Découvrez les Cyclades : Architecture (et design)

Berceau de notre civilisation, la Grèce offre au monde ses temples mythiques depuis des millénaires. Mais son patrimoine architectural ne se limite pas à ses seules richesses antiques, bien au contraire. Au paganisme antique a succédé le christianisme byzantin qui a laissé de superbes témoins d'une architecture religieuse, médiévale certes, mais particulièrement raffinée. Puis ce fut le tour des Ottomans et des Vénitiens d'imprimer leur marque, avant que la jeune nation grecque ne se réapproprie son passé à grand renfort d'édifices néoclassiques. Entrée plus tardivement dans la modernité, la Grèce se rattrape désormais avec des créations contemporaines d'envergure, traduisant le désir des architectes d'aujourd'hui de repenser la ville en relation avec son histoire et son environnement. La Grèce continentale offre une multitude de visages qui, malgré leur âge vénérable, n'ont pas pris une ride. Alors à vous de partir à leur découverte !

« Palais » minoens et murs « cyclopéens »

Minoens. Les plus anciennes traces d'une architecture monumentale en Europe sont les « palais » de la civilisation minoenne de Crète. Bâtis entre 2700 et 1200 av. J.-C., ces bâtiments avaient un rôle encore mal connu dans les villes des Kaphti (les « Minoens »). De récentes études tendent à prouver que les « palais » de Knossos, de Phaistos, de Malia, de Galatas ou de Zakros avaient davantage des fonctions agricoles (stockage des récoltes) et sociales (salles de banquet).

Mycéniens. En Grèce continentale, on retrouve aussi des vestiges de « palais » (mégarons) dans les sites de la civilisation mycénienne. Le mieux conservé est le palais de Nestor (1700-1200 av. J.-C., près de Pylos, dans le Péloponnèse). Celui-ci semble bien avoir servi de lieu de pouvoir. Les sites de Mycènes et de Tirynthe conservent quant à eux deux autres éléments phares de l'architecture des Achéens (les « Mycéniens ») : les tholoi (pluriel de tholos), de grandes tombes circulaires à dôme placées sous un tumulus, et les « murs cyclopéens », d'imposantes murailles faites de blocs de plusieurs tonnes que les légendes de l'Antiquité attribuèrent plus tard aux Cyclopes.

Joyaux de l'Antiquité

Les cités apparaissent à partir du VIIIe siècle av. J.-C. Elles se développent autour d'une ville haute (acropole) facile à défendre avec de grands bâtiments civils, comme les thermes, l'agora (place marchande) et le bouleutérion (espace où siège le conseil), et des bâtiments religieux (autel ou temple).

Temples. Les premiers lieux de culte polythéistes voient le jour en Eubée, dans le Péloponnèse et dans les Cyclades à la fin de la période dite des Siècles obscurs, aux IXe-VIIIe siècles av. J.-C. Les bâtisseurs grecs sont alors influencés par les mégarons (palais) mycéniens. Souvent construits en bois, les premiers temples ont laissé peu de traces. Mais à l'époque archaïque, à partir du VIIe siècle av. J.-C., apparaissent des bâtiments en pierre, avec toiture à double pente recouvertes de tuiles et décorés de sculptures en marbre. Le temple grec type est rectangulaire et périptère (entouré d'un péristyle à une rangée de colonnes). L'espace est divisé entre le pronaos (entrée ou vestibule), le naos (sanctuaire contenant la statue de la divinité) et l'opisthodome (partie postérieure abritant le trésor).

Ordres dorique, ionique et corinthien. L'époque classique représente l'âge d'or de l'architecture grecque, caractérisée par une quête du rationnel et de l'harmonie. On distingue alors trois évolutions dans l'architecture des temples. Celui d'Héra, à Olympie, et celui du Parthénon, à Athènes, sont les exemples les plus emblématiques de l'ordre dorique qui se développe à partir du milieu du VIIe siècle av. J.-C. : les colonnes de 4 à 8 m de hauteur sont cannelées et les chapiteaux aux ornements simples soutiennent un entablement doté d'une frise, avec notamment des métopes, des panneaux à bas-reliefs. L'ordre ionique voit le jour à partir de 560 av. J.-C. Il se distingue par des colonnes plus hautes (jusqu'à 9 m) et des chapiteaux plus élaborés ornés de deux volutes latérales. Les temples ioniques les plus célèbres sont l'Érechthéion de l'Acropole, à Athènes, et le trésor de Sifnos, à Delphes. Enfin, l'ordre corinthien apparaît au Ve siècle av. J.-C. avec des colonnes atteignant jusqu'à 10 m de hauteur et des chapiteaux richement décorés de sculptures imitant les feuilles d'acanthe. C'est notamment le cas avec le temple de Vassae, près d'Andritsena, et la tholos de Gaïa, à Delphes.

Urbanisme. Les cités se dotent très tôt de systèmes d'adduction d'eau. Cela est visible dès la fin du néolithique dans la ville cycladique d'Akrotiri, à Santorin. L'urbanisme varie quant à lui beaucoup, en fonction de la géographie, de la taille de la population, etc. Mais à partir du Ve siècle av. J.-C., les villes vont s'organiser en rues rectilignes se coupant à angle droit selon les principes de l'architecte Hippodamos de Milet (498-408 av. J.-C.). Le « plan hippodamien » le mieux conservé est celui d'Olynthe, en Chalcidique. Il servira de modèle pour de nombreuses cités comme Pella ou Athènes, mais aussi, beaucoup plus tard pour Chicago ou New York.

Trésors byzantins

L'Empire romain d'Orient, dit byzantin, est celui qui a connu l'histoire la plus longue en Europe : onze siècles, de 395 à 1453. C'est avec lui que sont fixées les bases du Christianisme et de l'architecture chrétienne.

Plan basilical. Tout comme l'Empire byzantin est le prolongement historique de l'Empire romain, l'architecture byzantine demeure d'abord fidèle aux principes de construction de l'Antiquité gréco-romaine. Les premières églises sont appelées des basiliques. Elles reprennent la forme rectangulaire des basiliques romaines, des bâtiments civils qui servaient pour la justice et/ou le commerce. En Grèce, l'édifice qui illustre le mieux cette première étape est la basilique de la Panagia Achiropiètos (Ve siècle) de Thessalonique.

Plan en croix-inscrite. Avec le temps, les églises byzantines vont adopter un plan évoquant la croix chrétienne. Mais sans transept, c'est-à-dire sans excroissances latérales comme sur les églises en « croix latine ». On parle de « croix-inscrite » : la croix est inscrite dans un carré, au sein d'un bâtiment à trois nefs. La nef centrale accueille l'axe vertical de la croix. Et au centre de l'église, les nefs latérales accueillent l'axe horizontal de la croix. Le croisement des deux axes est matérialisé par des colonnes qui soutiennent un dôme. L'église qui illustre le mieux cette évolution est Sainte-Sophie, à Constantinople/Istanbul : au VIe siècle, elle adopte un « plan intermédiaire », à la fois un plan basilical et en croix-inscrite. Cette solution est aussi retenue pour Sainte-Sophie de Thessalonique au VIIe siècle ou pour les remarquables monastères de Daphni (Attique), d'Ossios Loukas (Béotie) et de Nea Moni (Chios) aux XIe et XIe siècles. Le plan uniquement en croix-inscrite se généralise ensuite comme en témoignent la Panagia Chalkeon de Thessalonique (XIe siècle), la Parigoritissa d'Arta (XIIIe siècle) et le formidable ensemble des églises de Mystra (XIIIe-XVe siècles).

Narthex, naos, bêma et iconostase. Ces éléments sont typiques des églises byzantines. À l'ouest, l'axe vertical de la croix commence par le narthex, « vestibule » qui peut lui-même être précédé d'un exonarthex. L'axe se prolonge par le naos (« temple ») qui forme le centre de l'église. C'est ici que se matérialise le plan en croix-inscrite. La croix s'achève à l'est par le bêma, terme emprunté à la tribune des orateurs de l'Antiquité. Généralement en abside, le bêma est le lieu le plus sacré. Il est séparé du reste de l'église par une cloison sur laquelle sont posées les icônes sacrées : l'iconostase. Derrière l'iconostase, dans le bêma, seul le clergé préparant la divine liturgie (l'eucharistie) peut pénétrer.

Brique, appareil cloisonné et remploi. Comme leurs prédécesseurs romains, les maçons byzantins utilisent principalement la brique, aussi bien pour les églises que pour les bâtiments civils, comme les remparts de Thessalonique. Les briques sont parfois habilement disposées pour former de magnifiques motifs, en particulier sur les parties extérieures des églises. Les maçons de l'Empire inventent aussi les murs en « appareil cloisonné » : des blocs de pierre taillés encadrés de mortier et de fines briques (ou tuiles plates). Cette technique qui assure une meilleure résistance aux chocs, notamment aux séismes, sera reprise par les Ottomans. Enfin, sur les façades de certains bâtiments apparaissent parfois des bas-reliefs de bâtiments anciens. Ce sont des remplois. De belles pierres sculptées provenant d'une précédente église ou d'un temple polythéiste peuvent être choisies pour embellir un bâtiment. C'est notamment le cas sur deux superbes églises du XIIIe siècle : la « Petite Métropole » de la place Mitropoleos d'Athènes et celle d'Agia Triada, près d'Argos.

Héritages franc, vénitien et ottoman

Entre 1204 et 1912, la Grèce a connu des occupations des Francs, des Vénitiens et des Ottomans. Ceux-ci ont laissé derrière eux un patrimoine dans l'ensemble mal préservé.

Francs et Vénitiens. La prise temporaire de Constantinople par les croisés et les Vénitiens en 1204 s'est traduite par une présence latine en Grèce jusqu'aux XVIIIe-XIXe siècles dans certaines îles. Les plus beaux exemples sont la ville médiévale de Rhodes, occupée par l'ordre des Hospitaliers de 1309 à 1523, et la vieille ville de Corfou, qui garde de sa période vénitienne (1363-1797) une magnifique architecture italienne. On doit aussi aux Vénitiens des fortifications et jolis quartiers à Héraklion et à Chania, en Crète, l'impressionnante forteresse de Palamidi, à Nauplie, ou encore, l'adorable petit port de Naupacte. Au XIIIe siècle, les princes Villehardouin ont quant à eux créé un vaste réseau de châteaux-forts « à la française » à travers le Péloponnèse, notamment ceux de Kalamata, de Chlemoutsi (au nord-ouest d'Olympie) et de Mystra (rapidement conquis par les Byzantins).

Ottomans. Malgré une présence partout sur le territoire (sauf à Corfou) et souvent très longue (de 1347 à 1912 en Thrace, par exemple), l'Empire ottoman a laissé un héritage aujourd'hui peu visible. Depuis le XIXe siècle, la plupart des mosquées ont été abandonnées, détruites ou transformées en églises, musées, etc. Elles étaient de toute façon d'une architecture assez pauvre (dite « provinciale ») comparée aux magnifiques édifices islamiques de Constantinople/Istanbul. Et la plupart des mosquées de Grèce furent en fait des églises byzantines converties en lieux de culte musulmans. Hormis en Thrace, où subsiste une importante minorité musulmane, peu de mosquées ont conservé leur minaret intact. Il faut toutefois noter les deux minarets de la citadelle de Ioannina, ou encore, celui de la Rotonde romaine de Thessalonique. En revanche, certains édifices civils ottomans ont été très bien conservés : forteresse de Pylos, aqueduc et imaret de Kavala, anciens bains de Thessalonique ou d'Athènes, superbe quartier juif de Veria

Du néoclassicisme au tout-béton

Après l'indépendance de 1829, la Grèce se cherche une nouvelle identité architecturale.

L'Antiquité comme modèle. Après la guerre d'indépendance (1821-1829), le petit Royaume de Grèce est dirigé par Othon Ier, un noble de Bavière imposé par les grandes puissances. Se répand alors un style architectural, certes inspiré de l'Antiquité gréco-romaine, mais né en Allemagne au XVIIIe siècle : le néoclassicisme. Égine et Nauplie, les premières capitales, se couvrent de maisons aux tuiles rondes, aux façades harmonieuses et aux tons souvent pastel. Ce style domine aussi le nouveau centre du pouvoir, Athènes (à partir de 1834), avec de belles villas et des édifices monumentaux dotés de frontons et colonnades comme le Parlement (ancien palais royal) de la place Syntagma, l'Université (rue Panepistimiou) ou le Musée archéologique national.

Byzance retrouvée. Si les rois (bavarois et danois) de Grèce cherchent à créer une nouvelle identité nationale en invoquant l'Antiquité, ils dénigrent largement l'héritage des Ottomans, mais aussi celui des Byzantins. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que l'art byzantin intéresse les autorités. Le rattachement de la Macédoine à la Grèce (1912), puis le grand incendie de Thessalonique (1917) sont l'occasion d'expérimenter l'architecture néobyzantine sur la place et la rue Aristotelous, au cœur de la seconde plus grande ville du pays : belles arcades, longues galeries, colonnes corinthiennes… Ce style inventé en Angleterre et en Russie, se répandra par la suite, en particulier pour la construction de milliers de nouvelles églises.

Blancheur cycladique. Dans les années 1930, le dictateur Ioannis Metaxas comprend le potentiel touristique de la Grèce. Mais le pays reste pauvre, les conditions d'hygiène, déplorables. Metaxas va ainsi inventer le « style cycladique » tant pour des raisons sanitaires que d'image. La chaux blanche purifie les habitations. Elle donne aussi une unité visuelle à des îles qui avaient jusqu'à présent leur propre architecture héritée de la période ottomane, quand les maisons de pierre sèche devaient se fondre dans le paysage pour échapper à la vue des pirates. L'autre grande dictature grecque du XXe siècle, celle des colonels (1967-1974), va rendre obligatoire ce style cycladique. C'est dès lors une véritable « rougeole blanche » qui se propage à toutes les îles et au littoral continental, au détriment des traditions locales.

Déferlante du béton. Pour faire face à l'arrivée massive des réfugiés d'Asie Mineure dans les années 1920, puis au très fort exode rural, les villes vont chercher des solutions pratiques : les immeubles modernistes et Bauhaus remplacent bientôt les coquettes maisons néoclassiques. Mais la véritable solution, très décriée, sera la polykatoikia : la copropriété. En l'absence d'organismes d'État pour financer de grands ensembles type HLM, de petits propriétaires fonciers et des PME du bâtiment conçoivent des immeubles en béton pour tous types d'acheteurs : sous-sol et rez-de-chaussée pour les artisans et familles modestes, étages intermédiaires pour les classes moyennes et parties hautes avec grandes terrasses (les « retirés ») pour les plus riches. C'est ainsi, entre les années 1950 et 1990, que les villes grecques vont prendre leur apparence actuelle.

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