Nature et poésie
Miami est une ville assez récente au regard de nos critères occidentaux, mais que dire de Key West qui ne fut véritablement rattachée au continent que lorsque la Overseas Higway fut achevée, en 1938 seulement. Son caractère insulaire – qui ne peut que persister au vu du nombre de ponts à franchir pour la rejoindre – et la grande réputation de tolérance qui auréole ses autochtones, séduisent toujours les intellectuels. La voie fut ouverte par Ernest Hemingway (1899-1961) qui découvrit les lieux grâce à son mariage et se vit offrir sa célèbre maison par un oncle de son épouse. Il est dit que l’écrivain y acheva la plupart de ses grands romans, dont En avoir ou pas qui croque d’ailleurs les habitants de Key West, mais aussi Pour qui sonne le glas, L’Adieu aux armes… Désormais, la magnifique demeure coloniale constitue une visite incontournable, surtout qu’il est toujours possible d’y rencontrer les descendants des chats de l’écrivain, qui se reconnaissent facilement à leur particularité physique : un nombre de « doigts » supérieur à la normale. Entre initiés, ces félins polydactyles sont d’ailleurs appelés « chats Hemingway ».
Hemingway obtiendra le Prix Nobel de Littérature en 1954, une petite quinzaine d’années après qu’il eut déserté Key West suite à son divorce, il n’y croisa donc jamais Tennessee Williams (1911-1983) qui commença à prendre ses quartiers sur la péninsule à l’aube des années 40, bien que leur rencontre ait eu lieu plus tard, dans la nouvelle maison d’Hemingway à Cuba. Le romancier et le dramaturge ont tout de même un point commun : celui d’avoir été interviewés par la plus célèbre journaliste de Miami, Helen Muir, qui aimait tant sa ville d’adoption qu’elle lui consacra en 1953 un livre qui est toujours un classique, Miami, U.S.A. Tennessee Williams demeura fidèle à la péninsule jusqu’à sa mort mais son modeste bungalow ne se visite pas. On peut par contre se prêter à rêver, en arpentant la rue Duval, en se disant que c’est ici, dans un simple hôtel lors de ses premières visites, qu’il esquissa l’intrigue d’Un Tramway nommé désir qui lui valut le Pulitzer en 1948, une distinction qu’il partage avec Donald Rodney Justice (1925-2004) qui le remporta (dans la catégorie poésie) en 1980. Bien qu’il ait fait paraître 13 recueils, tous remarqués, il ne semble pas avoir été traduit dans notre langue.
Si Hemingway fut le patriarche de Key West, Marjorie Stoneman Douglas fut sans conteste la matriarche des Everglades, ce parc national qui entoure Miami comme le plus beau des écrins. Née en 1890 à Minneapolis, elle arrive à 25 ans dans ce qui n’est alors qu’une bourgade de quelques milliers d’âmes. Après un mariage désastreux, elle y rejoint son père qui dirige le journal appelé à devenir le Miami Herald. D’articles en combats – la jeune femme ne manque ni de témérité, ni de franc-parler – elle est amenée au début des années 40 à s’intéresser aux Everglades, cette zone marécageuse dont son père avait déjà dénoncé la volonté politique de l’assécher. Avec le livre qu’elle rédige – The Everglades : River of Grass – elle offre au parc national son surnom, et grave le sien dans le marbre. En effet, jusqu’à sa mort survenue en 1998 – à l’âge honorable de 108 ans ! – Marjorie Stoneman Douglas continuera de s’engager pour la protection de la nature, et pour la cause des femmes. Le journaliste Michael Grünwald, né en 1970, reprendra le flambeau écologique en signant un autre ouvrage tout aussi important : The Swamp : The Everglades, Florida, ans the Politics of Paradise. Cependant, le parc naturel inspire également les romanciers, à l’instar de Karen Russell dont Swamplandia se découvre en français chez Albin Michel, mais aussi les bédéistes, tels que Steve Gerber (1947-2008) qui fit évoluer dans les marais son monstre The Man-Thing dont les aventures furent publiées par Marvel Comics puis portées à l’écran en 2005.
Ville et polars
À en croire bon nombre d’auteurs – qui le plus souvent sont d’ailleurs nés dans un autre état américain – pas besoin d’aller jusque dans le marais pour débusquer des monstres : Miami en est truffé. Le premier à lancer cette vague du roman noir est peut-être John D. MacDonald (1916-1986). Il fut, en tous les cas, extrêmement prolixe puisque ce ne sont pas moins de 21 volumes qu’il consacra à son détective privé, Travis McGee, entre 1964 et 1984 ! Gallimard en assura la traduction dans la mythique Série Noire et certains titres, tels que La Mariée est trop morte, sont toujours disponibles. Les afficionados de MacDonald pourront aussi se tourner vers le reste de sa production (Une Valda pour Cendrillon, Strip-tilt, Dans les plumes…) bien que celle-ci explore d’autres horizons. Quant à lui, c’est un policier que choisit de mettre en scène Charles Willeford mais il ne put donner une cinquième aventure à Joke Moseley puisqu’il fut fauché par la mort en 1988, à 69 ans, avant d’avoir pu la terminer. Il n’est tout de même pas trop tard pour découvrir au moins le premier opus toujours publié par Rivages-Noir : Miami Blues. Pour sa part, Elmore Leonard, né en 1925 à La Nouvelle-Orléans et décédé à Détroit en 2013, n’était pas un auteur de séries, il n’en possédait pas moins une imagination débordante affutée par les faits divers qui ne cessent d’endeuiller l’Amérique. Stick (devenu Le Justicier de Miami au cinéma sous l’œil de Burt Reynolds) est le plus connu de ses romans miaméens, mais il est possible aussi de retrouver la ville dans Maximum Bob, Pronto, Beyrouth-Miami…
Les générations nées après la guerre poursuivent allègrement dans la veine du roman noir, mais n’hésitent pas à lui ajouter une touche politique, voire une once d’impertinence. Ainsi, Les Standiford, qui vit le jour en 1945 en Ohio et débuta sa carrière avec un polar écologique (Pandemonium), dénonce les liens entre politiciens et mafia à Miami dans une série qui prit comme héros un entrepreneur du bâtiment (Johnny Deal, Johnny Deal dans la tourmente, Une Rose pour Johnny Deal, chez Rivages). Avec Miami Purity (Rivages également), Vicki Hendricks s’attarde aussi sur la face sombre de la ville, non sans humour puisqu’elle imagine une noctambule qui tue son amant à coup de radiocassette et décide de se faire oublier en se faisant embaucher dans un pressing. Humour toujours chez trois incontournables écrivains contemporains – Dave Barry (Gros problème, Pocket), Carl Hiaasen (Queue de poisson, Presse People, Mauvais coucheur, 10-18) et Tim Dorsey (Torpedo Juice, Florida roadkill, Rivages) – qui rivalisent d’imagination pour secouer leurs lecteurs, de peur ou de rire.