La neutralité carbone au pays du pétrole
En octobre 2021, à quelques jours de la COP26 visant à faire appliquer les accords de Paris sur le climat, l'Arabie saoudite a fait une annonce retentissante : elle planifie la neutralité carbone d'ici 2060 !
Venant d'un pays parmi les plus pollueurs au monde, avec 600 millions de tonnes de CO2 produites par an (1,5 fois les émissions de la France), l'annonce peut sembler ambitieuse. Pourtant, les émissions sont nettement en baisse depuis 2017. Pour respecter cette promesse, tous les moyens sont bons : investissement dans des technologies de décarbonisation, plantation de dix milliards d'arbres pour absorber les émissions dans le cadre de l'initiative verte saoudienne, limitation de l'utilisation de l'énergie fossile, investissement massif dans les énergies renouvelables, notamment solaires, avec la construction de nombreuses centrales… Mais alors que le Royaume entend bien continuer l'exploitation pétrolière, et entreprend dans le même temps des projets très polluants, comme la multiplication des usines de dessalement, les experts climatiques s'inquiètent du bien-fondé de cet objectif.
L’écologie, une affaire politique
C'est le ministère de l'Environnement, de l'Eau et de l'Agriculture qui est le chef d'orchestre de la politique saoudienne en matière d'écologie. Mais l'économie se veut toujours prioritaire, au point de refuser catégoriquement toute suggestion de ralentir l'exploitation pétrolière, qui participe pourtant au classement du Royaume parmi les dix pays les plus pollueurs au monde en termes d'émissions de CO2. L'Arabie saoudite a longuement hésité à signer les accords de Paris, et a notamment tenté de faire disparaître l'objectif de 1,5 °C maximum d'augmentation des températures. Le blocage a été tel que le pays a reçu plusieurs Fossil of the Day Awards, des prix satiriques remis par le réseau d'ONG Climate Action Network aux pays ralentissant les négociations pour le climat.
Pourtant, l'Arabie saoudite sera bien obligée de sortir du pétrole, tandis que ses réserves commencent à s'essouffler. Le Royaume organise déjà l'après-pétrole à travers le plan de diversification de l'économie Vision 2030. C'est au cours de ce programme qu'a été lancée, en 2021, l'initiative verte saoudienne visant à organiser un avenir sous le signe de l'écologie. Les objectifs sont ambitieux : planter dix milliards d'arbres pour créer des écosystèmes et absorber les émissions de carbone jusqu'à atteindre la neutralité, fonctionner à 50 % d'énergies renouvelables, recycler la presque totalité des déchets, augmenter les aires protégées…
Quand la sécheresse fait rage
L'Arabie saoudite ne partait pas avec les bonnes cartes en main : un territoire entier sans une seule source d'eau douce permanente, des précipitations extrêmement rares, des températures très élevées pouvant atteindre jusqu'à 50 °C… Mais quand, à cela, viennent s'ajouter le réchauffement climatique et les besoins en eau toujours plus importants d'une population grandissante, la situation dégénère rapidement en une sécheresse extrêmement intense. Sur le banc des accusés : une agriculture peu durable, qui puise inlassablement dans les maigres réserves souterraines d'eau du désert. C'est ainsi que la culture massive du blé, introduite dans les années 1980, a fini par être interdite car trop gourmande en eau. Résultat des courses : alors que seulement 2 % du territoire est cultivable, l'agriculture pompe 88 % des ressources en eau.
La majorité de l'eau du pays est donc importée. Mais le gouvernement planche sur des solutions d'avenir et a notamment investi dans des usines de dessalement parmi les plus importantes au monde. Le Royaume représente à lui seul 18 % de l'eau de mer dessalée du monde. Voilà qui ne va pas arranger son bilan carbone, alors que ces usines sont extrêmement énergivores et représentent des émissions pharaoniques. En avril 2022, le gouvernement saoudien a également donné son feu vert pour un projet de pluie artificielle, par ensemencement des nuages.
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(entdossierthemarub)18641:texteLes zones protégées : refuges de biodiversité
Si le pays compte aujourd'hui plusieurs dizaines de zones protégées sous différents statuts, il entend bien augmenter ce score. Dans le cadre de l'initiative verte saoudienne, il a en effet promis de créer de nouvelles aires protégées pour qu'elles représentent 20 % du territoire.
Parmi elles, le parc national de l'Asir court sur une surface de 6 500 km2, couvrant à la fois des reliefs montagneux et les écosystèmes marins de la mer Rouge. Variant ainsi du niveau de la mer jusqu'à 3 200 m d'altitude, et comprenant de nombreux écosystèmes allant des mangroves aux plaines côtières désertiques de la Tihama, le parc abrite une diversité d'espèces remarquable. On dénombre ainsi 300 espèces d'oiseaux, dont 10 % de rapaces.
C'est un autre trésor que renferme Al Ahsa Uqair National Recreation Area : celui de la plus grande oasis au monde. Inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, l'oasis est bordée de 2,5 millions de palmiers et est habitée depuis des siècles.
La zone protégée Al-Khunfah, située au nord du Royaume, fait quant à elle partie des plus grandes, puisqu'elle couvre près de 20 000 km2. Elle abrite un écosystème désertique typique, mais dont la vulnérabilité rend sa protection d'autant plus précieuse. Comme ailleurs dans la région, sa flore est surtout rase et constituée de quelques touffes végétales. On observe notamment des Tamarix aphylla, une espèce particulièrement adaptée au désert dans lequel elle pousse malgré sa salinité.
Éco-ville dans le désert : utopie ou dystopie ?
Imaginez une ville futuriste, en plein cœur du désert, où les habitants vivraient dans une ligne de 170 km de long, entourée de deux murs, et organisée en plusieurs étages. Lune artificielle, plage de sable phosphorescent, taxis volants, trains parmi les plus rapides au monde, 100 % d'énergies renouvelables pour 0 carbone… Voilà quelques-unes des promesses de The Line, voulue par le prince héritier Mohammed Ben Salmane. Elle s'intégrera dans la future zone Neom, qui a pour ambition de défier la Silicon Valley dans le cadre du projet Vision 2030, visant à organiser l'avenir économique de l'Arabie saoudite en prévision de l'épuisement des ressources en pétrole.
Mais n'est-ce pas un peu trop beau pour être vrai, alors que les associations de protection de l'environnement du monde entier s'inquiètent de l'utilisation colossale de ressources d'un tel projet, dans un désert qui n'en possède aucune, et d'un chantier aussi massif dans un environnement si vulnérable ? Pour l'instant, l'échéance du projet est sans cesse retardée, alors que nombre de ses acteurs se retirent et que l'on recherche encore des investisseurs pour financer les plusieurs centaines de milliards de dollars nécessaires.