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Aux sources du cinéma indien

La première projection de cinéma en Inde du Sud remonte à 1896, alors que six films des frères Lumière sont montrés à Mumbai alors Bombay, pour le plus grand bonheur des élites coloniales et locales. Quelques années plus tard, le photographe H. S. Bhatavdekar réalise Le Lutteur (1899), une prise de vue de combat de lutte dans les jardins suspendus de Bombay, le tout premier film et premier documentaire indien par la même occasion. Dès 1913, le premier long-métrage national, Raja Harishchandra, sort dans les salles obscures. Fruit du cinéaste Dadasaheb Phalke, considéré par certains comme le père du septième art indien, ce film tire son récit du Mahâbhârata, l’un des textes sacrés hindous. Plus spécifiquement des sacrifices du roi Harishchandra, prêt à tout pour honorer son serment au sage Vishwamitra. Un grand succès populaire, qui va confirmer l'engouement du peuple indien pour le cinéma. Au début des années 1930, le cinéma indien devient parlant, avec Alam Ara d’Ardeshir Irani (1931). Se pose alors la problématique de la langue, une vraie entrave à la diffusion des films sur ce territoire multilingue, mais également au-delà des frontières du pays. Car si la majeure partie de la production de ce qui deviendra bientôt Bollywood est réalisée en hindi, d'autres studios et petits producteurs s'attaquent aux marchés régionaux du sud et sortent des films en tamoul, en marathi, en malayalam et en télougou. Pour pallier ces conflits, les producteurs introduisent la danse et la chanson comme moyens de communication universels, installant du même coup ce qui sera la norme des films indiens à destination du grand public. De cette époque, on retiendra des films splendides comme Karma, de Himansu Rai (1933), Diamond Queen de Homi Wadia (1940) ou encore Kunku de Vanakudre Shantaram (1937). Des œuvres qui s'insèrent dans la dynamique hollywoodienne de grands studios comme Bombay Talkies, Prabhat ou la Wadia Movietone, des compagnies qui vont dominer le paysage audiovisuel indien jusqu'au début des années 1950.

De l'effondrement vers un nouvel âge d'or

Avant Hollywood, l’Inde va connaître la chute des grands studios, sous la pression de nouveaux producteurs qui vont briser le système des acteurs sous contrat, pour proposer des cachets film par film. Une technique périlleuse mais hautement rentable qui perdure encore à l’heure actuelle, tant les têtes d’affiches sont importantes dans le marketing d’un film indien. Parallèlement à cette révolution, certains cinéastes quittent d’eux-mêmes les studios pour gagner en liberté créative, amenant à de nouvelles individualités dans le paysage audiovisuel national. Si, à l’Est, le cinéma bengali voit naître des figures comme Satyajit Ray ou Ritwik Ghatak, le cinéma de Bombay n’est pas en reste avec des réalisateurs comme Khwaja Ahmad Abbas (Les Enfants de la Terre, 1946), Guru Dutt (L’Assoiffé, 1948) ou Raj Kapoor (Le Cireur de chaussures, 1954). Cette effervescence s’exporte d’ailleurs pour la première fois à l’international, et des films comme La Ville basse (1946) de Chetan Anand sont salués dans de grands festivals.

Bollywood à la conquête de l’Asie

« Bollywood », contraction de Bombay et Hollywood, est aujourd’hui l’appellation généralement utilisée pour désigner le cinéma indien en Occident. Mais il convient de préciser que cette industrie, si elle comptabilise le plus grand nombre de films tournés chaque année, n’est qu’une des facettes du cinéma indien. Après un premier âge d’or à l’arrivée du cinéma parlant, ce pôle industriel va connaître un renouveau dans les années 1960, alors que le nombre de films produits augmente encore pour atteindre plus de 200 films par an. Certains acteurs, qui tournent parfois dans plusieurs longs-métrages en même temps, gagnent une popularité folle. Il en est ainsi de Rajesh Khanna (1942-2012), qui tourne dans plus de 160 films entre 1966 et la fin des années 1990. Première superstar de Bollywood, il sera suivi par bien d’autres au cours des années 1970-1980, alors que le cinéma bollywoodien se diversifie pour traiter de sujets plus sombres, parfois même politiques. La comédie musicale et le mélodrame restent cependant le genre privilégié, même si plus récemment le cinéma d’action s’est également invité parmi les grands succès du box-office. Depuis les débuts des années 2000, ces films s’exportent également de plus en plus à l’international, et engrangent plusieurs dizaines de millions à l’international, chaque nouvelle superproduction battant le record de la précédente. De ces œuvres, la comédie Trois Idiots (Rajkumar Hirani, 2009), le film d’action Singham (Rohit Shetty, 2011) ou le biopic Dangal (Nitesh Tiwari, 2016) sont trois exemples de style bien distincts, mais reprenant pour autant les codes chers à cette industrie toute particulière.

Les autres cinémas d'Inde du Sud

Au sud-est de Bollywood, un autre pôle industriel de cinéma se développe autour d’Hyderabad. Réalisés en tamoul ou en télougou, ces productions sont regroupées sous le sobriquet de Tollywood, afin de les distinguer de leurs homologues bollywoodiennes. Premier film tollywoodien parlant, Bhakta Prahlada est réalisé en 1932, en télougou. Aujourd’hui, les productions régionales sont souvent réalisées en version multilingue, afin de faciliter leur diffusion. C’est le cas de la saga La Légende de Baahubali, du cinéaste S.S. Rajamouli. Un récit entre histoire et mythologie produit simultanément en tamoul, télougou, malayalam et hindi, et qui devint en 2011 le film le plus cher de l’histoire du cinéma indien, avant de devenir l’un de ses plus grands succès. Autre bastion de cinéma, coproducteur de nombreux films tollywoodiens, la ville de Chennai (anciennement Madras) abrite le second plus important pôle industriel du cinéma indien, juste derrière Bollywood. Kollywood, du nom du quartier Kodambakkam qui l’abrite, produit un cinéma qui s’exporte très bien en Asie du Sud-Est, tout en étant régulièrement sélectionné dans les festivals internationaux. Kanchivaram du cinéaste Priyadarshan (2009) fait ainsi sa première américaine à Toronto, tandis que Enthiran, science-fiction réalisée par S. Shankar, fait une sortie remarquée sur le marché américain en 2010. Tout récemment, les blockbusters de Kollywood comme Bigil (2019) ou Vikram (2022) ont su dépasser les frontières de la région pour s’imposer comme certains des plus gros succès du cinéma indien, grâce notamment à leurs résultats dans des pays voisins comme la Malaisie, Singapour, ou même le Japon.

Encore plus au sud, le septième art fleurit également au Kerala, centre névralgique du cinéma en malayalam, ou « mollywoodien ». Avec un parti pris plus réaliste, ces films ont été maintes fois reconnus pour leurs qualités cinématographiques, et ont représenté l’Inde aux Oscars à trois reprises. Depuis plus de 25 ans, le Festival international du film du Kerala rassemble les cinéphiles de la région à Thiruvananthapuram, et représente l’un des événements majeurs de l’agenda du septième art en Inde.

Quatre films majeurs du cinéma indien du Sud, entre hier et d’aujourd’hui

Mother India. L’un des plus grands succès des années 1950, Mother India de Mehboob Khan narre l’histoire d’une mère de famille pauvre, et de son combat pour offrir une vie décente à ses enfants face à l’adversité, et à un usurier peu scrupuleux. Récit en deux époques, le film est une fresque grandiose dépeignant l’Inde en pleine transition, entre tradition et modernité. Avec à son casting les plus grandes stars de l’époque (Nargis, Sunil Dutt, Raaj Kumar, Rajendra Kumar), Mother India ou Les Bracelets d’or en français sera le premier film indien nommé aux Oscars dans la catégorie meilleur film étranger, et reste un incontournable pour tout cinéphile voulant se plonger dans l’histoire du pays.

Devdas. Devdas narre la romance impossible entre deux personnages issus de milieux opposés, mais dont l’amour outrepassera les différences. Sorte de Roméo et Juliette revisité par l’écrivain Sarat Chandra Chatterjee en 1917, ce récit extrêmement populaire a depuis fait l’objet de seize adaptations sur les grands écrans, autant par Bollywood que par les autres pôles de cinéma indien. La plus connue de ces adaptations est celle de Sanjay Leela Bhansali, réalisée en 2002, avec les superstars Shah Rukh Khan et Aishwarya Rai au casting. L’un des films les plus rentables de la décennie, il a fortement contribué à la diffusion de la culture Bollywood en France, où il a comptabilisé plus de 100 000 entrées.

Gangs of Wasseypur. Dans une petite ville minière de l’État de Jharkhand, deux clans s’affrontent pour le contrôle des richesses de la région. Drame mafieux s’étalant sur plusieurs générations, ce film en deux parties du cinéaste Anurag Kashyap a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 2012. Amateurs de cinéma de gangsters, vous ne pourrez pas passer à côté de cette saga captivante, parfois teintée d’humour lorsque les acteurs singent le cinéma bollywoodien classique, reprenant certaines répliques que seuls les connaisseurs pourront repérer.

RRR. Avec La Légende de Bahubali, le réalisateur S.S. Rajamouli a su s’imposer comme l’homme de tous les records. RRR, son dernier film sorti en 2022, ne déroge pas à la règle. Production la plus chère de tous les temps, cette vision romancée de la jeunesse de deux révolutionnaires célèbres est devenue en quelques mois l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma indien, grâce à sa sortie multilingue. Le film est un véritable festival de scènes rocambolesques, tout en étant accessible à toutes et tous. Son récit teinté de rébellion vis-à-vis de l’autorité coloniale le rend très actuel, et la relation de conflit fraternel qui s’installe entre les deux superstars Ram Charan et N.T. Rama Rao Jr., les deux protagonistes principaux du film, fera pâlir les meilleurs buddy movies hollywoodiens. Un must pour vous faire votre avis sur le cinéma indien moderne, pas forcément subtil mais toujours grandiose.