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La diaspora italienne

A partir de 1870, après l’unification du Royaume d’Italie, le pays s’industrialise, mais peine à rattraper le niveau de ses voisins européens. La majorité de la population italienne est rurale et, parmi elle, 70 % des citoyens sont des agriculteurs. Beaucoup vivent dans la pauvreté, cultivent un lopin de terre qui ne suffit pas à combler les besoins du ménage ou sont employés par de grands propriétaires terriens pour un salaire de misère. Un mouvement d’émigration massive se met en marche, les Italiens gagnent les régions industrialisées du nord de l’Europe, puis le Nouveau Monde, dans le but d’améliorer leur sort : c’est ce qu’on appelle la diaspora italienne. Il s’agit d’un phénomène essentiellement économique, qui connaîtra deux vagues migratoires : la première entre 1880 et 1914, la deuxième au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

La diaspora italienne ne concerne pas seulement le sud de l’Italie : dans le nord, le Piémont, la Vénétie et le Frioul fournissent d’importants contingents de candidats à l’émigration. Dans le Frioul, le phénomène est particulièrement sensible entre 1880 et 1915. Le Brésil et l'Argentine figurent parmi les destinations privilégiées, suivis par les États-Unis et le Canada. Après la Seconde Guerre mondiale, les flux migratoires s’orientent majoritairement (à 88 %) vers les pays du nord de l’Europe : la Suisse d’abord (47 %), suivie par la France, l’Allemagne et la Belgique. La situation de la Vénétie Julienne entre 1954 et 1958 est particulière : elle devient une terre d’accueil pour les réfugiés d’Istrie fuyant le régime du maréchal Tito, mais parallèlement, de nombreux citoyens élisent l’Australie comme nouvelle patrie. L’émigration est aussi interne, les Frioulans choisissant de se transférer dans le triangle industriel Turin-Milan-Gênes en plein boom économique.

Dans les années 1960, le phénomène se tarit pour même s’inverser à partir de 1968 grâce à la reprise économique de la région liée à son développement industriel.

Aujourd’hui, le Frioul-Vénétie Julienne compte près de 1 200 000 habitants sur les 60 000 000 d’individus répertoriés en Italie. Les citoyens étrangers représentent près de 9 % de la population totale de la région. Ils proviennent majoritairement d’Europe de l’Est (Roumanie, Albanie, Ukraine, pays de l’ex-Yougoslavie) et, dans une moindre proportion, du Bangladesh, du Maroc et de Chine.

Trieste, une ville internationale

Située à la croisée des mondes latin, germanique et slave, Trieste présente une identité à part. Son histoire est marquée par un brassage continu de populations et de cultures et ce, depuis l’Antiquité. Lorsque la ville est déclarée port-franc en 1719, des marchands affluent des quatre coins du monde, accentuant encore son caractère cosmopolite. La politique tolérante de Marie-Thérèse d’Autriche vis-à-vis des étrangers et de la pratique d’autres religions favorise l’arrivée de populations en provenance de toute l’Europe : Hongrois, Serbes, Croates, Albanais, Arméniens, Suisses, Anglais, Juifs séfarades et ashkénazes, et même des aristocrates exilés de France au lendemain de la Révolution française. Trieste s’affirme comme une cité multi-ethnique et multiculturelle où la communauté slovène demeure toutefois la plus représentée. Au début du XXe siècle, elle se retrouve à la Casa nazionale (Narodni Dom), un édifice polyfonctionnel qui comprend un théâtre, une banque, un café et un hôtel (il sera incendié par les fascistes en 1920). Un recensement de 1910 fait état de 57 000 résidents de langue slovène sur un total de 229 000 habitants (et 118 000 de langue italienne). Après la Seconde Guerre mondiale, Trieste accueille des réfugiés fuyant le régime du maréchal Tito, puis la guerre de Yougoslavie en 1992. A l’aube du troisième millénaire, Trieste demeure une ville internationale et ses habitants ont conservé cet esprit d’ouverture aux autres.

Langues et dialectes

Aux côtés de la langue officielle qui est l’italien, la région Frioul-Vénétie Julienne compte trois langues minoritaires : le frioulan, le slovène et l’allemand.

Le frioulan appartient au groupe rhéto-roman des langues romanes. Tout comme le romanche parlé en Suisse et le ladin des massifs des Dolomites, il est issu d’un métissage linguistique original : celui du latin et des langues celtiques. Le frioulan s’est ensuite enrichi d’apports slaves et germaniques. On considère actuellement qu’environ 600 000 locuteurs emploient le frioulan dans la vie quotidienne. En tant qu’élément constitutif de l’identité régionale, il a été reconnu langue minoritaire historique, ce qui a entraîné sa revalorisation : le frioulan est enseigné à l’école et il existe de nombreux médias locaux en frioulan. Même la RAI, la télévision publique italienne, propose des programmes en frioulan. Il est utilisé dans la signalisation routière avec des panneaux bilingues italien-frioulan.

Sans surprise, le slovène, qui est une langue du groupe slave, est surtout parlé dans le Frioul oriental, dans les zones limitrophes avec la Slovénie. Sur ce territoire, environ 61 000 locuteurs (soit un peu plus de 7 % de la population) jouissent d’une protection juridique particulière : ils peuvent s’exprimer dans leur langue dans leurs relations avec l’administration publique et disposent d’écoles où l’enseignement est dispensé en slovène.

L’allemand, et plus précisément un dialecte allemand de la branche bavaroise, est parlé dans plusieurs îlots linguistiques des Alpes carniques, près de la frontière autrichienne. Ses locuteurs sont concentrés dans les villages de Sauris et de Timau, ainsi que dans le Val Canale, de Pontebba au val de Coccau en passant par Tarvisio. L’allemand y cohabite avec le frioulan, le slovène et l’italien, et il n’est pas rare d’y rencontrer des personnes s’exprimant correctement dans les quatre langues.

La région compte aussi d’innombrables dialectes vénètes qui se rencontrent dans les zones côtières et de plaine, historiquement soumises à l’influence de Venise. Chaque portion de territoire possède le sien : veneto-pordenonese à Pordenone, veneto-marenese à Marano Lagunare, veneto-udinese à Udine… À Trieste, le dialecte triestino, de racine vénéto-istrienne, s’est progressivement enrichi de vocables grecs, anglais et frioulans. Il est encore parlé et entretenu avec beaucoup d’orgueil par les Triestins.

Il existe enfin, dans le Val Resia, un idiome appelé resiano, que les linguistes considèrent comme un vieux dialecte slovène - mais ses utilisateurs maintiennent qu’il s’agit d’une langue à part !