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Les origines royales du cercueil fantaisie

Si l'on considère parfois que Kane Kwei est l'inventeur des cercueils-fantaisie dans les années 1950, des études menées récemment par des ethnologues européens tendent à montrer qu'il serait plutôt celui qui aurait popularisé cet art. Il semblerait que la fabrication de ces cercueils soit en effet directement inspirée de celle des palanquins, ces fameuses chaises portées à bras d'homme utilisée par les rois Ga (ethnie présente dans la région du Grand Accra) lors des cérémonies et festivals importants, et plus précisément des palanquins figuratifs. Ces palanquins figuratifs étaient ornés d'attributs représentant le totem de clans spécifiques. En effet, pour se distinguer de leurs voisins Akan qui n'utilisaient que des palanquins en forme de bateau ou de chaise, les Ga commencèrent au début du siècle passé à construire des palanquins de toutes sortes : en forme de lion ou d’éléphant (comme celui du roi d'Accra, le Ga mantse, en 1925) mais aussi de plantes ou d'objets. Les éléments choisis sont toujours associés à l'histoire du clan. En plus d'être une marque de distinction clanique, le palanquin figuratif, par ses symboles totémiques et ses insignes royaux, assure la protection par les esprits et ancêtres d'une part, mais il confère aussi au chef les pouvoirs magiques associés au totem.

Si ces palanquins figuratifs sont toujours utilisés de nos jours, ils sont très rarement montrés au public, à l'inverse des cercueils-fantaisie. Ce sont généralement les mêmes artisans qui sculptent palanquins et cercueils. D'ailleurs, les deux objets sont intimement liés. Il semblerait en effet que les premiers cercueils figuratifs aient vu le jour afin d'accompagner les chefs dans leur dernier voyage. Dans la tradition Ga, l'initiation, le règne et les funérailles d'un chef doivent se compléter. Le palanquin portant les insignes claniques ne peut toutefois pas être enterré avec celui qu'il porta. S'est alors imposé, dans les années 1930, l'idée d'un substitut : un cercueil figuratif qui ressemblerait au palanquin. Une copie destinée à être sacrifiée et enterrée. Les chefs étant inhumés secrètement, souvent au milieu de la nuit, personne dans l'assistance n'était apriori en mesure de faire le distinguo entre le palanquin original et son substitut. C'est donc ainsi que serait nés les premier cercueils figuratifs.

Passer dans l'au-delà avec panache

Au Ghana, la cérémonie des funérailles compte parmi les moments fondamentaux de la vie d'un homme, si l'on peut s'exprimer ainsi. En effet, un enterrement est une importante réunion sociale qui prend généralement la forme d'une grande fête. Pour l'occasion, la famille du défunt dépense généralement des sommes astronomiques, parfois même plus que pour un mariage, n'hésitant pas à s'endetter pour faire des obsèques un moment inoubliable. Le faste de la cérémonie est un indicateur du statut social de la famille du mort, mais c'est aussi une occasion de mettre sa générosité à l'épreuve de la communauté. Aussi, au Ghana, lorsqu'on est invité à des funérailles, on n'hésite pas à faire de très longs trajets. La mort est célébrée dans la joie, et la fête dure souvent plusieurs jours !

Pour ce qui est de l'aspect mystique, les croyances divergent selon les ethnies. Chez les Ga, on considère que la mort physique ne marque pas la fin de la vie d'une personne, mais plutôt un passage vers l'au-delà, où la vie continue sous une autre forme. Par ailleurs, on prête aux morts et aux ancêtres un pouvoir bien supérieurs à celui que l'on accorde aux vivants. Leur action peut en effet avoir un impact réel, une influence concrète sur la cours de l'existence des vivants auxquels ils sont liés. Raison pour laquelle les familles de défunt font tout leur possible pour s'attirer les sympathies du disparu.

Les caractères social et métaphysique de la mort se croisent dans la pratique de l'élaboration des cercueils-fantaisie. Les premiers cercueils de ce type et qui n'aient pas de lien avec la chefferie clanique (c'est à dire dépourvus de symboles totémiques) aurait été taillés par Ataa Oko (1919-2012) vers 1945, suivi de près par Kane Kwei au début des années 1950. Ce dernier a en effet construit pour sa grand-mère un cercueil en forme d'avion. La raison ? D'une part parce que son aïeule avait toujours rêvé de voir du pays sans pouvoir le faire, mais aussi pour la force symbolique du véhicule : l'avion, qui emmène son passager dans l'au-delà. L'histoire raconte que quelques temps plus tard, un pêcheur serait venu voir Kane Kwei pour lui demander de fabriquer un cercueil en forme de bateau pour sa mère récemment trépassée. Et c'est ainsi que naquit la tradition ghanéenne du cercueil personnalisé.

Un cercueil pour tous

Libéré de sa symbolique royale, le cercueil figuratif devient accessible à tous, tout du moins à ceux qui peuvent se le payer (une pièce assez sophistiquée valant plusieurs milliers d'euros et requérant plusieurs semaines de travail). Si sur les sarcophages destinés aux personnes jouissant d'un statut social élevé, les symboles royaux ou sacerdotaux dotés de fonction magique ou spirituelle sont au rendez-vous, ils ne sont pas autorisés pour le reste de la population. Aussi, les premiers faiseurs de cercueils-fantaisie Ataa Oko et Kane Kwei ont débarrassé leurs créations profanes de symboles forts comme le lion, le coq ou le crabe (totems de clans) et de significations profondes au profit d'éléments plus prosaïques, d'objets liés à la vie quotidienne. Ainsi, à l'image du cercueil avion ou du cercueil bateau, les commandes les plus farfelues ont commencé à succéder dès les années 1950-1960 dans les ateliers de ces pompes funèbres fantaisie. En général, le cercueil prend la forme d'un objet symbolisant le métier, l'occupation qui a été celle du défunt au cours de sa vie. Mais il peut également refléter ses goûts, ses aspirations, ses passions. Ainsi, le cordonnier sera enterré dans une chaussure géante, le musicien dans le coffre d'un piano, le mécanicien dans une clé de 12 gigantesque, le chauffeur dans une voiture... Bref, tout est possible : le cercueil téléphone ou revolver, en forme de bouteille ou d'appareil photo... Les animaux aussi sont à nouveau réclamés, et avec beaucoup de couleurs ! A noter que les formes évoquant des proverbes sont également très appréciés (d'où l'expression abebuu adeka : « cercueils proverbiaux »), tout comme les moyens de transport et les chaussures, pour leur forte charge symbolique liée à la notion de voyage. Le dernier !