante (non potable) est par conséquent disponible irrégulièrement. L'agriculture en souffre, et s'y ajoutent les sols peu fertiles faits de corail.
Mais on arrive tout de même à extraire de l'eau de la lentille d'eau douce (une sorte de nappe phréatique) située sous les motus. Saumâtre et légèrement salée, elle est impropre à la consommation, mais parfaitement indiquée pour certaines cultures.
Les plantations les plus courantes sont les pastèques, installées dans des trous remplis de terre.
Pour la consommation humaine, on peut utiliser l'eau de pluie pour tous les usages, et l'eau minérale en bouteille pour la boisson. L'eau de pluie est récoltée, puis stockée dans ces énormes bidons noirs de 2 m de haut que l'on voit partout aux Tuamotu.
Côté voies de communication, nombre d'îles possèdent leur aéroport, les plus petites n'ayant généralement qu'une piste pour les coucous d'Air Tahiti, et sont reliées au moins une fois par semaine.
Pour visiter ces îles de façon moins coûteuse, ou bien atteindre celles qui n'ont pas d'aéroport, on peut utiliser les nombreux bateaux de ravitaillement.
Ils effectuent plus ou moins régulièrement des tournées desservant plusieurs atolls à des tarifs futés, mais il faut considérer le mal de mer, l'humidité et la saleté. Pour des vacances, mieux vaut choisir les lignes aériennes, plus régulières et plus fiables.
Les îles ont toutes l'électricité et le téléphone ; l'Internet se développe lentement, justement en raison de sa lenteur.
Bref, l'archipel est encore à désenclaver, l'exode vers Papeete compense à peine la natalité. Il est de plus en plus compensé (récemment) par des habitants de Tahiti venus s'y installer : ce qui paraissait être une folie il y a quelques années ne l'est plus.
Les Tuamotu, espace vierge et sauvage brûlé par le sel et le soleil, attirent aujourd'hui les amateurs de perles noires et les amoureux de la nature.
La population des Tuamotu est très inégalement répartie. Le recensement de 2017 donne un chiffre de 15 346 habitants. Si Rangiroa est peuplée de 3 657 âmes aujourd'hui, les autres atolls comptent souvent moins de 1 000 habitants, voire moins de 300 ! Certains atolls inhabités sont même mis en vente, comptez un minimum de 5 millions d'euros ! De manière générale, plus on s'éloigne vers l'est, moins les atolls sont peuplés.
Ceux situés à l'ouest sont les plus près de Tahiti, et leur population augmente avec le tourisme et la perle. Ceux à l'est demeurent plus sauvages et hors du temps. Hormis Hao et Makemo, les atolls sont desservis par les petits Dornier d'Air Tahiti, voire seulement par les bateaux, parfois après un long périple de quinze îles. Ce circuit dépeuple ces atolls déjà en perte de population, car s'il suffit d'un voyage pour rejoindre Papeete, il faudra compter quinze escales et plusieurs semaines de bateau pour revenir à son atoll d'origine.
Plus à l'est encore, c'est secret défense nationale. Mururoa et Fangataufa reposent toujours sous la surveillance de l'armée française. Les rumeurs qui circulent sur la toxicité radioactive sont courantes dans les atolls environnants. Mais tous les tests publics et privés n'ont encore rien prouvé... Il n'empêche qu'il faut une autorisation pour se rendre dans certains atolls.
Plus à l'est encore, les îles Gambier et leurs quelque 1 535 habitants.
Le coprah
Les Polynésiens ont répandu dans toutes les îles qu'ils ont peuplées le cocotier, dont les noix se conservent longtemps. Les Tuamotu n'étaient que des bancs de sable arides où une végétation chétive survivait jusqu'à leur arrivée.
Les Polynésiens ont depuis toujours amené leurs cocotiers dans les endroits qu'ils colonisaient, et le font encore : il suffit, lors d'une balade en pirogue sur le lagon, de ramasser quelques noix de coco germées et de les déposer un peu plus loin sur un banc de sable, pour retrouver quelques années plus tard un cocotier adulte, penchant lascivement au-dessus du lagon.
Au milieu du XIXe siècle, et avec l'avènement du dieu argent, son exploitation économique commença et les cocoteraies géantes transformèrent le paysage des Tuamotu. L'exportation de l'huile de coco connut un essor important dans les années 1860, mais c'est le coprah (le mot vient du tamoul koppara), la noix débarrassée de sa coque et dont l'amande est séchée, qui provoqua une véritable révolution agricole et entraîna au XIXe siècle le développement de la cocoteraie.
La coprahculture est un travail simple mais épuisant. Il faut d'abord aller chercher les noix dans la cocoteraie, souvent éloignée du village, ou sur les motus. D'un coup de coupe-coupe, le coprahculteur sépare la coco en deux demi-noix, et les met à sécher au soleil quelques jours. L'amande sèche commence à se rétracter.
Il devient facile d'évider la noix, d'un petit coup de machette. Les morceaux d'amandes sont ensuite posés dans les séchoirs à coprah, et recouverts d'un toit de tôle concentrant la chaleur et protégeant de la pluie. On reconnaît facilement ces séchoirs à la forte odeur rance qu'ils dégagent.
Une fois les morceaux complètement déshydratés, ils sont emballés et livrés au port, où le coprahculteur est rémunéré directement. Une très bonne plantation pourra fournir jusqu'à 4 tonnes de coprah à l'hectare, et selon les îles, le kilo est payé 140 à 145 CFP en janvier 2018.
Les goélettes envoient le coprah à l'huilerie de Tahiti, où il est broyé, chauffé, malaxé, pressé et raffiné pour donner de l'huile, riche en matières grasses végétales.
De couleur variant du blanc au jaune plus ou moins foncé, elle est de bonne qualité si son odeur et sa saveur sont faibles.
L'huile est ensuite vendue à des industries alimentaires et cosmétiques, comme celle de la fabrication du monoï. Le coprah est un secteur d'emplois important pour les Tuamotu, et il est fortement concurrencé par les pays producteurs à faible coût de main-d'oeuvre, c'est-à-dire la plupart des pays où l'on produit du coprah. Pour maintenir l'emploi et ainsi limiter l'exode des Paumotu, le Territoire maintient les prix d'achat du coprah au-dessus des cours mondiaux.
Aujourd'hui, la production de coprah des Tuamotu représente environ les trois quarts des récoltes de Polynésie française.
Le tourisme
C'est le secteur le plus récent et connait un fort développement. Les Tuamotu sont accessibles, à portée de main de Tahiti, Bora Bora ou Raiatea, et offrent un dépaysement complet par rapport aux îles hautes. Les plages s'étalent sur des centaines voire des kilomètres de long, et il n'y a souvent pas un chat. Aussi les touristes affluent-ils, d'autant plus que presque toutes les îles disposent de pensions, à la recherche d'un trésor unique le plus souvent : les fonds sous-marins mirifiques qui font de la plongée l'activité phare sur place (notamment à Rangiroa, Fakarava ou Tikehau).
Les atolls les plus proches de Tahiti sont les plus touristiques et les Tuamotu se sont équipées aujourd'hui de plusieurs hôtels de luxe avec bungalows sur pilotis. La plupart d'entre eux se situent dans les atolls les plus fréquentés - Rangiroa et Tikehau notamment -, qui sont reliés presque une fois par jour par Air Tahiti. D'autres atolls proches de ces derniers, plus petits, profitent de l'engouement en proposant une ambiance encore plus tranquille, avec des pensions de famille seulement : Mataiva, Ahe, Kaukura, Anaa, Takaroa et Takapoto... C'est aussi le cas à Fakarava d'ailleurs, qui malgré sa taille et sa renommée, a préféré l'hébergement familial aux grandes structures. Plus on s'éloigne vers l'est, plus les atolls sont perdus, aux confins du monde et aux portes de l'imaginaire.
La perle
Poe Rava, la perle noire, est l'une des premières ressources de l'archipel. Depuis l'ouverture dans les années 1960 de la première unité de production à Manihi, le paysage des Tuamotu a bien changé. Plusieurs atolls sont aujourd'hui parsemés de maisonnettes sur pilotis, qui donnent parfois aux atolls un air de cité lacustre. L'économie de l'archipel a été entièrement renouvelée, et les Tuamotu, qui passaient pour un parent pauvre du reste de la Polynésie, se sont bien enrichies jusqu'au milieu des années 2000. Depuis, c'est la coprahculture qui a pris le dessus.
Les parcs à poissons
Une invention pratique des premiers Paumotus. Forme primitive de l'aquaculture, les parcs à poissons sont des pièges dans lesquels les poissons s'engouffrent et ne peuvent plus ressortir. Autrefois fabriqués avec des blocs de corail, ils étaient implantés selon une savante étude des courants et des habitudes de passage des poissons. Le fonctionnement est simple : un passage en V forme une sorte d'entonnoir qui mène à un bassin, puis à un autre, dans des eaux peu profondes. Les poissons qui rentrent dans ce labyrinthe ne retrouvent plus la sortie, et l'on dispose d'un vivier dans lequel on peut puiser à loisir. Les différents couloirs sont maintenant constitués avec des grillages, mais le principe n'a pas changé. On repère facilement les piquets en bois disposés en forme de V à l'entrée des passes. Leur implantation en fonction des courants est un art que les Paumotu maîtrisent toujours aussi bien.