Guide de voyage Silhouette
Abrupte et sauvage à la Jurassic Park, elle semble, de loin, imprenable : Silhouette, la troisième île de l'archipel par sa surface. Pourtant, cette montagne posée sur l'océan ne doit pas son nom à son imposant profil, mais à Étienne de Silhouette, contrôleur des finances de l'île de France. Bien que très proches l'une de l'autre, puisqu'à peine 20 km les séparent, Mahé et Silhouette n'ont rien en commun, excepté leur origine granitique et leur végétation luxuriante. Sans routes ni voitures, cette grosse émeraude de 25 km2 est restée intacte. Et unique ! Alors que les autres îles granitiques du groupe de Mahé accusent un âge de 765 millions d'années, cette jeunette de Silhouette, elle, n'est âgée que de 63 millions d'années. Vestige d'un volcan qui s'élevait à 3 000 m d'altitude, elle nous ramène à une époque où un cataclysme provoqua sur la terre l'extinction massive de plusieurs espèces, y compris des dinosaures. C'est cette forêt immergée, aux allures de jungle mais le danger en moins, que viennent trouver là les amateurs de randonnée pédestre et autres écotouristes... sinon fortunés, au moins aisés. Quel plaisir, en effet, de crapahuter entre ces gros rochers d'où jaillit une nature exubérante ! Palmistes, lataniers, albizzias, gayacs, vacoas, badamiers, jacquiers, calices du pape, entre autres, recouvrent la plus belle forêt équatoriale de tout l'océan Indien, où vivent d'innombrables espèces endémiques, tant pour la faune que la flore, de vanille en cannelle et de fougères arborescentes majestueuses en herbes médicinales rarissimes. Quel bouquet de senteurs au gré des chemins, celles notamment de l'ylang-ylang et du rare bois de santal !
Une forêt primitive. Cette verdure dévorante est un cadeau des cieux, qui alimentent de nombreuses rivières, coiffant régulièrement la montagne d'une imposante couronne de nuages, l'île étant la plus pluvieuse du groupe de Mahé. Une pluie bénie pour l'épaisse végétation de ce plateau montagneux couronné par les monts Dauban, Gratte Fesse, Corgat et Poules Marrons. C'est sur la plus belle plage de cette montagne encore originelle que des Italo-Seychellois ont bâti il y a un quart de siècle déjà le premier hôtel de l'île, dans un esprit très nature, dans le prolongement de La Passe, le seul village de l'île, géré par la société para-étatique Island Development Company (IDC). Celle-ci, aux beaux temps du régime progressiste, à la même époque, en avait fait une de ses vitrines du développement " à la prézidan René ". Rachetée par l'État en 1983 aux quatre-vingts actionnaires français qui la détenaient depuis 1960, Silhouette fut bientôt transformée.
Entré dans l'économie de marché, l'archipel s'est ouvert aux investisseurs étrangers depuis 2006. Un centre de santé et des maisons neuves ont été construits, le 5 étoiles Labriz, géré par Hilton, ayant eu en fait maints effets sur le fonctionnement de l'île. L'hôtel ayant quintuplé la population (jusqu'à 200 clients et 350 employés !), il a fallu ainsi traiter, en amont de l'ouverture, l'alimentation en eau potable, l'élimination des déchets et l'assainissement. La Passe, en tout cas, continue à se la couler douce, dans une nonchalance certaine. Les vieilles cases créoles ont désormais presque toutes disparu. Abritant une menuiserie, l'antique calorifère, vestige du temps où l'île était grande pourvoyeuse de coprah, a heureusement été conservé. Autre survivance de l'époque coloniale, face aux deux jetées d'accostage, la superbe Gran Kaz a, elle aussi, été sauvegardée, face à la jetée. Restaurée afin d'offrir un cadre typique à la table créole du Labriz, ce monument national rappelle aussi le temps des Dauban, qui employèrent sur l'île jusqu'à un millier d'ouvriers agricoles.
La Madeleine miniature. Les Dauban à Silhouette ? Toute une histoire et une famille, le fils de Catherine et d'Auguste, Henri, constructeur de bateaux à voile et de calorifères à coprah, planteur et éleveur. Il est devenu illustre par sa participation aux Jeux olympiques de Paris, en 1924, en tant que lanceur de javelot. Cette figure seychelloise repose aujourd'hui parmi les palmiers, à l'écart du village, dans le monumental et incongru tombeau familial, cerné de superbes lataniers bleus.
En continuant le chemin menant à ce monument singulier, on parvient dans d'autres sites remarquables, naturels ceux-là, avec la Grande Bleue dans le tableau et des palmes à gogo. D'un côté, un court chemin mène à Anse Cimetière, dont la petite plage est adorable. De l'autre, cap jusqu'à la sauvage Anse Patates, précédée de l'Anse Lascars. Entre les deux, des hauteurs de la pointe Zeng Zeng, la pose photo s'impose, en bleu et vert. Plus époustouflant de beauté encore, en version plus plongeante, le panorama, dont on jouit des hauteurs du pentu glacis (une colline rocheuse) qui donne sur le chemin d'Anse Lascars, mérite qu'on sollicite ses jarrets pour atteindre les vacoas, tout là-haut. Tel Robinson dominant son île, on se sent un instant maître de cette terre flottant dans le bleu des cartes, en plein océan Indien.
Moins panoramique, mais plus sportive, la balade à Anse Mondon est aussi un bel objectif. Du bout de la baie Cipailles, une heure et demie s'impose pour gravir ce petit morne et redescendre vers cette anse cachée. Mais la vraie randonnée, la grande randonnée, celle par laquelle on conquiert vraiment Silhouette, c'est celle qui mène à Grand Barbe, de l'autre côté de la montagne, au pied de l'impérial mont Dauban. Comptez trois heures (deux de montée, une de descente) pour atteindre ce décor féerique par un sentier parfois approximatif qui se fraye un chemin entre le mont Gratte-Fesse et le mont Corgat, un périple qui parfois oblige à rebrousser chemin. Aussi, si vous osez entreprendre l'expédition, n'hésitez pas d'abord à brûler un cierge à Notre-Dame-du-Rosaire, la modeste église locale au toit de tôle, située juste en face du début du sentier, lequel, dix minutes plus haut, après le réservoir, se scinde en deux : pour Grande Barbe, c'est sur la gauche. À la force des mollets, très sollicités çà et là par des racines qui ont fonction de marches, il ne reste qu'à suivre le tracé qui, dans le dernier tiers, devient à certains endroits moins évident. À l'arrivée, extase assurée, face à cette vaste cocoteraie de front de mer qui valait bien ces trois heures musclées. Arrivé au village, l'enchantement reste intact avec ce site de toute beauté, dans lequel s'inscrivent de hauts cocotiers et quelques vieilles bâtisses créoles encore dans leur jus, et dans lesquelles on se verrait bien passer quelques jours. Combien d'autres lieux dignes de balades... au sommet, telle celle du jardin Marron, au centre de l'île, où plusieurs cocotiers de mer, plantés dans les années 1940 par Henri Dauban, ont bien prospéré.
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