Découvrez le SAINT-PÉTERSBOURG (САНКТ-ПЕТЕРБУРГ) : La fondation de Saint-Pétersbourg

Quand on parcourt les rues de cette grande métropole moderne et vibrante, il est difficile d’imaginer que 300 ans auparavant, il n’y avait rien ici, absolument rien d’autre que des marécages insalubres battus par les vents glacés de la mer Baltique… Habitée par plus de 5 millions d’âmes et s’étendant sur quelque 650 km² et 42 îles, elle est riche d’une histoire dense et agitée, mais rend près d’un siècle à sa cadette New York. Si le centre culturel de la Russie compte une centaine de théâtres, dont certains sont mondialement célèbres, à l’image du théâtre d’opéra et de ballet Mariinsky, et si la ville possède près de 200 musées, dont les très prestigieux Ermitage et Musée russe, rien ne prédisposait la naissance d’une telle implantation humaine en des lieux si inhospitaliers. Tout est arrivé par la seule volonté d’un souverain visionnaire qui voulut profondément métamorphoser son pays.

Pierre le Grand, géant visionnaire

Porter un tel projet ne pouvait être que le fruit de la pensée et du rêve d’un homme hors norme. Extraordinaire, Pierre le Grand l’est au-delà de ce que l’on peut concevoir. Un souverain bien réel, mais qui semble sorti d’une fiction épique. Un personnage légendaire qui a fait l’histoire. Nommé tsar à l’âge de 10 ans, il n’entre réellement en fonction qu’à partir de 1694, âgé alors de 22 ans. Géant légendaire de la Russie qui mesure 2,04 m, porté par une volonté et une robustesse capable de tout renverser sur son passage, il semble avoir adapté ses ambitions à sa taille et aux dimensions de son pays, qu’il a rendu le plus puissant d’Europe.

L’académicien Henri Troyat, né en Russie et réfugié en France après la révolution de 1917, dit de lui dans sa biographie de référence (Pierre le Grand, Flammarion, 1979) : « […] il s’est abattu sur son pays comme une tornade. Avec une énergie et une férocité incroyables […] Il y a en Pierre le Grand un mélange de génie et de folie, de bouffonnerie et d’orgueil. »

Il est un visionnaire qui vit et fait tout de manière excessive : il aime festoyer et boire des jours et des nuits durant, il se fait enrôler dans son armée et part combattre en seconde classe, il apprend 14 métiers manuels, écarte la vieille noblesse et l’omniprésente Église orthodoxe pour réveiller le pays de sa torpeur médiévale.

Ayant fréquenté dans sa jeunesse moscovite des fils de l’aristocratie allemande, néerlandaise ou britannique, il en tire une fascination pour l’ingénierie et l’intime conviction que son pays accuse un grand retard, qu’il n’a pas connu le renouveau apporté par la Renaissance et qu’il doit s’ouvrir sur l’Europe occidentale, réformer en profondeur son administration et devenir une puissance navale de premier plan. Toutes ces aspirations se verront incarner par un projet que jamais personne n’avait osé imaginer : créer une nouvelle capitale moderne, symbole du renouveau de la Russie, sur une immense étendue de marécages de la mer Baltique.

Faire changer d’ère la Russie

Partisan convaincu de l’expérimentation, et bien que déjà tsar, il voyage près d’un an et demi dans les pays d’Europe de l’Ouest, la plupart du temps incognito (sous le nom de Pierre Mikhaïlov), afin d’y apprendre et d’y acquérir les savoir-faire qu’ils estiment nécessaires à la réalisation des grands projets qu’il a pour son pays : artillerie, construction navale (il n’hésite pas à travailler comme simple ouvrier auprès de la compagnie néerlandaise des Indes orientales), arts et architecture, mœurs des cours occidentales… Il en profite pour enrôler et amener en Russie les experts capables d’accélérer son grand bond en avant vers la modernité et l’excellence.

Ce despote éclairé aux idées très modernistes est capable de nommer préfet de police un moussaillon, de se marier en deuxièmes noces avec une ancienne blanchisseuse et de faire son plus fidèle serviteur de Menchikov qui, avant de devenir prince de l’Empire de Russie, aurait été vendeur ambulant de pâtés.

C’est lui qui réforme profondément l’administration et la société en l’occidentalisant. Il applique un impôt sur la barbe (que les nobles russes portaient bien fleurie) afin de moderniser leur apparence et aligne le calendrier russe sur le calendrier romain, ce qui scandalise l’Église orthodoxe.

À la suite d’une victoire militaire et maritime sur les Suédois, il fonde Saint-Pétersbourg en 1703. Ce sera l’œuvre de sa vie et qui modifiera pour les siècles à venir le destin de la Russie. Une œuvre qu’il parachève en faisant de cette ville la capitale, au détriment de Moscou. Il gouverne tout au long de son règne, avec fermeté et esprit de réforme. Les historiens s’accordent pour voir en lui l’un des souverains européens les plus marquants de notre ère.

Conquérir la mer

Faire de la Russie un empire ouvert sur la mer est l’obsession et le fil conducteur du règne de Pierre le Grand. Se défendre contre les envahisseurs turcs au sud et suédois dans la Baltique est une autre constante de son règne, qui va lui permettre d’atteindre les objectifs qu’il s’est assignés. À peine arrivé au pouvoir en 1694, il doit faire face à la guerre russo-turque qui fait rage depuis 8 ans déjà. Par une habile manœuvre, il attaque les Tatars de Crimée, qui sont depuis plusieurs siècles les indéfectibles alliés des Turcs dans la région ; cela crée une diversion et un éparpillement des troupes ottomanes qui sont vaincues à Azov, grâce notamment à l’apport d’une flottille de plus de 1 000 embarcations construites à la hâte à l’initiative du tsar. C’est l’acte de naissance de la Marine impériale russe et cela permet à la Russie de contrôler la mer d’Azov qui débouche sur la mer Noire. Le traité de Constantinople (1700) met fin à la guerre et reconnaît le couloir russe vers la mer Noire. Le sud sécurisé, c’est vers le nord que Pierre le Grand regarde et projette ses grandes ambitions.

Construire une puissance maritime moderne nécessite d’obtenir un morceau de Baltique. Or, les Suédois avaient pris possession des côtes russes sur cette mer depuis 50 ans. Afin de laver cet affront et construire cet espace maritime ouvert sur l’Europe, Pierre le Grand passera tout son mandat à se battre contre la Suède, c’est la Grande Guerre du Nord qui dura de 1700 à 1721 et à la fin de laquelle il réussit à reprendre possession des territoires russes sur la Baltique, mais aussi de prendre au rival suédois la région de la Carélie, l’Estonie et la Lettonie.

La ville de Pierre, porte du paradis maritime

Suite aux premières batailles remportées et afin de protéger les territoires (re) conquis, Pierre le Grand se met à la recherche d’un lieu stratégique pour ériger ce qui deviendra la forteresse Pierre-et-Paul. Il jette son dévolu sur l’île Enisaari, aussitôt rebaptisée île Zayatchi (île aux Lièvres), à l’embouchure de la Neva, face au golfe de Finlande.

Contrairement à une idée reçue, la ville de Saint-Pétersbourg n’est pas nommée d’après le tsar Pierre le Grand, mais d’après l’apôtre fondateur de l’église chrétienne. Cela fait longtemps que le tsar a choisi le nom de ce nouveau port qui, à l’image du gardien de la clef du paradis, doit ouvrir à la clef ouvrant la voie à la mer et à l’Europe. Il a désormais trouvé l’endroit où sa vision se réaliserait. La première pierre de l’édifice militaire qu’est la forteresse Pierre-et-Paul est posée le 16 mai 1703, date anniversaire de la naissance de la ville. Quelques jours plus tard, non loin du chantier, on construira la première habitation de la ville de Saint-Pétersbourg : la résidence du tsar, c’est-à-dire, une simple cabane en bois.

Contre vents et marées

De nombreux visiteurs étrangers, diplomates ou commerçants restent sans voix, lorsqu’ils apprennent que le « tsar de toutes les Russies » vit aussi modestement. C’est que Pierre le Grand a fort à faire : il lui faut construire une forteresse en toute urgence (la guerre pour les territoires du Nord se poursuit) et surveiller, de plus près, tous les travaux. L’édification de la forteresse, dans une zone marécageuse, balayée par les vents de la Baltique, et difficile à ravitailler, coûte la vie à des milliers de soldats et de paysans, enrôlés de force dans cette aventure. « La parole du tzar est créatrice, disent-ils. Oui : elle anime les pierres, mais c’est en tuant les hommes », écrira le marquis de Custine (La Russie en 1839). Une des plus grandes bizarreries de la ville est que la forteresse ne prit jamais part à un quelconque combat !

Les nouveaux habitants de ce lieu inhabitable se font surprendre, en août 1703, par un des fléaux de la future ville : une gigantesque inondation. La stratégie militaire exige pourtant que les Russes s’installent durablement à cet endroit. Ce qu’ils font, alors que la situation les pousse à fuir. Les premières années, cette installation contrainte se résume à un petit bourg concentré autour de la forteresse, mais en 1712 il avait suffisamment grossi et la petite ville qu’il était devenu est déclarée capitale de l’Empire.

Sur l’autre rive du fleuve, Pierre érige le complexe de l’amirauté, vaste chantier naval reflétant la passion du tsar, très peu russe, pour la marine. Les vaisseaux qui en sortent contribuent largement à la victoire russe dans la guerre du Nord. Si la perspective Nevski est nommée en l’honneur du héros national, le Prince Alexandre, qui bouta les envahisseurs suédois hors de Russie à la bataille de la Neva en 1240 (déjà !), ce qui lui valut le surnom d’Alexandre Nevski (Alexandre de la Neva), de nombreux noms de rue font écho à l’industrie navale, la première de Saint-Pétersbourg : la perspective Liteïny rend hommage à la fonderie, le quartier de Smolny au goudron…

Bien que rompu à un mode de vie spartiate, le tsar ne s’en fait pas moins construire un palais d’été sur les bords de la Neva et, plus tard, un palais d’hiver. Comme il n’y a pas encore de pont, les habitants circulent d’une île à l’autre en barque, ce qui donne à la ville son surnom de Venise du Nord. Pierre le Grand dote peu à peu Saint-Pétersbourg de tous les attributs d’une ville européenne : palais donc, mais aussi ministères de style occidental, musées, université, hôpitaux, bibliothèques…

Capitale du nouvel empire

Le centre historique, situé entre la forteresse et la cabane de Pierre, est rapidement agrémenté d’une église, l’église de la Sainte-Trinité où le tsar aime aller chanter en revenant du chantier et où sont célébrées toutes les cérémonies majeures de l’Empire. La place, dont il ne reste aujourd’hui plus rien, est alors entourée de galeries marchandes, de tavernes et d’auberges. Les événements importants prennent place soit dans les jardins d’été, soit dans le somptueux palais du prince Menchikov, sur l’île Vassilievski. Il reste, hélas, peu d’exemples architecturaux des premières décades du XVIIIe siècle. Outre le palais Menchikov, les Douze Collèges et la maison Kikine voisins restent parmi les témoins de l’allure de la ville de cette époque de fondation. Mais la Russie a définitivement changé de visage.

Comme signe de l’occidentalisation de son pays, Pierre le Grand impose aux boyards (les aristocrates russes) de couper leur barbe et de porter des vêtements européens. Bousculés et écartés des décisions, les boyards moscovites considèrent d’ailleurs Pierre Ier comme l’hypostase de l’Antéchrist ! Comment, en effet, expliquer autrement qu’il ait transféré la capitale à Saint-Pétersbourg, qu’il ordonne aux hommes de rang de raser leur barbe et de porter de fantaisistes vêtements européens, qu’il fasse appel à des étrangers pour bâtir sa ville et son armée et qu’il fasse de roturiers ses favoris, qu’il répudie sa première femme et se remarie avec une ancienne paysanne catholique qui fut la maîtresse de son ami Menchikov, lui donna 7 enfants et devint impératrice ? Sur son ordre, on interrompt tous les travaux de construction en pierre sur l’immense territoire de la Russie, et l’on va même jusqu’à démonter les fondations des églises, afin de bâtir la ville de l’Antéchrist…

Rien ne sera plus comme avant

Sous son règne, les boyards disparaîtront du corps de l’État, remplacés par des fonctionnaires. Devenu empereur de toutes les Russies suite à sa victoire définitive contre la Suède, Pierre Ier demeure le symbole du tsar qui a cherché dans le modèle occidental l’inspiration pour faire avancer la Russie de gré ou de force, dans le but d’en faire la première puissance européenne. Il y impulse donc une direction nouvelle, celle de l’Ouest, ce qui marque toute la suite de l’histoire du pays, car les dirigeants qui lui succèdent vont prolonger sa politique. Et Saint-Pétersbourg continuera de se développer.

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