Guide de KINSHASA : Population et langues
Kinshasa est une capitale multiethnique de dix ou douze millions d'habitants, composée de descendants des tribus autochtones de cette région, et de nombreux autres venus d'ailleurs. Quelques siècles avant l'arrivée des premiers Européens, la ville-province de Kinshasa était un ensemble de petits villages qu'occupaient les Téké et les Humbu (Wumbu), propriétaires de ces terres ancestrales, auxquels on peut ajouter les autres ethnies du groupe linguistique bantou qui peuplaient les provinces périphériques du Kongo Central, Kwango, Kwilu et Mai-Ndombe, telles que les Kongo (Bakongo), les Yaka, les Yansi, etc., et qu'on retrouve encore aujourd'hui en forte proportion dans le tissu démographique de la ville.
En effet, les ressortissants de l'ex Bandundu, et particulièrement ceux du Kwango et du Kwilu, qu'on appelle Bayaka (ethnie Yaka), constituent la majorité des Kinois, soit la moitié de la population. Ils habitent principalement les communes orientales de la capitale (Ndjili, Masina, Kimbanseke), ainsi que les communes de Ngaba, Makala, Bumbu, Ngaliema et Lemba. Les ressortissants du Kongo Central, quant à eux, qui dominaient la capitale jusqu'aux années 1970, fournissent le deuxième contingent de la population de Kinshasa.
Avec l'arrivée du chemin de fer Matadi-Léopoldville (1898) et le développement économique et industriel qui s'en est suivi, la ville a enregistré de fortes migrations de populations venues d'autres régions du Congo et des pays limitrophes. Cette tendance s'est confirmée et consolidée à partir de 1923 lorsque la ville est devenue la capitale du Congo belge en lieu et place de Boma. Déjà à l'époque coloniale, les Téké et les Humbu, qui revendiquent la propriété foncière des terres de Kinshasa, ne représentaient plus qu'une infime minorité, même si on peut encore en rencontrer en certains points du centre de Kinshasa, notamment dans le quartier Mombele dans la commune de Limete, et à Malueka dans la commune de Ngaliema.
D'autres représentants des groupes linguistiques bantous, oubanguiens (soudanais), nilo-sahariens, hamites et pygmoïdes (Twa), auxquels appartiennent les 360 ethnies qui composent l'immense Congo, ont massivement migré à Kinshasa à partir des années 1960. A ces différentes catégories de provinciaux congolais non originaires de Kinshasa, il faut aussi ajouter les différentes communautés étrangères, implantées parfois depuis longtemps : contingent de l'ouest-africain mais aussi des Indiens, Pakistanais, Libanais et Européens (Belges, Portugais, Grecs, Français). Sans oublier les Chinois.
Comme le résume Jacques Fumunzanza dont son ouvrage Kinshasa. Société et culture (L'Harmattan) : "Même quand il est né ici, le Kinois se sent étranger et se rappelle avec nostalgie son attachement à la province d'origine de ses parents. Cet attachement se traduit par son identification et la référence continuelle à son territoire d'origine, à son ethnie et à la langue parlée en famille". Néanmoins une identité et une culture kinoises, métissées et au carrefour de toutes ces influences, existent bel et bien et s'affirment comme telles à l'échelle du pays et du continent...
Les Téké font partie d'un grand ensemble couvrant plusieurs territoires en Afrique centrale, notamment au Congo-Brazzaville, au Gabon et en République centrafricaine. Les Téké de Kinshasa sont installés sur la rive gauche du fleuve Congo au Pool Malebo depuis le XVIe siècle. Au XVIIIe siècle, Ngaliema, alors esclave affranchi, part de la rive droite du fleuve Congo et s'établit sur la colline Konzo Nkulu, l'actuel mont Ngaliema. Sur la rive droite (Congo-Brazzaville) régnait le chef Makoko, roi des Téké. Par un coup de force, Ngaliema s'installe comme chef de tribu et règne à partir de la baie de Ngaliema. C'est à ce titre qu'il signera le traité d'amitié avec l'explorateur Stanley au service du roi Léopold II en 1881 pour créer la station de Léopoldville, qui s'étendra et deviendra la capitale du pays à partir de 1923.
Les Téké restent attachés à leur culture, caractérisée entre autres par des danses particulières, des oeuvres d'art ancestrales originales et une façon de vivre qui a favorisé la conservation de leurs traditions depuis des siècles, malgré l'urbanisation de leur village natal. Les Téké sont généralement des riverains qui pratiquent la pêche et l'agriculture. Ils sont aussi spécialisés dans la fabrication de chikwange, cette pâte de manioc fermentée et emballée dans des feuilles, qui inonde les marchés kinois.
Quant aux Humbu, ils sont davantage associés aux Bakongo. On peut les rencontrer à Kingabwa-village, à Kinsuka, à Kinkole, à Mikonga, à Maluku, à Mombele (Limete), sur le long de la route et le chemin de fer de Kasangulu, à Luzizila et à Kingatoko. Les Humbu de Maluku vivent en harmonie avec la diaspora citadine qui y a élu domicile, ainsi qu'avec les représentants d'autres tribus du pays.
Partageant leurs origines kinoises avec les Téké et les Humbu, les Afununga sont essentiellement des cultivateurs. Ils cultivent principalement le manioc qui constitue l'aliment de base de la majorité des Kinois. Les Afununga habitent encore Nsele, Malueka, Mbankana, Menkao, Mikonga, Binza, Mont-Ngafula et Nsuenge.
Venant du Kongo Central, les Lemfu se trouvent à l'ouest de la ville de Kinshasa, notamment à Benseke, Mitendi, Dibulu et dans les villages à proximité de Kasangulu. Ils sont davantage connus pour les grosses chikwanges (pâte de manioc) qu'ils produisent, dénommées "Kin sept jours" et consommées comme de véritables gâteaux pendant les grandes fêtes à Kinshasa. Le mfumbwa, ce légume très prisé à Kinshasa, est une autre spécialité des Balemfu (la particule "ba" désignant le pluriel). Les Lemfu vivent, avec les Afununga, le long de la ligne de chemin de fer Kinshasa-Kasangulu, spécialement à Lemba-imbu (Riflart), Luzizila, Kingantoko et Kasangulu. Leur société est basée sur le modèle matriarcal. Ils exécutent des danses et pratiquent des rites ancestraux particuliers.
Les Yaka constituent l'ethnie majoritaire de la province du Kwango. Ils sont d'origine Lunda du Katanga et sont arrivés dans la région vers le XVIIe siècle par l'Angola. Ils repoussèrent les Bakongo et conquirent avec vaillance leur territoire actuel en soumettant à leur autorité les premiers occupants, les Kalamba. Leur chef (le Kiamfu) Mwant Yanv a établi son siège à Kasongo-Lunda (Musumba). Au cours des années 1950 et 1960, les Yaka exerçaient majoritairement tous les petits métiers de domestiques, de cireurs, de pousse-pousseurs, etc., d'où l'origine de la connotation négative que contient parfois cette appellation. Les autorités coloniales étaient aussi à l'origine de cette charge négative, car fiers de leur culture, les Yaka étaient réticents à l'occupation étrangère. De ce fait, ils furent traités de réfractaires à la civilisation.
Les peuples Kongo, implantés au Kongo Central, représentent une mosaïque ethnique homogène au passé historique glorieux. Pacifiques et disciplinés, les Ne-Kongo (ou Bakongo) font état d'une grande hospitalité envers les nombreux voyageurs qui ont sillonné leur territoire. Ils sont laborieux et s'adonnent à l'agriculture et à l'élevage. Les Bakongo comprennent plusieurs sous-groupes dont le dénominateur commun est leur langue, le kikongo. Les plus importants sont :
Les Yombe (Bayombe), originaires du district du Bas-Fleuve. Ils occupent le territoire de Tshela et sont majoritaires dans les territoires de Lukula et de Seke-Banza. On rencontre aussi une forte communauté de ce peuple dans les villes de Boma et Matadi.
Les Nyanga (Banyanga) occupent la rive droite du fleuve Congo, dans le territoire de Luozi.
Les Ndibu (Bandibu) occupent les territoires de Songololo et de Mbanza Ngungu.
Les Ntandu (Bantandu) habitent les territoires de Madimba et de Kasangulu.
Les autres tribus assimilées aux Ne Kongo sont les Vili (Bavili), les Woyo (Bawoyo) et les Solongo (Basolongo) qui occupent les bords de l'océan Atlantique et l'estuaire du fleuve Congo. Les Sundi (Basundi) occupent l'ouest de Lukula, les Singombe (Basingombe) se repartissent au nord de Mbanza Ngungu ; les Zombo (Bazombo) qui constituent un groupe important occupent l'aire de part et d'autre de la frontière angolaise, au sud des territoires de Mbanza Ngungu et de Madimba. Ailleurs ce sont les Mbata (Bambata) qui occupent une partie du sud du territoire de Madimba. Par contre, les Lemfu (Balemfu) se retrouvent dans le territoire de Kasangulu.
Kinshasa est une ville multiraciale et multiculturelle où se concentrent presque toutes les tribus de la RDC, provenant des différentes provinces du pays, chaque tribu perpétuant ses coutumes et son identité parallèlement à la culture occidentale régnant à Kinshasa. Par ailleurs, toutes ces tribus vivent en parfaite harmonie au sein de la capitale, indépendamment de leurs langues, coutumes et rites ancestraux respectifs. C'est lors de fêtes, deuils ou cérémonies de mariage que l'on peut éventuellement distinguer des différences dans les pratiques ancestrales de l'une ou l'autre tribu : danses, instruments de musique, spécialités culinaires, etc. Kinshasa a fini par générer sa propre culture à partir de tous ces riches substrats.
Sans oublier les communautés étrangères exerçant diverses activités utiles pour la ville et ses habitants. Il s'agit notamment des Ouest-Africains (Sénégalais, Maliens, Nigérians, Guinéens, etc.), des Angolais (avec une forte communauté, appelés communément Bazombo provenant de Mbanza-Kongo et de Cabinda en Angola), Indo-Pakistanais, Portugais (la plus ancienne communauté étrangère structurée installée en RDC), Libanais, Grecs, sans oublier les Chinois de plus en plus nombreux depuis l'instauration des contrats sino-congolais il y a une dizaine d'années. Ainsi qu'une petite communauté belge toujours présente, qui s'explique également pour des raisons historiques évidentes, et dont la plupart n'ont quasiment jamais quitté le pays.
L'usage du français est un héritage du colonisateur belge. Le français est la langue officielle, consacrée par la constitution de la République. C'est la langue de l'administration, de l'enseignement et des médias. Son usage tend à diminuer au profit des langues nationales et dialectes oraux, pour une grosse partie de la population non scolarisée... La pratique du français est aussi plus métissée et chantante qu'en Europe. Elle y subit l'influence du lingala et des autres langues nationales, ainsi que la grande créativité linguistique des Congolais, et des Kinois en particulier, qui ne cessent de se l'accaparer et de la mélanger dans des mix du cru, ce qui rend le français du Congo - comme ailleurs en Afrique - très dynamique et vivant, avec des expressions ou termes savoureux : "se soulager", "présentement", "en tout cas", "sobriquet", "tracasserie", etc. Les Congolais ont aussi tendance à affubler de surnoms à peu près tout ce qui passe, dans la plupart des contextes de la vie quotidienne ("esprit de vie"...). C'est souvent très drôle, symbolique et imagé, voire poétique.
"Langue sans manières", dans un style assez direct et de tradition essentiellement orale, vulgarisée par la musique et sous l'impulsion de Mobutu dont c'était la langue d'origine. Le lingala a finalement fini par s'imposer comme langue nationale majoritairement utilisée à Kinshasa, ainsi que dans l'Equateur et la Province orientale (soit 27,5 % de la population). Tirant son origine des Bobangi, entre le fleuve Congo et l'Ubangi, le lingala s'est également répandu grâce au commerce le long du fleuve et par les migrations de l'armée dont il est l'outil de communication depuis l'époque coloniale. Ce qui en fait la deuxième langue la plus parlée du pays derrière le swahili. Mais le lingala est surtout la langue véhiculaire grâce à laquelle il est possible de communiquer et se faire comprendre dans presque tout le Congo, grâce à son influence (langue de la capitale, musique, médias...). Il est également parlé dans le nord de l'Angola. A Kin, l'indubill est une sorte d'argot du lingala, provenant des quartiers populaires et véhiculé par les musiciens et les "bills" (jeunes branchés) depuis plusieurs décennies.
Le lingala étant principalement une langue véhiculée par l'expression orale, il évolue rapidement et en permanence, et reste très perméable à de nouveaux ajouts et expressions empruntés ailleurs, dont au français et aux autres langues nationales. Il faut aussi y voir l'influence du "lingala facile", ce nouveau genre journalistique amené par le journaliste Zacharie Bababaswe et sa célèbre émission éponyme depuis 2008. Cet idiome basé sur le bilinguisme lingala-français est de plus en plus populaire à Kinshasa, à l'image de l'émission suivie en masse et fort appréciée par les Kinois...
Usité dans les provinces de l'ex Bandundu et du Kongo Central, et dans une moindre mesure à Kinshasa et à l'ouest du Kasaï occidental, le kikongo couvre environ 17 % de la population de la RDC. Il appartient, comme les trois autres langues nationales, à la famille des langues bantoues. Langue parlée par le peuple Kongo (les Bakongo), on la retrouve aussi dans le nord-ouest de l'Angola, ainsi que dans le sud du Congo-Brazzaville et sur la côte sud du Gabon. Par ailleurs, il existe un kikongo "commercial" appelé "kituba" ou "kikongo ya l'Etat", et majoritairement utilisé dans l'administration, dans le Bandundu notamment. Il s'agit d'une version de la langue simplifiée, fortement mélangée avec le français, et dont la fonction véhiculaire permet d'être compréhensible par les locuteurs des divers dialectes provenant du kikongo.
Quant aux deux autres langues nationales majeures, à savoir le swahili et le tshiluba, elles cohabitent aussi à présent dans le paysage kinois aux côtés du lingala et du français, avec les mouvements successifs de populations issues des diverses provinces du pays. Ces différentes langues sont également utilisées sur les antennes de radio et télévision à Kinshasa. Par ailleurs, le lingala de Kin a connu plusieurs infiltrations et influences qui sous-tendent aujourd'hui la culture kinoise. Il est fait de mélanges, combinaisons et emprunts de mots venant de ces autres langues nationales (kikongo, thsiluba, swahili) et étrangères (par exemple : "buku" qui vient de "book" en anglais, "mesa" pour table qui vient de l'espagnol, "makayabu" qui viendrait de "bacalhau" en portugais...).
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