Temps anciens
La sculpture occupe une place de premier ordre dans la culture indienne. Dès la préhistoire, des statues de modestes dimensions sont façonnées en terre cuite ou en stuc. En parallèle de ces icônes, quelques siècles avant notre ère, apparaissent les premières créations de grande taille, sculptées dans la pierre. Puis, à partir du Ve ou VIe siècle, la technique du bronze coulé à cire perdue, qui a recours à un moule, est adoptée. De longs reliefs narratifs s’étalent sur les murs. Ce moyen d’expression demeure florissant en Inde jusqu’à la fin du VIIIe siècle.
Sous le règne de Narashimavarman Ier, au VIIe siècle, des bas-reliefs ornent des temples et des cavernes, encore visibles de nos jours dans la région de Chennai. Les sculptures rupestres des Cavernes de Mahabalipuram sont la parfaite illustration de l’art populaire hindou. Parmi les sanctuaires taillés dans la roche dans cette même ville de Mahabalipuram, le Shore Temple (Temple du Rivage), dans celui qui est dédié à Shiva, un haut-relief montre la divinité en famille, ou en Somaskanda, c'est-à-dire avec son épouse Parvati et l'enfant Skanda. Sur la paroi nord, la déesse Durga apparaît en Mahisamardini, nom donné à la forme guerrière. Chevauchant son lion, elle pourchasse le démon Mahisa, reconnaissable à sa tête de buffle. Côté sud, Vishnou est représenté couché sur le serpent Ananta, symbole du temps infini, tandis que deux démons (le mal et l’ignorance) s’acharnent à le réveiller. Dans la caverne de Varaha 2, dont les colonnes sont soutenues par des lions à cornes, on découvre Vishnou en sanglier portant la déesse Terre tout juste sortie des eaux. Vishnou apparaît à plusieurs endroits du site classé au Patrimoine mondial de l’Unesco en nain brahmane ou encore en berger.
Caractéristiques de l’art indien
La particularité de l’esthétique indienne est sa permanence. Certaines caractéristiques perdurent depuis deux millénaires, et se retrouvent dans tous les genres. L’art à vocation religieuse domine, même s’il existe un art profane. Cependant, la religion et la vie courante sont tellement imbriquées qu’il est souvent difficile de les distinguer.
La figure humaine est volontiers idéalisée. Généralement représentée à l’âge adulte, elle n’expose pas de signe de vieillissement, de maladie ou de faiblesse. Pas de pudeur non plus, mais une exaltation du corps humain. Le nu est à peine voilé d’un vêtement léger. La femme affiche fièrement sa sensualité, avec raffinement et douceur.
Les artistes indiens, sculpteurs et peintres, puisent allégrement dans le panthéon aux 33 millions de dieux. Toutefois, la grande Trinité, composée de Brahma, Vishnou et Shiva, est largement favorisée. Chacun possède plusieurs apparences et attributs, en fonction du récit à raconter. À cela s’ajoutent les croyances locales, qui enrichissent encore l’éventail des incarnations. Ces avatars s’inspirent du règne animal, et des qualités attribuées à chaque espèce. Ainsi, les artistes indiens sont douées pour représenter les animaux.
Des traités énonçaient clairement aux artistes les canons à respecter. La confection d’icônes répondait en particulier à des règles strictes. Pour autant, les normes n’ont jamais entravé le dynamisme de l’art indien. Il en va de même pour les fresques sur lesquelles se déroulent des scènes religieuses. Dans tous les domaines artistiques, et sans jamais s’essouffler, l’art indien fait preuve d’un sens de l’équilibre magistral, et d’un goût exceptionnel pour le détail.
Émergence du classicisme
La dynastie des Gupta (IVe-VIe siècle) est marquée par le recul de la figure humaine, au profit des sujets divins. Les sujets brahmaniques profitent d’une perfection graphique acquise au fil des époques. L’art, en sculpture comme en peinture, demeure narratif, mais perd peu à peu de sa chaleur. Le style classique se répand dans toute l’Asie, et prendra de nouvelles formes au cours des siècles à venir, notamment au Cambodge.
À travers l’Inde, des écoles locales se différencient à partir du VIIe siècle. La régression du bouddhisme, qui disparaît au XIIe siècle, a des répercussions sur les arts plastiques. La religion védique qui lui succède inspire des œuvres plus mouvementées mais aussi plus grandioses.
Deux tendances se dessinent alors : celle qui perpétue les canons, et celle qui associe la sculpture à l’architecture.
La peinture, moins développée, s’enrichit d’influences iraniennes puis européennes. Les peintres exécutent pour l’essentiel des portraits et des scènes de cour. De leur côté, les miniaturistes illustrent les poèmes brahmaniques. Les palais sont ornés de fresques mais aussi de galeries de tableaux. À ce titre, une impressionnante collection de peintures du XIXe siècle se découvre à Cochin, au Musée Pareekshith Thampura, également connu sous le nom de Durbar Hall Art Gallery. Le musée archéologique abrite par ailleurs des sculptures et des objets ayant appartenu à la famille royale.
Mouvement de Madras
Le modernisme indien arrive par ce courant, formé dans les années 1960 à Chennai. Dans les années qui suivent l’Indépendance, acquise en 1947, les artistes questionnent l’identité nationale à travers la recherche esthétique. Le premier directeur indien de la Madras School of Arts and Crafts, Devi Prasad Roy Chowdhury, instaure un cursus artistique, le premier de toute l’Inde du Sud. Ce programme pose les jalons du premier courant d’art moderne. L’élan est étendu par K.C.S. Paniker, qui prend la direction de l’établissement entre 1957 et 1966. Dès le début des années 1960, quelques artistes se rapprochent autour d’une soif de modernité. En sculpture, le mouvement est porté par S. Dhanapal.
Des étudiants venus d’autres États entretiennent la tendance sur trois décennies. Mais contrairement à d’autres mouvements modernes comme le Bombay Progressive Artists Group, l’École de Madras rejette toute inspiration européenne, dont l’expressionnisme. Ils puisent dans l’histoire, la mythologie, le folklore, l’iconographie locale, pour concevoir un vocabulaire nationaliste. Figuration et abstraction coexistent. K.V. Haridasan (1937-2014), pionnier de l’art néo-tantrique représente la tendance abstraite ; C. Douglas, peintre et sculpteur né en 1951, débute dans l’abstraction géométrique, avant de s’implanter au village de Cholamandalam où il mélange les moyens d’expression et la figuration à l’abstraction.
Certains plasticiens se regroupent au village de Cholamandalam, sur l’East Coast Road. La communauté a porté sur ses épaules la reconnaissance du modernisme. À découvrir au Cholamandal Center for Contemporary Art à Chennai.
Femmes peintres
Considérée comme la pionnière, Amrita Sher-Gil (1913-1941) montre aux femmes indiennes que le domaine des arts visuels n’est pas réservé aux hommes. D’origine hongroise et sikhe, Amrita Sher-Gil reçoit une éducation artistique diversifiée. Formée à la musique, elle se révèle très jeune douée pour le dessin. À Paris, elle s’inscrit à l’académie de la Grande Chaumière, puis aux Beaux-Arts. Elle excelle dans l’art du portrait, mais se tourne vers la peinture au grand air. Son style évolue vers la simplification dès lors qu’elle retourne en Inde. Là, elle exprime sur la toile son image de l’Inde à travers des portraits de locaux. Son style reste à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Elle réalise en 1937 une trilogie du Sud de L’Inde, dont Brahmacharis demeure l’une de ses œuvres les plus abouties. Son style épuré touche autant les formes que les couleurs. Elle part se marier en Hongrie puis revient en Inde. L’artiste n’a de cesse de bouleverser les codes, et s’attaque à la représentation de la femme dans Woman Resting on Charpoy (1940). Ses œuvres sont données à la Nation après son décès, survenu à l’âge de 28 ans. Célébrée dans les années 1970 et 1980, elle est souvent citée dans les débats sur l’identité.
L’année où Amrita Sher-Gil peint son chef-d’œuvre, en 1937, la première artiste abstraite indienne Zarina Hashmi voit le jour. Si Zarina fera carrière aux États-Unis, elle continuera d’utiliser des techniques traditionnelles, comme la xylographie pour évoquer l’exil dans un style minimaliste.
Scène actuelle
L'art contemporain indien regroupe quantité de styles. Nombre de ces talents sont reconnus au niveau international. D’Anish Kapoor, on se souvient de la sculpture vandalisée dans les jardins du château de Versailles. Né en 1954, il s’installe à Londres dans les années 1970 mais continue de se revendiquer habitant de Mumbai. Dès ses débuts, son style épuré attire l’attention. L’intérêt grandit à mesure que ses œuvres posées à même le sol prennent des proportions gigantesques. Kapoor joue avec les surfaces. D’abord réfléchissantes, elles sont ensuite peintes au Vantablack, un noir qui absorbe la lumière pour créer l’illusion d’une cavité. Il est récompensé à la Biennale de Venise, puis du convoité Turner Prize.
Son contemporain Atul Dodiya se fait remarquer en 1999 avec une série sur le Mahatma Gandhi. Désormais, l’artiste introduit des images de Bollywood dans ses installations et assemblages photo.
La sculptrice Sakshi Gupta, née en 1979, recycle des matériaux du quotidien et leur confère une pointe de spiritualité à l’aide de la lumière. Certaines compositions évoquent les animaux de la mythologie indienne, comme la grandiose Some Beasts.
Superstar de l’art contemporain, Subodh Gupta est né en 1964. D’origine modeste, il se forme à la peinture avant de varier les médias. Il finit par se consacrer à la sculpture, sa thématique tournant autour de la culture indienne. Vaches et objets du quotidien sont présentés pour refléter les changements économiques de son pays.
Où ?
À Chennai, les artistes populaires de l’Inde du Sud se retrouvent à la galerie d'art Faraway Tree. Depuis 1965, le respecté Sarala Art Center défend la jeune création indienne à travers le monde.
À Alwarpet, la Focus Art Gallery se concentre sur l’art le plus novateur. Artistes internationaux ou indiens, l’originalité est de mise dans ce temple de la création contemporaine.
À Cochin, de nombreuses galeries d’art participent au dynamisme. Citons la visionnaire Kashi's Art Gallery (Burger Street). Dans un pays où l’art est omniprésent, les spots de street art abondent.
À Mumbai, le vieux quartier de Bandra est le berceau de l’art des rues. Entre Chapel Lane et Bazar Road, fresques et graffitis recouvrent les façades et les ponts.
Avec l’aide la fondation St+art India, les festivals dynamisent des quartiers comme le Mahim Art District à Mumbai, et le Kannagi à Chennai. Des fresques sur le thème de l’amour, la paix et la vie de quartier, peintes à la main, s’inscrivent en dignes héritières d’un art ancestral.