Trésors de l’Antiquité
L'Ouzbékistan est historiquement une terre de bâtisseurs. Les sites proto-urbains de Sapallitepa et Dzarkhutan (aujourd'hui situés au Tadjikistan), datant du IIe millénaire av. J.-C., sont les témoins des premières formes d'établissements sédentaires. Les chercheurs ont découvert une organisation urbaine élaborée avec des citadelles centrées autour de cours où s'organisait la vie quotidienne. Ces sites annoncent l'avènement des ark, concept perse signifiant « cœur de l'État » et désignant les citadelles érigées pour abriter et protéger les lieux de pouvoir. Les origines de la toute première enceinte fortifiée de Boukhara remonteraient ainsi au Ve siècle av. J.-C.
Pour comprendre combien l'Ouzbékistan a été une terre de rencontres, c'est dans la province de Surkhandarya qu'il faut se rendre. La zone regorge de sites archéologiques étonnants, témoins notamment de la présence multiséculaire de communautés bouddhistes. Sur le site de Kara-Tepe, vous pourrez observer les vestiges d'un monastère bouddhique creusé à même la roche. Mais le plus impressionnant des sites est sans aucun doute celui de Fayaz-Tepe. Datant du Ier siècle av. J.-C., il présente les ruines d'un vaste complexe monastique, construit en brique de terre, comprenant une cour centrale, des salles d'études et un réfectoire, sans oublier le traditionnel stupa (monument abritant les reliques de Bouddha).
À la même période, dans le désert du Kyzyl Kum, d'imposantes citadelles constituaient le vaste réseau de défense de la riche province de Khârezm. Ce sont les elliq-qala, les 50 forteresses du désert, sentinelles protectrices autant que lieux de rencontre entre commerçants et voyageurs, utilisées jusqu'au VIIe siècle de notre ère. L'une des plus anciennes est Qoy Qyrylghan Qala. Les chercheurs pensent qu'elle fut aussi un temple et un observatoire. Ayaz-Qala, "la citadelle du vent", se compose d'un ensemble de trois ouvrages fortifiés doté d'un système défensif composé de meurtrières, tours de guet et souterrains de protection. Mais la plus célèbre de ces forteresses est Toprak-Qala, "la citadelle d'argile". Ceinturée de murs hauts de 20 m et épais de 12 m, la citadelle a été érigée en briques de terre auxquelles ont été ajoutés des cailloux, pour solidifier les bases, et du sable, pour préserver les intérieurs de l'humidité. Redécouvertes au XXe siècle, ces citadelles témoignent d'une recherche urbanistique aboutie avec organisation des espaces selon leurs fonctions (marché, zones d'habitation, temple). Malheureusement, le temps et le vent accélèrent leur érosion…
Splendeurs de l’islam
Les plus grandes dynasties islamiques ont doté le pays de trésors architecturaux aujourd'hui classés au Patrimoine Mondial de l'Unesco.
Les Samanides, qui firent de Boukhara leur capitale transformée en un puissant centre culturel, ont développé une architecture à la décoration très travaillée. Le mausolée Ismail Samani est l'un des mausolées du Xe siècle les mieux préservés au monde. Sa structure de base est celle d'un carré entouré de quatre arches soutenant un dôme sur trompes. Les trompes sont de petites voûtes en encorbellement permettant un changement de plan entre la partie inférieure d'une construction, ici le carré, et la partie supérieure qu'elle supporte, ici la coupole octogonale. Les colonnes engagées aux angles et la petite galerie courant en haut des murs contribuent à alléger l'ensemble. Mais l'élément le plus impressionnant est sa décoration. Les briques cuites ont été posées de manière à créer des motifs, zigzags et rangées de cercles rappelant le tressage fin et délicat de la vannerie.
Les puissants Karakhanides ont laissé un exceptionnel témoin de leur génie bâtisseur avec le minaret Kalon à Boukhara, unique vestige de la grande mosquée bâtie au XIIe siècle. Kalon signifie grand en tadjik…le minaret de 47 m reposant sur une base de 10 m n'a pas usurpé son nom ! Outre sa superbe décoration à base de motifs géométriques réalisés en briques, le minaret étonne par ses propriétés architectoniques. En effet, ce dernier repose sur de solides roseaux servant de protection antisismique. Plusieurs fois restauré, le minaret ne s'est pourtant jamais écroulé ! Autre vestige Karakhanide, le caravansérail de Rabati Malik dont seul subsiste l'imposant portail, l'une des plus anciennes arches à arc-boutant d'Asie Centrale. Remarquez ses pourtours décorés de motifs calligraphiques. Les chercheurs ont déterminé que le caravansérail avait une superficie de plusieurs milliers de mètres carrés. Une monumentalité que l'on va retrouver aux XIVe et XVe siècles dans l'architecture timuride.
Menées par le légendaire Timur, les campagnes timourides ont donné naissance à une superbe architecture avec des méthodes pour le moins singulières : en faisant prisonniers les artistes et artisans. D'un côté, cela empêcha la création de foyers d'opposition autour d'intellectuels ; de l'autre, cela permit l'embellissement de sa toute nouvelle capitale. L'architecture timouride reprend les codes de l'architecture persane : la cour avec 4 iwans (salle voûtée ouverte à une extrémité et située en général en face de la pièce à coupole qui abrite le mihrab, la niche à prière indiquant la direction de la Mecque), la coupole et la façade imposante dotée d'un portail ou pishtaq monumental souvent délimité par des minarets jumeaux et fuselés (le pishtaq désigne l'arcature surélevée et la portion de façade encadrant l'iwan).
À cela, les Timourides ont apporté des évolutions innovantes et remarquables. Ils ont ainsi élaboré un système de voûtes plus complexe, faisant appel à des arches transversales et permettant de couvrir des espaces plus vastes. Mais les apports les plus exceptionnels concernent la décoration faite de décors polychromes en céramique. Les techniques utilisées reprennent celles de la poterie : cuerda seca (technique de la corde sèche qui délimite les émaux par une ligne de pigments violets), motifs en relief, lajvardina (décor à base de glaçure bleue et d'émail), mosaïque de céramique émaillée (agencement de petits fragments à carreaux bien ajustés et émaillés de différentes couleurs), cartouche (motifs constitués avec une série de plaques. Les motifs sont variés et d'une grande beauté : arabesques, rinceaux floraux ou bien encore inscription en thoulouth – écriture cursive, dépouillée et monumentale.
Pour les extérieurs, les Timourides ont également eu recours à une technique appelée bannai consistant en un assemblage de briques vernissées ou émaillées créant motifs et inscriptions visibles de loin. Les vestiges du Palais d'Aq Saray, le palais blanc de Shahr-i Sabz, en sont un bel exemple. Ne manquez pas non plus la très belle mosquée Kok-Gumbaz et sa coupole bleue.
Mais les plus beaux chefs-d'œuvre timurides sont évidemment à voir à Samarkand, sous le grand Timur et son petit-fils Ulugh Beg, lui aussi grand bâtisseur. Partez donc à la découverte de la grande mosquée de Bibi Khanum, du complexe funéraire Gur-i Mir, ou bien encore du complexe Shah-i Zinda – l'une des plus belles nécropoles d'Asie Centrale avec ses décors d'or et de turquoise.
Aux XVIe et XVIIe siècles, ce sont les Chaybanides puis les Djanides qui vont marquer les Khanats de Khiva et Bukhara. Parmi leurs plus belles réalisations, la médersa Chir-Dor (littéralement la porte des lions) et son portail orné de félins rugissants, ou bien encore la médersa Tilia Kari, sa cour transformée en jardin et sa décoration en or. Regardez bien le trompe-l'œil de son plafond dont les motifs fuselés réalisés en feuilles d'or donnent l'impression qu'il s'agit d'un dôme… alors que le plafond est parfaitement plat !
Outre leur maîtrise architecturale, ces grandes dynasties islamiques ont également légué un héritage urbanistique très important. Chaque ville possède son régistan, une place centrale où s'organisaient les grands événements de la cité, ainsi que les marchés. Le plus beau est celui de Samarkand avec ses superbes médersas aux décors de faïences bleues. Autre très belle place à ne pas manquer : la Liab-i-Haouz de Bukhara organisée autour d'un bassin protégé par des mûriers centenaires.
Autour de ces places, les eski-chahar ou vieilles villes s'organisent. Leurs rues tortueuses sont composées d'habitations, d'un ou deux étages articulés autour d'une cour centrale, au toit de paille et aux murs en brique crue. Le tissu urbain est ponctué d'édifices religieux (mosquées, mausolées, médersas) et commerciaux (caravansérails, galeries ou coupoles marchandes) et dispose d'un réseau d'adduction d'eau très performant permettant d'alimenter les bassins et fontaines mais également les hammams.
La plupart des villes disposent également d'une cité intérieure, bien souvent fortifiée, à l'image de l'ark de Bukhara qui prit sa forme actuelle sous les Djanides. Enfin, à Khiva, ne manquez pas les réalisations du khan bâtisseur Alla Kouli, de la dynastie ouzbèke des Koungrates. Au XIXe siècle, ce dernier dota la ville intérieure fortifiée (Itchan-Kala) du superbe palais Tach Khaouli (qui brille par la beauté de son décor mêlant le bleu de la céramique au vert de jade), d'une médersa, d'un caravansérail de la mosquée Saïtbaï (la mosquée d'été de la cité) et fit entourer Dichan Kala (la ville nouvelle) de 6 km de murailles.
Influences russes
Dès le XIXe siècle, les Russes convoitèrent l'Ouzbékistan. Ainsi en 1865, les troupes de l'empereur Alexandre II marchèrent sur Tashkent et y érigèrent une forteresse unique en son genre. Suivant un plan à six côtés, la citadelle, protégée par des fossés, bastions d'angles, murailles et tours crénelées, abritait une véritable ville avec une caserne, une armurerie et un hôpital. Les Russes repensèrent la ville selon un plan quadrillé. À partir de 1917, les Soviétiques prirent le contrôle et adaptèrent les villes aux nouvelles normes égalitaires et hygiénistes du régime. Rejetant la religion, ils détruisirent un grand nombre d'édifices cultuels ainsi que de nombreux quartiers dits « précoloniaux » jugés inadaptés à leurs visées modernistes. Les quelques édifices préservés furent mis au service du régime. Les places furent vidées de leurs bazars pour accueillir de grandes manifestations politiques, et les médersas furent transformées en cinéma où étaient diffusés des films de propagande.
C'est uniquement à partir des années 1940-1950 que la valeur patrimoniale des édifices ouzbeks fut prise en compte. Furent ainsi restaurés le bassin de la Liab-i-Haouz, la mosquée de Kalon ou bien encore les portes de Khiva. L'URSS voulait prouver au reste du monde qu'elle savait prendre soin de son patrimoine. C'est également la période des grands changements urbanistiques et architecturaux : vastes places et larges avenues (pensées pour permettre à d'énormes avions d'atterrir !), parcs et espaces verts (le parc Navoï de Samarkand en est un bel exemple).
Concernant l'habitat, des immeubles d'habitation standardisés furent construits vite et à bas coûts pour répondre à la demande croissante de logements. Vous remarquerez que certains de ces blocs de béton ne dépassent pas 5 étages… Effectivement, à l'époque, les ascenseurs coûtaient cher, alors la décision fut prise qu'une hauteur maximale acceptable sans ascenseur était de… 5 étages !
Concernant les édifices publics, ils se mirent au diapason du monumentalisme et du classicisme voulu par le régime (voir l'Opéra de Tashkent). Sous le régime soviétique, les architectes furent soumis à des directives très strictes. Pourtant certains d'entre eux parvinrent à imposer une vision personnelle à travers des bâtiments étonnants. Jugés « brutaux » ou « inesthétiques », ces édifices font partie de l'histoire du pays !
La ville qui porte de manière évidente la marque soviétique est Tashkent. Elle fut d'ailleurs en son temps la 4e ville d'URSS. Parmi les édifices à ne pas manquer : la tour de radiotélévision et ses 375 m de hauteur ; le célèbre Hôtel Ouzbékistan et son impressionnante façade recouverte d'alvéoles identiques et symétriques. N'oubliez pas non plus de plonger sous terre afin d'admirer le métro de la ville, créé en 1977. Il s'agit de l'un des deux seuls métros de toute l'Asie centrale. Chaque station possède sa propre décoration, aussi grandiose que celle de palais souterrains, mêlant marbre, bronze, granit et fonte. Il n'est pas sans rappeler le célèbre métro de Moscou. Magnifique !
Depuis 1991
L'architecture contemporaine ouzbèke se concentre surtout à Tachkent et porte la marque du président Islam Karimov. Ce dernier a privilégié une architecture mêlant classicisme monumental (marbre, colonnades…) et modernité (acier, chrome…) pour tous les édifices clés du pouvoir : hôtel de ville, palais présidentiel, sénat. Tachkent s'est également doté d'un complexe d'affaires, l'Akva-Park et de la plus haute tour d'Asie Centrale, la tour de la banque NBU, haute de 108 m. Sans concertation avec les autres acteurs du pays, Karimov a décidé d'un plan d'urbanisme visant à rendre la ville plus fonctionnelle en faisant table rase de tout ce qui pourrait entraver cette vision et en privilégiant ensuite une sorte de style néo-ouzbek avec moult coupoles et autres codes de l'architecture traditionnelle. Il a en quelque sorte recréé une ville mythique afin de baser l'identité nationale sur la légende.
L'ensemble religieux du Khazrati Imam, entièrement restauré en 2007 – année où Tachkent fut désignée capitale de la culture islamique – est l'exemple le plus flagrant. Certains éléments du complexe originel ont été détruits (école, bibliothèque), d'autres ont été entièrement reconstruits comme la mosquée qui dispose des plus hauts minarets d'Asie centrale (63 m). Un ensemble architectural fortement critiqué.
Depuis son élection, le président Shavkat Mirziyoyev a souhaité rompre définitivement avec la période Karimov et s'est engagé dans un plan d'action conjoint avec l'Unesco afin d'assurer la protection du riche patrimoine ouzbek. De nombreuses restaurations ont été engagées, ainsi qu'un suivi régulier des bâtiments, afin de préserver l'authentique beauté de ce patrimoine unique, tout en préservant les savoir-faire traditionnels des artisans.