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Aux origines

Tout commence à Okolište qui abrite l’un des plus grands tells néolithiques des Balkans, un tell désignant une colline formée par une continuelle alternance de destructions et de reconstructions de villages… et ceux d’Okoliste pouvaient atteindre 3 000 habitants ! La Bosnie-Herzégovine abrite également des traces de la présence des Illyriens, qui édifiaient leurs villes sur des éperons rocheux qu’ils entouraient de puissants murs fortifiés. À Ošanići, le site archéologique de Daorson nous présente, lui, les vestiges d’une ville hellénistique. Un fort y surplombe une acropole et une zone résidentielle et commerçante. Un mur de pierre constitué de deux tours entourait l’ensemble du site. Mais ce sont surtout les Romains qui ont laissé leur empreinte. Leurs structures étaient avant tout militaires, comme l’atteste le site de Gračine, avec ses vestiges de bâtiments rectangulaires protégés par un rempart de pierres. Le plus impressionnant de tous les sites romains est celui du site archéologique de Morgojelo, à Čapljina. Il s’agit là d’un fascinant exemple de villa suburbaine fortifiée. La villa rustica s’est ensuite agrandie pour devenir un latifundium, grand domaine agricole exploité de façon extensive. La villa principale se compose de quatre ailes fortifiées délimitant une cour desservant entrepôts et ateliers. Murs massifs et tours, composés d’un mélange de couches de roches calcaires et couches de pierres mêlées de briques, s’y font les gardiens d’un riche décor de mosaïques et de faux marbre. Le site de Morgojelo s’est ensuite transformé en village à l’époque byzantine, dont subsistent deux basiliques à nef disposées de façon parallèle et représentant un bel exemple d’églises doubles, comme on en trouve beaucoup sur la côte dalmate. La basilique paléochrétienne de Gradac est également immanquable pour l’originalité de son plan qui représente l’un des premiers exemples d’ajout d’une chapelle à abside au plan basilical initial.

Puissance médiévale

La Bosnie-Herzégovine est célèbre pour sa multitude de forteresses (plus de trois cents !). Ces complexes systèmes défensifs réalisés dans un impressionnant appareillage de pierres de taille ont souvent été érigés sur les fondations de forts préhistoriques et illyriens. Leurs formes variées s’expliquent par le fait que chaque forteresse s’adapte à la topographie unique des collines ou éperons rocheux. Le polygone irrégulier de la forteresse de Blagaj en est un parfait exemple. D’un point de vue stylistique, on retrouve dans ces forteresses des influences romanes, notamment dans la sobriété des tours de plan carré, mais aussi gothiques (jeux sur les arcatures, motifs en lancette). Ces forteresses protègent d’étonnants noyaux urbains qui croissent en même temps que leurs remparts s’agrandissent, s’étageant ainsi sur plusieurs niveaux. À l’abri de ses remparts jalonnés de portes fortifiées, la ville de Jajce déploie un urbanisme typiquement médiéval. La citadelle y surplombe une zone résidentielle faite de maisons originellement en bois formant une sorte d’amphithéâtre et dont les espaces sont desservis par un dédale de ruelles et passages voûtés reliant la place centrale. L’église et sa tour-clocher Saint-Luc y sont des immanquables. Les cimetières de tombes médiévales stećci sont, eux, les superbes représentants d’une architecture médiévale religieuse. Organisées en rangées, ces tombes sont taillées et sculptées dans le calcaire et impressionnent par leur diversité de formes (dalles, coffres, sarcophages, stèles, dalles surmontées de croix, structures à pignons) et leurs décors sculptés et gravés (hauts et bas-reliefs aux formes géométriques, florales, zoomorphiques, héraldiques et épigraphiques). Interconfessionnelles, ces tombes sont un symbole de dialogue entre les cultures. Les plus impressionnantes sont à voir dans la région de Stolac. La nécropole médiévale de Boljuni y abrite des centaines de tombes portant la marque de Grubac, l’un des plus grands artisans de l’époque, qui y déploya des motifs d’une grande originalité (lions, animaux fantastiques aux allures de lézard, rosettes stylisées, personnages dansants…). Une disposition et des motifs qui inspirèrent également les bâtisseurs des tombes en pierre locale du grand cimetière juif de Sarajevo, témoin, lui aussi, d’un fructueux échange entre les cultures.

Richesse ottomane

En parallèle du renforcement des structures défensives existantes (ajouts de poudrières et éléments bastionnés), les Ottomans développent un art du génie civil étonnant. Le pont Mehmed-Pacha-Sokolović de Višegrad avec ses onze arches maçonnées et le Vieux-Pont de Mostar, avec son arche unique de 28 m de portée et ses tours de protection, ont été pensés par le légendaire Mimar Sinan. Les Ottomans ont également élaboré une très riche architecture de l’eau. Bâti en pierre et recouvert de chaux, avec des murs épais percés de petites ouvertures, et des pièces couronnées de dômes, le hammam de Stolac est un modèle de l’architecture des bains. La fontaine Sebilj de Sarajevo, elle, est l’une des plus belles avec ses élégants lambrequins de bois finement ciselés. Les villes ottomanes sont organisées selon un urbanisme où les espaces verts relient la čaršija (centre d’échange et d’artisanat et cœur battant de la ville) aux mahala (quartiers résidentiels). Les mosquées y ont une place de premier ordre. Ces dernières se caractérisent souvent par une pièce unique surmontée d’un dôme et flanquée d’un ou plusieurs minarets fins et élancés, et par une décoration mêlant motifs géométriques, floraux et calligraphiques. Les mosquées appartenaient le plus souvent à des ensembles plus vastes rassemblant notamment des caravansérails et des médersas, écoles coraniques organisées autour de cours intérieures ceintes de galeries en bois et aux salles couvertes de dômes aux tailles variées. La mosquée Hadj Halija de Počitelj, la mosquée du Sultan Suleyman de Blagaj et la mosquée Gazi Husrev Beg de Sarajevo comptent parmi les plus belles. De nombreuses villes comme Livno ou Gradac possèdent également des sahat-kula ou tours d’horloge de plan carré. Les Ottomans ont aussi développé une riche architecture résidentielle : de plan rectangulaire, fondées sur des bases en pierre, à ossature mêlant briques et bois, aux toits aux avancées en saillie et couverts de bardeaux de bois, de tuiles d’argiles ou de grosses pierres, aux murs chaulés de blanc et percés de fenêtres disposées symétriquement, avec une façade principale ornée d’oriels (balcons en bois fermés et vitrés) et une façade sur cour rythmée de balcons ouverts et porches-galeries en bois sculpté donnant sur une cour arborée et pavée de galets, ceintes de hauts murs… les maisons ottomanes impressionnent par leur harmonie. Les espaces intérieurs y sont divisés en selamuk (quartier des hommes public) et haremluk (quartier des femmes privé). Au niveau supérieur se trouve le divanha ou grand salon que l’on reconnaît à son musandera, mobilier en bois intégré. Tous ces espaces sont reliés par des escaliers en bois et donnent sur la cour centrale. Beaucoup de ces maisons appartenaient à de vastes complexes résidentiels. Parmi les plus belles maisons ottomanes du pays, notons la maison Svrzo à Sarajevo, la kuća Resulbegovića à Trebinje, ou bien encore l’impressionnant complexe de villas Begovina à Stolac.

Éclectisme austro-hongrois

En opposition au caractère « informel » des villes ottomanes, les Austro-hongrois établissent une réglementation urbaine stricte : obligation de permis de construire, mesures de lutte contre les incendies, normalisation des proportions des bâtiments et exigence d’harmonisation des styles. Dans un premier temps, les Austro-Hongrois font souffler sur le pays un vent historicisant, notamment pour les bâtiments publics et les églises. Les deux grands architectes de l’époque sont Karel Pařík et Josip Vancaš. Au premier, surnommé le « bâtisseur de Sarajevo », on doit l’harmonieux et très néoclassique musée national de Bosnie-Herzégovine et l’Académie des beaux-arts (ancien siège de l’Église évangélique) aux atours romano-byzantins. Au second, on doit notamment l’impressionnante cathédrale du Sacré-Cœur de Sarajevo au clocher double de 43 m de haut et au portail en rosette octogonale résolument néogothiques. Pařík était un fervent défenseur du Sarajevo historique et souhaitait établir toute nouvelle construction loin du cœur de la ville, tandis que Vancaš est le premier à avoir établi une législation en matière de protection des monuments historiques. Progressivement, les Austro-Hongrois prennent conscience que l’application de styles ouest-européens ne peut pas convenir à ce pays multiethnique. Ils choisissent donc de promouvoir l’identité bosnienne, sans pour autant l’associer à l’Empire ottoman ou au mouvement panslave alors en plein développement, en employant un style pseudo-mauresque inspiré de l’architecture mudéjare espagnole et de l’architecture mamelouke d’Égypte et de Syrie. Silhouettes crénelées, baies surmontées d’arcs outrepassés, richesse ornementale comptent parmi les grandes caractéristiques de ce style que l’on retrouve dans la Bibliothèque nationale de Sarajevo inspirée de la mosquée Kemal II du Caire, et dans l’impressionnant Gymnasium de Mostar. Puis le pays va connaître une petite révolution avec l’apparition du style bosnien. Porté par de jeunes architectes formés à Vienne par Otto Wagner, le père de la Sécession viennoise, branche de l’Art nouveau aux formes géométriques plus épurées, le style bosnien se traduit par un mélange d’éclectisme, de modernité et d’emprunts aux motifs vernaculaires orientalisants. La poste centrale réalisée par Josip Vancaš ou la caserne de pompiers de Josip Pospišil comptent parmi les grandes représentantes de ce style, dont la clarté des formes et l’absence d’ornementation « outrancière » annoncent les contours du modernisme.

Période yougoslave

Cette période peut se découper en deux grandes étapes. La première correspond à la période de l’entre-deux-guerres et se distingue par un modernisme teinté de la géométrie simple du cubisme et du néoplasticisme héritée du mouvement De Stijl néerlandais. Les grands représentants de ce mouvement sont les frères Muhamed et Reuf Kadić, à qui l’on doit notamment le Mekteb Building sur Ferhadija à Sarajevo avec ses façades couvertes de céramique verte et de loggias de verre, et Juraj Neidhart, qui a travaillé avec de grandes figures du modernisme comme Peter Behrens et Le Corbusier, et qui a développé une architecture associant éléments vernaculaires et intégration à l’environnement.

La seconde période correspond à la Yougoslavie socialiste. La Bosnie-Herzégovine n’échappe pas à l’avènement du béton et à la création de cités-dortoirs aux grands ensembles destinés à loger les ouvriers des nouvelles banlieues industrielles. Mais très vite, du fait d’une politique de décentralisation, le pays développe une forme de régionalisme critique, établissant un modernisme à la sobriété modérée par de vrais élans expressionnistes. L’un des grands architectes de l’époque est Zlatko Ugljen. On lui doit de nombreux hôtels aux lignes sobres et épurées, comme le célèbre Hôtel Visoko, et des relectures « historiques » du modernisme comme dans la villa Gorica de Tito à Bugojno et dans la superbe mosquée Blanche Serefudin de Visoko, pour laquelle il reçut le prix Aga Khan d’architecture en 1983. Ugljen a également travaillé à la réalisation de nombreux mémoriaux et monuments érigés à la gloire de la Révolution yougoslave baptisés Spomenici. Inspiré de l’iconographie antique et païenne, le mémorial du parc commémoratif de Garavice prend des allures de totems en béton. Pour le Monument aux combattants tombés pour la libération du peuple à Sarajevo, il travailla en collaboration avec le sculpteur Petar Krstić, qui réalisa également les mémoriaux de Vogošća, Sanski Most ou Bratunac, faisant montre d’une impressionnante expressivité sculpturale. Ce mélange de brutalisme et d’expressivité se retrouve dans l’œuvre d’Ivan Strauss, qui y ajoute également des emprunts au style international avec l’emploi du verre, comme dans son Elektroprivreda Building, sorte de pyramide de verre inversée et à redans, l’hôtel Holiday Inn et surtout les célèbres tours UNIS de Sarajevo.

Depuis l’indépendance

Durant la guerre de Bosnie, plus de 2 000 bâtiments historiques sont détruits. Dans le cas de Sarajevo, on parle même d’urbicide pour désigner les attaques répétées dont elle fut l’objet et visant à détruire son identité architecturale et urbaine. Mais les habitants ont toujours montré une volonté farouche de protéger leur patrimoine et, par la suite, de le reconstruire, s’associant au projet de l’Unesco baptisé « Restoring Life in Sarajevo ». Puis, très vite, la capitale connaît un boom immobilier. La zone résidentielle de Hrasno voit ainsi naître le Bosmal City Center avec ses tours jumelles de près de 120 m de haut, et la ville se dote de la tour Avaz (Avaz Twist Tower), avec son étonnante façade en verre torsadée se déployant sur 172 m de  haut. En 2012, le réalisateur Emir Kusturica choisit les abords de Višegrad pour établir Andrićgrad, ville ainsi nommée puisque toute entière dédiée à l’œuvre de l’écrivain yougoslave Ivo Andrić. Objectif : donner l’impression que cette cité a été construite des siècles auparavant. Avec ses remparts et ses rues pavées, la ville fait illusion… et débat aussi. Pour la construire, Kusturica a détruit la forteresse centenaire de Petrinja et offre une relecture de l’histoire proserbe qui n’est pas vraiment du goût des Bosniens. Des débats que ne suscitent pas les réalisations contemporaines qui s’intègrent harmonieusement aux superbes paysages du pays : le Pino Nature Hotel avec ses grandes baies vitrées triangulaires rappelant les sapins, l’hôtel M Gallery au pied de la montagne Bjelašnica dont les étages supérieurs semblent prolonger la forêt, le restaurant panoramique au sommet de la montagne Raduša avec son toit à pentes douces, ses murs de verre et ses espaces intérieurs en bois local, ou bien encore la Bivouac Zoran Šimić Cabin à Pridvorci, abri aux allures de diamants de bois, comptent parmi les plus intéressantes créations contemporaines. Dans ces zones reculées, ces réalisations permettent également d’observer les trésors de l’architecture rurale où se mêlent maisons à toits de chaume, maisons aux fondations de pierre, aux murs en bois percés de petites fenêtres et aux toits fortement inclinés descendant presque jusqu’au sol, et maisons aux toits en croupe abritant de vastes greniers de stockage. Mais c’est sans doute Sarajevo qui se transforme le plus et le plus vite. Son étonnante passerelle Festina Lente est ponctuée en son centre d’une boucle servant d’abri et de lieu de rencontre, comme un symbole du désir ardent de la ville à retrouver son unité. Lancé en 2021, son projet de rénovation d’une ancienne caserne militaire en grand campus universitaire auquel viendront s’adjoindre d’autres bâtiments modernes et un renouvellement de l’urbanisme de Novo Sarajevo promet également de belles nouveautés !