La révolution verte : un désastre écologique
En 1947, l’Inde proclame officiellement son indépendance, après deux siècles de colonialisme britannique. Se profile alors l’un des plus grands défis auxquels elle devra faire face : assurer la sécurité alimentaire de son peuple. Elle organise son autonomie alimentaire, en renforçant ses méthodes agricoles, à commencer par l’introduction des pesticides, seulement un an après l’indépendance. Cette période, appelée la révolution verte, atteint son apogée dans les années 1960, alors que l’agriculture indienne est en pleine explosion.
L’un des problèmes est notamment que les cultures du riz et du coton, très répandues en Inde, sont particulièrement traitées, menant à une contamination de l’eau, de l’air et des sols. C’est ce qu’ont pu constater les habitants du Kerala, dont 10 000 ont été intoxiqués après un empoisonnement à l’Endosulfan à la fin des années 1990, ce qui a mené en 2012 à l’interdiction du produit. Rebelote en 2017, dans l’État du Maharashtra, lorsque plus de 800 paysans de Yavatmal ont été empoisonnés, et au moins 20 sont morts, exposés à des cocktails de pesticides extrêmement toxiques.
Ces mêmes agriculteurs, fréquemment surendettés, sont aujourd’hui extrêmement vulnérables face aux aléas climatiques, aux baisses de rendements et aux problèmes de santé de plus en plus fréquents, si bien que depuis 30 ans, l’Inde fait face à une vague de suicides parmi les agriculteurs. Le phénomène est tel que le Bureau national des archives criminelles indien y consacre depuis 2014 un pan entier de son rapport annuel. Ironie du sort : la révolution verte qui aura réussi à éliminer la famine dans les années 1960, menace aujourd’hui la sécurité de l’Inde.
Toutefois, la crise alimentaire aura le mérite d’éveiller les consciences, et déjà, une agriculture plus naturelle s’organise. Tout au sud du pays, dans l’État de l’Andhra Pradesh, 800 000 paysans ont décidé de cultiver leurs terres sans aucun pesticide, ce qui en fait le plus grand projet d’agroécologie au monde ! C’est en réaction directe à la vague de suicides de paysans que le conseiller agricole du gouvernement, Vijay Kumar, aurait décidé d’instaurer ce programme, dans l’une des régions les plus agricoles d’Inde.
La sécurité alimentaire mondiale menacée
Une crise de l’eau, quelle ironie dans le pays qui détient le record de pluviométrie ! La plus importante ressource du pays est aussi la plus rare, en raison d’un manque d’infrastructures et d’une piètre qualité de l’eau. Les nappes phréatiques, surexploitées, s’essoufflent dangereusement. Les installations sanitaires ne parviennent à traiter qu’un quart des eaux usées, les industriels, agriculteurs et villes rejettent leurs eaux souillées sans précaution. Et pour sceller l’équation, la consommation d’eau indienne augmente sans cesse. Les prédictions sont alarmantes : on estime que 40 % de la population indienne n’aura pas suffisamment accès à l’eau d'ici à 2050. La crise est d’ailleurs en partie le résultat de la fameuse révolution verte : l’agriculture pompe 80 % de l’eau du pays, principalement puisée dans les nappes. En fait, l’Inde a basé sa stratégie sur cette précieuse eau souterraine, au point d’en devenir le plus grand consommateur mondial, avec 250 milliards de mètres cubes extraits chaque année : plus que la Chine et les États-Unis réunis. Un rapport du NITI Aayog, une cellule du gouvernement indien ayant pour but d’organiser le virage écologique, prédit que 21 grandes villes indiennes, dont Chennai, Bengalore, ou Hyderabad, capitale du Telangana, auront épuisé leurs sources souterraines d'ici à 2030. En surface, ce n’est pas beaucoup mieux : les rivières, pompées trop intensément, s’assèchent et les fleuves sont pollués.
En plus, les canicules et épisodes de sécheresse se succèdent, conséquences directes du dérèglement climatique. Au printemps 2022, la sécheresse remplace les moissons, si bien que les rendements de blé ont largement diminué. Pour assurer la sécurité alimentaire de sa population, le gouvernement indien décide de suspendre les exportations, alors même que la situation est déjà préoccupante, du fait des arrêts d’exportations ukrainiennes.
La gestion des déchets d’un milliard d’habitants
Avec 1,4 milliard d’habitants, l’Inde croule sous les déchets. Dans les villes et villages indiens, les déchets s’amoncellent parfois jusqu’à former des montagnes de plusieurs dizaines de mètres de haut. En s’infiltrant dans les décharges à ciel ouvert, les moussons se chargent de matériaux toxiques, avant de terminer leur course dans les nappes phréatiques, puisées pour étancher la soif des populations et de l’agriculture. En plus des sols et de l’eau, l’air est pollué, à cause de l’incinération intempestive des déchets, troisième cause d’émission de gaz à effet de serre dans le pays. Le problème est d’ailleurs particulièrement présent dans les villes du Sud de l’Inde et Mumbai est la ville d’Inde produisant le plus de déchets, bien loin devant Delhi.
Le pays tente de lutter, en interdisant par exemple l’utilisation de sacs en plastique à partir de juillet 2022. Le Premier ministre, Narendra Modi, a lancé un programme national de gestion des déchets en 2014, nommé Clean India Mission, qui prévoyait le nettoyage des rues, la gestion des déchets solides et d’instaurer le recyclage. Désormais, plus de 80 000 quartiers urbains reçoivent une collecte de leurs déchets directement à leur porte, et plus de 65 000 pratiquent le tri sélectif : une avancée majeure. Si, d’après l’Environment Protection Act de 1986, c’est le gouvernement qui a la charge de lutter contre la pollution, les initiatives citoyennes fleurissent pourtant. L’un des plus grands succès a eu lieu aux abords de Mumbai, sur la plage de Versova, où s’est organisé spontanément le plus grand nettoyage de plage au monde. À la place du sable fin qu’elle recouvrait, se trouvait une épaisse couche de déchets, atteignant jusqu’à 1,60 mètre. D’un seul riverain excédé, le mouvement a rapidement été rejoint par une foule de volontaires, auxquels la mairie a fini par prêter des bennes. Au total, 5 000 tonnes de déchets ont été retirées de la plage. La plus grande fierté des volontaires : après des décennies, les tortues sont revenues pondre sur la plage.
Le défi de l’énergie
L'Inde est le deuxième consommateur et producteur mondial d’énergie charbon, avec une consommation de plus de 11 % des ressources mondiales. Elle est encore fortement dépendante de cette énergie non renouvelable, puisque les deux tiers de son énergie proviennent des centrales charbon et le reste vient principalement du pétrole. Pourtant, la transition énergétique est cruciale, parce que, portés par la croissance démographique et économique du pays, les besoins en électricité augmentent : ils ont doublé depuis 1990, et devraient doubler à nouveau d'ici à 2040.
L’utilisation excessive du charbon provoque une pollution de l’air démesurée. D’ailleurs, six des dix villes les plus polluées au monde se trouvent en Inde, avec Mumbai particulièrement bien classée. Toutefois, le pays montre une réelle volonté de corriger le tir et augmente considérablement la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique. Il compte notamment tirer parti du soleil et a multiplié par six ses capacités de production d’énergie solaire au cours des cinq dernières années. L’énergie éolienne est, elle aussi, développée au point que le pays a le cinquième plus grand parc éolien au monde, particulièrement développé dans la pointe sud du pays.
La menace de la déforestation
La croissance exponentielle de la population et de l’économie indienne menace les territoires, si bien que la biodiversité indienne, si riche, est menacée par la déforestation. Alors qu’originellement, elle est presque entièrement recouverte de forêt, elle ne représentait plus que 19 % du pays dans les années 1980 ; 50 000 km2 de forêt ont été rasés depuis l’indépendance, l’équivalent de la superficie de la Croatie ! Une poignée de lois ont été promulguées pour lutter contre la déforestation, mais en pratique, elles ne sont que peu appliquées, et les populations et industriels ont encore l’habitude de couper du bois pour construire, faire paître le bétail ou se chauffer. Ainsi, plusieurs essences, pillées pour leur valeur, ont quasiment disparu des forêts indiennes, comme le bois de santal, l’acajou, le teck ou le bois de rose, sans parler des nombreuses espèces animales menacées par la perte de leur habitat.
Pourtant, les efforts de l’Inde ne sont pas vains, et, depuis les années 2000, elle a même réussi à augmenter le couvert de forêt, qui est passé de 19 à 21 % : des résultats encore fébriles, mais encourageants. Les initiatives citoyennes, souvent portées par des associations, se multiplient également, comme dans le Tamil Nadu, où plus de 100 millions d’arbres ont été plantés en quelques années.
Le pays aux 100 parcs nationaux
Avec un peu plus d’une centaine de parcs nationaux, l’Inde est le troisième pays d’Asie avec le plus grand nombre de parcs nationaux. Pourtant, il y a à peine cinquante ans, elle n’en comptait que cinq. Environ un tiers des parcs nationaux est situé en Inde du Sud, en particulier dans les États du Tamil Nadu, Maharashtra, Andhra Pradesh et Karnataka. La plupart de ces parcs ont été construits dans des anciens domaines de colons britanniques : de terrains de chasse, ils sont devenus sanctuaires de biodiversité. Ces efforts réels pour préserver l’écologie sont nécessaires lorsque l’on sait que l’Inde abrite près de 50 000 espèces de plantes, dont plus de 10 % sont endémiques, et 90 000 espèces animales, menacées par la destruction de leur habitat.
Le Bandipur National Park est le plus grand d’entre eux, et le deuxième plus grand d’Inde, avec près de 900 km2 de superficie. Il a été créé en 1973 dans le cadre d’un projet de conservation des tigres du Bengale, dont il abrite la deuxième plus grande population d’Inde.
La forêt de Bandipur borde les frontières de trois autres parcs nationaux, dont le Rajiv Gandhi National Park (Nagarhole) et le Mudumalai National Park. Le premier abrite lui aussi des félins comme les tigres, mais aussi des panthères noires et des léopards. Dans le dialecte local, Nagarhole signifie « la rivière serpent », en référence à la rivière Kabini qui ondule à travers l’épaisse forêt tropicale. Le deuxième, en plus d’être déclaré comme une réserve de tigres, abrite différents mammifères comme l’éléphant, le gaur, le sambar, le porc-épic, l’écureuil géant, mais aussi 266 espèces d’oiseaux comme le calao gris ou l'arrenga de Malabar avec une superbe robe bleue.
En dehors du continent, les îles Andaman-et-Nicobar abritent également des parcs nationaux, et notamment le Mahatma Gandhi National Park, qui a pour vocation de protéger la faune et la flore marines, en particulier les coraux et les tortues.