De Valdivia au patrimoine inca
Les origines de la culture équatorienne remontent au quatrième millénaire avant notre ère. La civilisation de Valdivia (3500-1800 av. J.-C.) compte parmi les plus anciens peuples sédentaires de l’histoire des Amériques. Elle se distingue par la fabrication précoce de figures féminines en terre. Etablis dans les provinces du Guayas et de Santa Elena, les Valdiviens ont développé une céramique remarquable à dominante de rouge et de gris. Chaque figure féminine étant unique, ces « Vénus » représenteraient des membres de la communauté.
Malgré de précieux sites archéologiques, on sait peu de choses sur l’histoire de l’Equateur avant le XVe siècle. Les vestiges incas sont cependant plus parlants. De nos jours, l’influence inca continue de se faire sentir à travers les traditions, la langue et le savoir-faire équatoriens. Ce peuple est présent dans la région dès le XIe siècle mais il faut attendre le XVe siècle pour que l’Empire inca connaisse une expansion fulgurante. Le plus grand site inca et l’un des rares sites précolombiens d’Equateur, le Sitio arqueológico de Ingapirca, se trouve à 80 km de Cuenca. Conçu par le peuple cañari, il était à l’origine dédié à la lune avant que les Incas le consacrent au soleil et érigent le Temple du Soleil. Non loin, la Cara del Inca présente un visage géant à même la roche.
Le pays est riche en collections archéologiques. Le Museo Municipal de Guayaquil a ceci d’intéressant qu’il couvre l’histoire de la ville à travers toutes les époques, dont de beaux vestiges en pierre sculptée. Toujours à Guayaquil, le Museo Antropológico y de Arte Contemporáneo (MAAC) rend hommage à toutes les cultures équatoriennes, avec de rares sculptures anthropomorphes précolombiennes. Il dispose en prime d’une vue imprenable sur le Cerro Santa Ana. On peut également admirer de l’art précolombien à Quito. Les pièces du Museo Nacional del Ecuador (MUNA) nous entraînent aussi loin que la préhistoire. A l’étage, l’histoire des civilisations équatoriennes est racontée à travers le regard des peintres contemporains. Un contrepoint des plus enrichissants !
Ecole de Quito
Conséquence de la colonisation, la religion catholique est imposée aux Amérindiens. Les ordres religieux franciscains, dominicains et jésuites s’établissent un peu partout. La ville de Quito, qui a prospéré sous les Incas, se hisse en seconde place des cités équatoriennes. D’autres villes coloniales voient le jour comme Cuenca, Ibarra et Riobamba. Aujourd’hui encore, ces localités regorgent d’art baroque.
À l'époque coloniale, Quito acquiert une solide renommée pour la qualité de son art religieux. On doit aux frères franciscains Jodoco Ricke et Pedro Gocial la création de l’Ecole des Arts de Quito en 1551. Sous leur tutelle, les étudiants produisent peintures et sculptures d’une qualité reconnue de tous. Leur originalité tient à leur façon d’allier thèmes chrétiens et indigènes. Des figures religieuses sont mises en scène dans des paysages andins. Dans la cathédrale de Quito, la Cène montre Jésus et ses disciples soupant d’un cochon d'Inde (cuy) – plat traditionnel andin. L’école de Quito atteint son apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles, portée par Manuel Caspicara Chili, Bernardo Legarda et Miguel de Santiago. Où admirer leurs œuvres ? A Quito, au Museo Franciscano Fray Pedro Gocial, ou encore au Museo de Arte Colonial qui conserve le Christ ressuscité de Manuel Chili. Le Museo de arte religioso de la Concepcion à Riobamba dispose de 14 salles de peintures et de sculptures de l’école de Quito, ainsi que d’objets de l’époque coloniale, sans oublier le célèbre ostensoir d’or et de pierres précieuses.
En Equateur, nombre de couvents abritent de magnifiques salles d’exposition. L’un des plus beaux exemples est le musée Miguel de Santiago de l’Iglesia y monasterio de San Augustín.
L’art religieux perdure les siècles suivants, comme on peut le constater au Museo Pumapungo de Cuenca. Après les salles archéologiques, une intéressante collection d'art religieux du XIXe siècle renferme les Christs de Sangurima et de Vélez.
Age de l’indépendance
L’Espagne perd le contrôle de ses colonies au cours du XIXe siècle. L’Indépendance est proclamée en 1830. Parmi les peintres de la période de l’indépendance, Antonio Salas Avilés (1784-1860) élabore une œuvre imprégnée de mysticisme, sans se détacher des paysages andins chers à la période coloniale. Grand portraitiste, il fait partie du costumbrismo, courant qui se veut le reflet des us et coutumes locaux. Il peint aussi bien des personnages religieux que des indigènes. A l’âge de 25 ans, il est déjà considéré comme un peintre majeur. Son influence est immense. En parallèle, le XIXe siècle est marqué par un élan néoclassique.
Mouvement Indigenista
Le XXe siècle voit émerger le mouvement indigéniste mené par Camilo Egas.
Camilo Egas (1889-1962). Né à Quito, ce peintre et enseignant se marie à la danseuse Marta Gibbons. Il séjourne fréquemment à Paris, faisant carrière en Europe et en Amérique. A son retour en Equateur en 1926, il monte sa première galerie d’art. Son art idéalisé se rapproche lentement de la réalité sociale. Sensible à la cause indienne, il joue un rôle clé dans l’émergence du mouvement indigenista qui réunit Diógenes Paredes, Bolívar Mena Franco, Pedro León, et les deux figures de proue, Eduardo Kingman et Oswaldo Guayasamín. Dans le centre historique de Quito, le Museo Camilo Egas présente une exposition permanente de son œuvre.
Oswaldo Guayasamín (1919-1999) tombe très jeune dans la marmite des arts plastiques. Après des études à l'Ecole des Beaux-Arts de Quito, il expose pour la première fois à l’âge de 23 ans. Dès le début, le quotidien du peuple sud-américain apparaît comme son thème de prédilection. Il l’évoque à travers des sujets de société comme l’injustice et les conflits raciaux (Huacaynan). En 1957, il est couronné Meilleur peintre sud-américain à la Biennale de São Paulo. Entre 1960 et 1990, il produit la série de 150 tableaux L’Age de la colère, qui exprime sa révolte contre les dictatures. A l’inverse, L’Age de la tendresse, nous parle d’amour et de douceur. Marqué par Picasso et Goya, il brosse des fresques murales comme celles de l’Unesco à Paris. Outre son cycle de Peintures murales, celui des Portraits imprègne la culture équatorienne. A Quito, on ne manquera pas de visiter la Casa Museo Guayasamín - Capilla del Hombre, son ancienne demeure devenue musée.
Né à Loja d’un père américain, Eduardo Kingman (1913-1997) se forme à Quito, au Venezuela, au Pérou, en Bolivie puis en Californie. Il se fait connaître alors qu’il collabore avec Camilo Egas à l’aménagement du Pavillon de l’Equateur pour l’Exposition Universelle de New York de 1939. Surnommé le « peintre des mains », il reprend ce motif pour sensibiliser à la maltraitance des indigènes. Ses peintures comme ses gravures crient son désarroi et sa peine face aux injustices sociales. On ira se familiariser avec son œuvre expressionniste à Sangolquí, près de Quito au Museo Eduardo Kingman.
Autre membre du mouvement indigenista, Diógenes Paredes porte le titre de « peintre des aborigènes ». Né à Tulcán en 1910, il conçoit l’art comme un vecteur destiné à porter la parole du peuple. Il documente leur réalité quotidienne dans l’espoir de défendre leur cause.
Opposé aux visions de Guayasamín, l’artiste Tabara (1930-2021) se tourne très tôt vers l’abstraction, le constructivisme, puis fréquente le cercle d’André Breton et de Joan Miró durant les années qu’il passe en Europe. A son retour en 1964, ses recherches aboutissent au courant ancestraliste, implanté dans les cultures précolombiennes. Il fonde le groupe Informaliste VAN, qui propose une autre approche d’un art profondément équatorien.
Héritage de Tigua
A la croisée de la tradition et de la modernité, les petites peintures colorées de l’école de Tigua attireront un peu partout votre regard. Elles montrent des scènes de la vie quotidienne, des paysages champêtres, des lamas, des condors, des volcans enneigés, des Equatoriens en costume traditionnel. Sachez que ce courant indigène est né d’une rencontre entre le peintre Julio Toaquiza, originaire de Tigua et un touriste. Ce dernier, en visite à Tigua en 1971, admire les motifs peints par Julio et lui commande un paysage sur bois. Julio a un déclic : il produira des tableaux typiques faciles à transporter. Son succès est tel que le style de Tigua fait école. La valeur patrimoniale de la technique, désormais transmise au sein des familles, est reconnue par l’Unesco. Il est vrai que l’art de Tigua trouve ses racines dans la mythologie et les rituels ancestraux. Derrière leur apparente naïveté, les motifs ont leur symbolique. Le volcan évoque la fertilité, l’énergie vitale ; le couple renvoie aux valeurs familiales. Des images uniques de l’Equateur à glisser dans sa valise.
Art contemporain
Pour dénicher de l’art latino-américain, rendez-vous à la Biennale d’art contemporain de Cuenca qui se déroule au printemps. Tout au long de l’année, l’art contemporain s’épanouit à Quito, où sont réunis plusieurs lieux dédiés. Citons le Centro de Arte Contemporáneo de Quito dans le quartier San Juan, et le très prisé Centro Cultural Metropolitano. Sur ces deux étages, on peut notamment admirer de la photographie. Si la discipline se cherche encore en Equateur, plusieurs photographes font bouger les choses. Paolo Paredes s’intéresse aux questions sociales (santé mentale, genre) en relation avec la culture et la religion. Santiago Serrano a fondé le collectif Paradocs pour soutenir les photographes porteurs de projets en solo ou en groupes. A titre personnel, Serrano expose dans le monde entier.
Retour à Cuenca, où se tient le Festival des cultures urbaines. L’Alliance française multiplie les événements en faveur du street-art, par le biais de commandes de fresques. Elle convie également des street-artistes internationaux comme Katjastroph, qui combine influences multiethniques et imaginaire. Son travail orne désormais les rues de Quito, Cuenca, Loja, Portoviejo et Guayaquil. En hommage à la culture andine, le français The Sémor a composé une peinture murale sur la façade du Marché 10 de Agosto (Cuenca), juste en face du street-artiste équatorien Mathiz Skillz. Le saviez-vous ? La première grande figure féminine du street-art est équatorienne ! Lady Pink s’est imposée sur la scène internationale, après avoir été pionnière du graffiti new-yorkais dans les années 1980. Pink se démarque rapidement par sa palette vive, presque psychédélique, et ses motifs issus de la culture pop. Elle passe ensuite à la peinture sur toile, sans cesser de réaliser des fresques sur commande. Ses œuvres sont entrées dans les grands musées américains (le Whitney, le Met, le Brooklyn museum).
L’art urbain trouve doucement sa place dans les villes équatoriennes. A Guayaquil, entre deux bâtiments du centre, une société privée a installé le Museo al Aire Libre, des peintures locales exposées en plein air. Dans le centre de Quito, la street-artiste engagée Mona Caron a habillé de motifs végétaux la façade d’un immeuble un peu trop gris.