Entre poésie et scène politique
Neruda naît le 12 juillet 1904 dans la province de Linares sous le nom de Ricardo Neftalí Reyes Basoalto. Sa mère, institutrice et lectrice de poésie, meurt deux mois après sa naissance. Il grandira à Temuco, terre de son enfance et de ses premières inspirations. Ici, les Mapuches exercèrent sur lui une grande fascination. Il y rencontra également Gabriela Mistral : poétesse et directrice de lycée, elle reçoit l'adolescent timide qui frappe à sa porte pour lui montrer ses textes. Eblouie par sa qualité d'écriture, elle en fait son protégé et le sensibilise davantage à la littérature. Il publie son premier livre Crépusculaire à l'âge de 19 ans, et à 20 ans Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée ; ces recueils ont été vendus à des millions d’exemplaires. Poète, mais aussi diplomate, il s'engage très tôt en politique : à partir de 23 ans, il devient consul dans plusieurs pays d'Asie (Rangoon, Colombo, Calcutta) et à Buenos Aires. En décembre 1930 il épouse Maryka Hagenaar et rejoint l’Espagne en 1935, en tant que consul, où il poursuit ses projets littéraires et ses engagements politiques. Après de nombreux voyages en Amérique du Sud, il rentre au Chili en 1945 et adhère au parti communiste chilien. En 1947, Gonzalez Videla, alors président du Chili, organise la répression contre les communistes, Neruda doit alors s'exiler. En 1949, il devient membre du Conseil mondial de la paix et rencontre la soprano Matilde Urrutia, qui lui inspire La centaine d’amour et qui deviendra sa troisième épouse. Nommé ambassadeur du Chili à Paris, en 1971 il obtient l'année suivante le prix Nobel de littérature.
Une œuvre engagée sur le monde
« Je dis toujours que je n'ai rien inventé, que les choses sont comme ça, le poète a naturellement un devoir expérimental envers le langage, mais en partant de l'expérience personnelle de sa propre vie, de sa connaissance du monde, de sa relation avec les êtres humains et avec la nature ». Au-delà de sa poésie lyrique et politique, Neruda est un homme engagé, témoin des violences que le monde a pu subir au cours du XXe siècle. Consul en Asie, il fut aux Indes un témoin attentif des premières luttes des peuples colonisés pour leur indépendance. Lorsqu’il est consul en Espagne, il se radicalise après le Putsch militaire mené par Franco : il entre dans le combat et fait de sa poésie une arme contre les dictatures. « Ah ! si seulement avec une goutte de poésie ou d'amour nous pouvions apaiser la haine du monde ! ». Neruda perdra de nombreux amis assassinés par les franquistes : sa poésie en sera profondément marquée et il ne cessera d’exprimer sa révolte. En 1948 sous la pression des Etats-Unis, le président Videla exclut les communistes de son gouvernement. Neruda, alors sénateur, prononce un discours de protestation « Yo Acuso ». Un mandat d'arrêt est lancé contre lui : commence alors une période de clandestinité de plus d'un an. Caché par la population, il tente d’échapper aux soldats qui le recherchent. Au cours de cette fuite, Neruda écrit la majeure partie du Canto General qu'il avait commencé plusieurs années auparavant. Hommage à sa terre et à son peuple, Neruda hisse son continent sud-américain, maltraité et méprisé par le reste du monde, au rang d'une terre d'épopée et de grandeur.
Les maisons oniriques de Neruda
Lorsqu’il ne faisait pas trembler le monde de la poésie et de la politique, Neruda avait pour refuges ses trois maisons aujourd’hui transformées en musées. Collectionneur éclairé, l'écrivain accumulait des encyclopédies, des recueils de poésie, des manuscrits, des éditions originales, des vieilles photos, des cartes anciennes, des peintures marines et de nombreux bibelots. Le quartier de Bellavista, à Santiago, abrite La Chascona et son architecture singulière en forme de bateau. Neruda a commencé à construire cette maison en 1953, en hommage à son dernier et plus grand amour, Matilde Urrutia. La même année, il écrit par ailleurs l'un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Les vers du Capitaine, un recueil de 5 poèmes amoureux et passionnés dédiés à Matilde. Reconnaissable à ses couleurs bleu et jaune, la Chascona célèbre l’amour que le poète portait au soleil et à l’océan. Un peu plus près de l'océan justement, sur les hauteurs de Valparaiso, il occupa également La Sebastiana, une maison abandonnée qui appartenait à l'Espagnol Sebastian Collao. Tel un bateau sur les collines, celle-ci offre une vue imprenable sur le port de Valparaiso, un décor unique entre ville et océan. Dans sa maison de la Isla Negra, la plus isolée au sud de Valparaiso, il prenait l'habitude de se lever très tôt pour aller écouter le chant des oiseaux, il s’y retirait pour écrire, écouter et observer la nature. Lorsqu'il était loin de son pays pour plusieurs mois il se faisait envoyer des enregistrements sonores de ce lieu qu'il aimait tant. A l’étage, la chambre surplombe l’océan et le jardin dans lequel se trouvent désormais les tombes de Pablo Neruda et Matilde. C’est dans sa maison de la Isla Negra, cloué dans son lit par la maladie, que Neruda suivit en direct à la télévision le coup d’Etat de Pinochet, il y apprit également que ses maisons de la Chascona et de la Sebastiana avaient été saccagées...
La mort mystérieuse de Neruda
Une dernière fois, en 1970, Neruda s'implique politiquement lorsque le parti communiste le désigne comme candidat aux élections présidentielles. Candidat du Parti communiste pour les élections présidentielles, il se désiste en faveur de l'Unité populaire et de son candidat Salvador Allende qui est élu. Rassuré sur le sort de son pays, Neruda demande à être nommé ambassadeur en France et reçoit dans la foulée le prix Nobel de littérature : c’est la consécration de son travail tant politique que littéraire. Mais bientôt le blocus des USA étrangle la démocratie chilienne. Atteint d’un cancer, Neruda rentre au Chili et écrit en moins de trois jours un virulent poème Incitation au nixonicide et éloge de la révolution chilienne : avec la poésie pour arme, Neruda entame une sorte de chant révolutionnaire. Le 11 septembre 1973, le coup d'Etat éclate : Neruda meurt 12 jours après dans un hôpital de Santiago, à la veille de son départ pour l’exil. Coïncidence ? Près de 50 ans après sa disparition, les causes de sa mort sont toujours controversées. En 2017, 16 experts mandatés par la justice chilienne ont pu exhumer le corps du poète : il est une certitude, il n’est pas mort d’un cancer comme indiqué sur son certificat de décès. Depuis sa mort, la famille de Neruda soupçonne la dictature de l’avoir empoisonné, mais ni les experts scientifiques internationaux ni la justice chilienne ne peuvent aujourd’hui confirmer cette hypothèse. Le 13 février 2023, des experts parviennent à détecter dans les os du poète une bactérie à l'origine d'une toxine mortelle, le Clostridium botulinum. Si pour les avocats de la famille Neruda cette découverte prouve sans équivoque la thèse de l'empoisonnement, certains des scientifiques en charge du cas affirment que cette bactérie n'était pas présente dans le corps de Pablo Neruda au lendemain de sa mort. Le mystère demeure donc entier...