Les musiques et danses traditionnelles

La musique traditionnelle maure la plus courante est peut-être l’azâwân. Elle est jouée par les griots maures, les Iggawin, reliés à l'ethnie des Beidanes (ou « maures blancs ») et possédant une organisation sociale calquée sur celles des griots mandingues. D’une certaine manière, la musique est le pré carré de ces griots maures puisque les Iggawin sont membres de la caste des artisans, et sont en conséquence les seuls à jouer et chanter la musique traditionnelle de manière professionnelle. Répétitive et intense, l’azâwân est parcourue d’influences berbères et africaines, aussi bien dans les sonorités que dans le vocabulaire. La plupart du temps, les griots interprètent des poèmes chantés en langue hassanya et louent en chanson les chefs ou incitent au courage, à la générosité mais peuvent aussi chanter des textes drôles et divertissants.

Ils s’accompagnent d’instruments traditionnels, dont l’emblématique tidinit, sorte de luth à quatre cordes au son métallique. Son usage est réservé aux hommes contrairement à l’ardîn, l’instrument des griottes, sorte de harpe d’une quarantaine de centimètres jouée par les femmes exclusivement et possédant une dizaine de cordes. Aux côtés de ces instruments, on trouve généralement des percussions comme le tbol ou « tambour des sables », fabriqué à partir d’une grosse calebasse.

Les deux emblèmes de la musique traditionnelle des Iggawin sont des femmes : Dimi Mint Abba et Malouma. La première, Dimi Mint Abba (1958-2011), est surnommée la « Diva du désert ». Née de parents tous deux musiciens (sa mère est une joueuse d’ardîn émérite), Dimi développe un talent précoce. Cependant, sa carrière professionnelle ne débute vraiment qu’en 1976 tandis qu’elle participe au concours Oum-Kalthoum à Tunis où elle représente la Mauritanie. Fin des années 1980, début des années 1990, sa carrière s’accélère, elle enregistre quelques disques et se produit régulièrement en Europe et aux États-Unis. Parmi ses œuvres, l’album Moorish Music From Mauritani, enregistré avec son mari Khalifa Ould Eide et leurs deux filles, est un fascinant témoignage de la musique du pays (dont l’écoute est chaudement recommandée). Virtuose de l'ardîn, Dimi Mint Abba demeure l’une des plus importantes ambassadrices culturelles de son pays. Un rôle que sa belle-fille Noura Mint Seymali s’emploie à prolonger via sa musique.

Autre icône du pays, Malouma (née en 1960) est aussi une femme politique et une militante importante. Dès sa première chanson Habibi Habeytou, Malouma adresse une critique sévère sur le traitement des femmes au sein du couple. Un succès immédiat, doublé d’une polémique auprès des autorités et des classes conservatrices qui voient d’un mauvais œil le succès de ses paroles contestataires. Après un mariage forcé qui l’oblige au silence dans les années 1980, elle revient avec un style propre, navigant entre tradition, blues, pop et jazz. Ses chansons continuent de militer et abordent des sujets controversés comme la vie conjugale, le féminisme, les inégalités ou les droits de l’Homme, ce qui lui vaut d’être boudée des ondes, voire censurée. Peu importe, Malouma devient la chanteuse du peuple. Une popularité et un engagement qui lui permettront d’être élue sénatrice en 2007.

Deux artistes, deux icônes et certainement les deux personnalités maures les plus célèbres internationalement de nos jours.

Moins connue hors de ses frontières, n’oublions pas pour autant cette excellente musicienne qu’est Tahra Mint Hembara. Elle aussi issue d’une famille de griots, au talent également précoce, la carrière de Tahra décolle à Paris tandis qu’elle est étudiante à la Sorbonne. Elle y fait la rencontre du fameux jazzman Didier Lockwood qui l’aide à enregistrer son premier album Yamen Yamen en 1989. Pour l’anecdote, un de ses morceaux est adapté par David Bowie (Don't Let Me Down & Down, sur l'album Black Tie White Noise en 1993). Mais c’est surtout pour son style musical, fusion des toutes les musiques maures (azâwânmedh) et du jazz, voire du rock, que Tahra continue de marquer les esprits.

Notons que toutes les artistes précédemment mentionnées sont de grandes musiciennes d’ardîn, un instrument consacré au sein d’un festival se tenant tous les ans à Nouakchott, où se produisent immanquablement les meilleures interprètes en activité.

Si l’azâwân est la musique des Beidanes (les « Maures blancs »), le medh est celle propre aux Haratins (aussi appelés « Maures noirs »). Souvent pratiqués le jeudi soir, veille de la grande prière du vendredi, ces chants à la gloire du Prophète de l’islam confinent parfois à la transe et peuvent être un peu assimilés au gospel américain.

Les Haratins pratiquent aussi des danses spectaculaires, dont les plus connues sont la bleïda et la kashra, mises en scène de représentations d’actes de la vie quotidienne - comme des parties de chasse.

Hormis les œuvres des artistes mentionnés ici, on ne peut que conseiller d’écouter également les albums Griots de Mauritanie: Hodh Occidental: Trarza - saisissant enregistrement de griots mauritaniens - ainsi que Chants de Griots, réalisé par l’Ensemble El Moukhadrami et édité en 1994 par l’Institut du Monde Arabe. Deux très belles fenêtres sur la tradition musicale du pays.

Moins conventionnel, l'Orchestre National de Mauritanie est également une bonne porte d’entrée vers la musique maure. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser entendre, l'Orchestre National de Mauritanie n’est pas une formation symphonique mais bien un ensemble de musique traditionnelle. Et un excellent, qui plus est. Formé en 1968, il fut le groupe officiel du pays en période postcoloniale. Dirigé par le jeune Hadrami Ould Meidah, l’ensemble avait l’ambition très moderne de sortir la musique classique maure de son système rigide et complexe pour l’emmener vers des orchestrations tout en guitares électriques et cuivres. Le tout, en étant perméable aux sonorités du monde et en écrivant des textes en plusieurs langues afin de rendre hommage aux diverses ethnies du pays. Le coup d'État militaire de 1978 sonna la fin du groupe, les autorités réclamant même que les enregistrements soient brûlés. Heureusement, quelques archives ont pu être sauvées, un album ayant même été édité récemment à partir de ces dernières - sur le fabuleux label Sahel Sound (consacré aux rééditions de trésors de l’Afrique de l’Ouest). Sur le même label, on conseillera également Nouakchott Wedding Songs, fabuleuse compilation de chants de mariage joués au tidinit, intenses, parfois jusqu’à la transe. Sahel Sound : une valeur sûre.

Les amoureux de la musique maure et les mélomanes curieux ne manqueront sous aucun prétexte le Festival International des Musiques Nomades. Créé en 2004, ce rendez-vous annuel installé à Nouakchott durant avril promeut le dialogue entre les cultures nomades et entre tradition et modernité.

Les musiques actuelles

Contrairement aux magnifiques paysages maures, la jeune scène musicale n’est pas désertique, loin de là. Parmi les artistes à connaître, Ahmedou Ahmed Lowla est un des plus intrigants. Surprenante à la première écoute, sa musique festive puise dans les sonorités traditionnelles qu’il joue comme de l’électronique, à l’aide d’un synthétiseur cheap des années 1990. Un style qu’il a baptisé « WZN » et qu’il essaye de faire connaître hors de ses frontières. Star en Mauritanie, Ahmedou Ahmed Lowla compte sur Terrouzi, son premier album disponible en Europe (et sorti chez Sahel Sounds, encore eux) pour y parvenir.

Eux sont connus hors de leurs frontières, surtout depuis qu’ils ont collaboré avec le groupe de rock français Cheveu. « Eux », c’est Group Doueh, un grand brassage de traditions maures, notamment l’azâwân mais version rock psychédélique du désert. C’est puissant, brut et plutôt virtuose à la guitare.

Citons enfin Noura Mint Seymali, la belle-fille de Dimi Mint Abba, qui emmène les traditions musicales des Iggawin vers des terres plus contemporaines. On retrouve la même fièvre, la même intensité que dans la musique des griots mais avec quelque chose de plus rock’n’roll dans l’attitude. Des morceaux tout en tidinît, ardîn, puissance et nuance.