Du catholicisme à la Réforme
Le plus ancien bâtiment public de Genève est la cathédrale Saint-Pierre, qui date de la période gothique pour ses parties les plus anciennes. Son histoire remonte cependant au IVe siècle. L’ancienneté de cet édifice fait qu’il conserve de nombreuses traces des styles architecturaux successifs. Cet aspect disparate est visible sur les variations chromatiques et stylistiques des différentes façades et parties de la cathédrale : du bronze vert vieilli de sa flèche à sa tour en pierre blanche, ou encore le camaïeu de gris des pierres de taille de la nef. La cathédrale rend compte à elle seule de la complexité architecturale de la ville, ainsi que de l’enchevêtrement des styles et périodes dont elle a été l’objet. Un site archéologique se visite même dans ses sous-sols, avec des restes qui remontent pour les plus anciens au IIIe siècle avant notre ère. La construction de l’édifice actuel débute en 1160, mais sa façade médiévale laisse place à une de style néoclassique, avec ses colonnes et son frontispice triangulaire, au milieu du XVIIIe siècle. Après mille ans dédiés au culte catholique, à l’avènement de la Réforme, au milieu du XVIe siècle, l’austérité protestante étant désormais de rigueur, la cathédrale est vidée de ses ornements et ses décors polychromes sont recouverts. Elle ne garde alors de son style catholique que ses vitraux, son retable et une partie du mobilier qu’il aurait été trop coûteux de remplacer.
La chapelle des Macchabées reste un bel exemple de gothique flamboyant. Elle connut aussi avec la Réforme une transformation dans la salle de classe de l’Académie. La partie nord du bâtiment abrite aujourd’hui le musée international de la Réforme, et on y trouve également un monument où le réformateur Calvin (1509-1564) donnait ses cours. La cathédrale domine la vieille Genève de toute sa hauteur, et offre depuis le sommet de sa tour un panorama à ne pas manquer sur la ville et le lac. Il vous faudra d’abord grimper les cent cinquante-sept marches qui vous séparent du sommet, et si par chance vous vous y rendez un jour de beau temps, vous pourrez apercevoir le mont Blanc.
Les hôtels de ville commencent à se développer en Europe à partir du XIVe siècle, et Genève ne déroge pas à la règle. La tour carrée du bâtiment, qui date de 1555, est un exemple typique de la Renaissance française. Le développement de l’hôtel de ville se poursuit jusqu’au XVIIIe siècle, où il atteint sa taille et sa majesté maximales. Derrière la cathédrale Saint-Pierre, se situe la plus vieille place de la ville : le Bourg de Four. Son histoire remonte à l’époque romaine. Ses façades offrent plusieurs exemples d’architectures du XVIe siècle ainsi que quelques bâtisses cossues des XVIIe et XVIIIe siècles, mais on retiendra surtout celle du palais de justice, ancien hospice général, et exemple représentatif du style baroque. Il est classé bien culturel d’importance nationale, l’équivalent d’un monument historique français. On peut se rendre à la cathédrale depuis le Bourg de Four par le passage dérobé dit du Degrés de Poule, qui se faufile entre et sous les bâtiments.
Cité lacustre et bourgeoise
Pays de lacs et de montagnes, la Suisse est caractérisée par l’évolution depuis le Moyen Âge de demeures en bois, à colombages puis clayonnages, et leurs boiseries visibles en façade. L’ensemble des bâtiments civils est d’ailleurs réalisé ainsi jusqu’au XIVe siècle, la pierre étant réservée aux édifices religieux. Cependant, en Suisse romande et italienne, la pierre de taille est de rigueur pour la plupart des édifices, y compris les maisons profanes. Ainsi, les demeures de particuliers à Genève sont essentiellement en pierre de taille et sont réservées aux dignitaires et riches marchands. La maison Tavel est un exemple marquant de l’architecture gothique appliquée aux maisons particulières. Construite dans la courant du XIIIe siècle, elle se distingue par ses deux tourelles (dont une seule a subsisté) qui lui donnent des allures de maison forte. Acquise par la ville en 1923, elle est aujourd’hui transformée en musée de l’Histoire urbaine, et donne à imaginer aux visiteurs la vie romande d’antan à travers son intérieur typique.
La ville offre un cadre idyllique au bord du lac Léman, dont le paysage est dominé au sud par le massif du Mont-Blanc. Guillaume-Henri Dufour (1787-1875) fait partie du panthéon genevois. Formé à Polytechnique Paris, ce spécialiste en génie civil plaida pour une amélioration de l’urbanisme aux abords de la pointe du lac Léman, de part et d’autre de laquelle la ville s’étale, à quelques encablures du cours du Rhône. L’aménagement des quais genevois, tels qu’on les connaît encore aujourd’hui, est le fruit de son plan. Ces zones piétonnes autour d’un agréable plan d’eau donnent à la ville son caractère. La contribution de Dufour à un urbanisme piéton se retrouve aussi dans le pont des Bergues (1834), que l’on peut encore emprunter aujourd’hui, et qui traverse le Rhône sur 220 m et relie notamment la ville à l’île Rousseau via une passerelle.
Avec ses nouveaux aménagements, la ville s’apprête à recevoir l’aristocratie et la grande bourgeoisie européenne convoitées. Le Grand Théâtre, dessiné par Jacques-Élisée Goss (1839-1921), ouvre ses portes en 1879. Réalisé sur le modèle de l’Opéra Garnier de Paris, il est la plus grande structure dédiée au théâtre de Suisse romande. Sa façade second Empire tripartite est garnie de quatre sculptures allégoriques : la Tragédie, la Danse, la Musique et la Comédie. Goss est aussi l’architecte du palais Wilson et siège depuis 1998 du Haut-Commissariat des droits de l’homme : il s’agit du vaste hôtel National, à la bien triste histoire. Cet hôtel de luxe est réalisé dans le style qui faisait le faste d’alors : le canon néo-Renaissance à la française, soit deux ailes au toit mansardé de part et d’autre d’un corps central coiffé d’une tourelle. Les intérieurs, vastes, étaient alors richement décorés, parfois à outrance. Manquant de budget, c’est du plâtre en trompe l’œil qui fit office de marbre ou de bois. Les travaux de remblais nécessaires à l’établissement d’une structure si imposante finirent de surgonfler le budget. Ruiné, Charles-Frédéric Aldinger, l’un des deux promoteurs, de dépit se défenestra. L’hôtel excentré sombre en faillite deux ans plus tard. À la fin des années 1910, des travaux de rénovation, dirigés par Marc Camoletti (1857-1940) et son fils Jean (1891-1972), qui avaient signé le musée d’Art et d’Histoire de Genève ainsi que l’hôtel des Postes, incluent l'installation d’un ascenseur, fonction de luxe pour l’époque. Ils déplacent les chambres nobles au dernier étage et remplacent les mansardes par de grandes loggias derrière des verrières qui offrent une vue magnifique sur le mont Blanc. Alors encore en travaux, l’hôtel est racheté par la Société des Nations en 1919. Voilà les architectes obligés de transformer les chambres en bureaux et salles de réunion. Désormais rénové, le palais ne se visite qu’une fois par an, lors des portes ouvertes, mais on peut admirer sa façade lors d’une promenade quai Wilson, avant de poursuivre vers la Perle du Lac. Le musée d’Art et d’Histoire est inauguré en 1910. Il est, comme nombre de bâtiments genevois, d’inspiration parisienne, élaboré sur le modèle du Petit Palais. En surplomb, au sud du centre-ville, il jouxte désormais la très réputée Haute École d’art et de design. On profitera de la promenade de l’Observatoire à la sortie du musée pour admirer la vue imprenable sur le paysage et le centre historique en contrebas.
Genève internationale : entre néoclassicisme et modernité
En 1919, Genève est choisie, en raison du rôle historique de la Suisse dans les relations diplomatiques, comme siège de la toute nouvelle Société des Nations (SDN). La ville qui manque alors cruellement d’équipements pour accueillir aussi bien les employés des futures institutions que les touristes attirés par cette publicité mondiale, se prépare à l’arrivée d’immeubles de bureaux qui vont peu à peu remplacer ses maisons de charme.
L’implantation des institutions est d’abord envisagée au nord-ouest du centre-ville, près du quai du Mont-Blanc. C’est un espace encore mal défini et ces nouveaux bâtiments permettraient de l’assainir. Cependant, le Bureau international du travail se voit céder la campagne Bloch, près du parc Mon-Repos et du domaine de la Perle du Lac. C’est ainsi qu’une implantation hors du centre-ville est finalement retenue. La SDN rachète d’ailleurs l’ensemble de ces domaines en bord de lac en 1926, pensant y implanter son siège – avant de retenir le jardin de l’Ariana, plus à l’ouest, éloigné du lac mais offrant un panorama immanquable.
Un concours est lancé pour la réalisation du bâtiment qui devra accueillir l’institution, mais face à la difficulté de départager près de quatre cents propositions, les architectes Carlo Broggi (1881-1968, Italie), Julien Flegenheimer (1880-1938, Suisse), Camille Lefèvre (1876-1946) et Henri-Paul Nénot (1853-1934, France) ainsi que Joseph Vago (1910-2002, Hongrie) sont finalement choisis pour élaborer un projet commun et international. La première pierre du palais des Nations est posée en 1929 et l’inauguration n’aura lieu qu’en 1937. Trônant dans le parc de l’Ariana, il est le premier bâtiment du parc d’institutions internationales qui s’est développé au bord du lac Léman depuis un siècle, et qu’on appelle communément le jardin des Nations. Il créa aussi de nombreux débats du fait de son style néoclassique très appuyé, que l’on retrouve d’ailleurs sur le Centre William Rappard, bâti suivant les plans d’une villa florentine, et qui abrite aujourd’hui l’Organisation mondiale du commerce.
Les nombreux bâtiments et sièges que compte Genève ont en commun une politique de non-élévation requise par la ville. Ils s'étalent à l’horizontale, et forment de vastes palais, de pierre (pour les plus anciens) et de verre (pour les plus contemporains). Il s’agit de ne faire entrer aucune nouvelle construction en concurrence avec la cathédrale, dont le clocher domine la ville. Bien que les bâtiments soient le fruit de négociations entre les différents pays, œuvres d’autant de compromis, ils ne perdent pas pour autant en intérêt, et ancrent la ville dans un héritage moderne, ponctué de références à des formes classiques. Malgré tout, le modernisme se développe à Genève comme ailleurs en Europe au cours des années 1920-1930. Dans le chef-lieu, le fer de lance de ce genre nouveau est Maurice Braillard (1879-1965). C’est à Genève que cet architecte ouvre son bureau, en 1907. Ses réalisations comprenant les immeubles-squares de Montchoisy (1926-1929), la maison Ronde du quartier de Saint-Jean (1928), et le garage des Nations (1935-1936), qui affirment un caractère profondément moderne.
Triomphe du modernisme
Les années 1950-1960 marquent le triomphe du modernisme dans la querelle du jardin des Nations, incarné par le bâtiment de l’OMS signé de l’architecte Jean Tschumi (1904-1962). C’est le père de Bernard Tschumi (né en 1944), un autre célèbre architecte suisse reconnu pour ses folies au parc de la Villette. La toiture du bâtiment, suspendue au-dessus de son vaste volume, crée un effet de légèreté qui lui donne toute son élégance. Le dégagement du rez-de-chaussée par l’installation de poutres biaises derrière lesquelles se déploie une verrière accentue ce sentiment. Nous retiendrons aussi le subtil effet de dentelle créé par la répétition des pare-soleil aux fenêtres, placées en quinconce et rythmant les façades. Mais le génie architectural de Tschumi s’incarne peut-être encore mieux dans le splendide auvent en porte à faux qui coiffe l’entrée du bâtiment d’une visière sobre et dynamique.
En 1974, c’est l’inauguration de l’Organisation internationale du travail, dont les concepteurs architectes sont Eugène Beaudouin (1898-1943, grand prix de Rome), Pier Luigi Nervi (1891-1979) et Alberto Camenzind (1914-2004). Si la rive gauche était manifestement dominée par le clocher de la cathédrale Saint-Pierre, il fallait que le bâtiment de l’OIT surplombe la rive droite et soit son pendant moderne. Construit sur la colline des Morillon, vu depuis le lac, ce colosse se démarque ainsi du centre-ville du haut de ses 50 m. Avec ses 1 250 bureaux et 2 000 fonctionnaires, il resta pour un temps le plus grand bâtiment administratif en Suisse. Sa structure porteuse fait de colonnes cruciformes dégage de part et d’autre du bâtiment une promenade d’honneur qui s’ouvre sur le parc, derrière une verrière. C’est ce qu’on retient de son architecture, avec sa façade aux 4 500 fenêtres ovales, dont la monotonie ainsi répétée se transforme en véritable ornement. L’OIT est bordé d’un grand parc depuis lequel on peut admirer le bâtiment, qui fait clairement référence au siège de l’Unesco à Paris, et sa façade de béton répond à celle en verre de l’OMS, située non loin de là.
Le renouveau contemporain
La Suisse est fière de ses architectes mondialement connus, tels que Peter Zumthor (né en 1943), Le Corbusier (1887-1965), Bernard Tschumi ou plus récemment Herzog & de Meuron (1950). À Genève, une jeune génération dynamique d’architectes entreprend pas à pas de faire de la ville une référence en matière d’urbanisme moderne. Le chef-lieu du canton est aussi à la pointe du design avec la prestigieuse HEAD. Les Genevois font de plus en plus appel aux talents des architectes pour développer une gamme qualitative en matière d’aménagement et de construction respectant l’environnement.
Joyaux de l’ingénieur Heinz Isler, le pavillon Sicli, ancien centre de l’usine du même nom, est aujourd’hui un pôle architectural et urbanistique de Genève. Il abrite de nombreuses associations et fédérations de la profession, ainsi que la Maison de l’architecture de Genève, qui y organise des expositions. C’est un bâtiment emblématique, que sa toiture ondulée et percée rend sculptural, qui fait figure d’ovni au milieu de la zone industrielle genevoise. Son plan le sépare en deux carrés, l’un réunissant les activités d’exploitation et l’autre, plus petit, les bureaux. Ils sont réunis sous une seule membrane de béton, maintenue par sept piliers. Cette grande voile de béton contraste avec les grandes façades vitrées qu’elle surplombe. Au centre, une grande ouverture donne au bâtiment la touche finale à sa ligne élégante. À la jonction des deux entités de l’usine, un patio planté de conifères est éclairé par une autre ouverture.
Les vagues de verre et d’acier du siège de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), signé Rino Brodbeck (né en 1934) et Jacques Roulet (né en 1945), témoignent de l’engouement des institutions pour des formes contemporaines. Des visites de groupe sont organisées, et permettent notamment de se rendre à la cafétéria sur le toit-terrasse, qui offre une vue imprenable sur Genève et le lac Léman.