Clous de girofle © oversnap - iStockphoto.com.jpg
iStock-510395594.jpg

Des épices asiatiques importées dans l’océan Indien

La route des épices était fort lucrative pour les commerçants arabes depuis des millénaires. La localisation des îles aux épices dans le Timor oriental (en Indonésie) était jalousement gardée secrète. Elles n’étaient connues que des seuls marins yéménites et omanais, notamment celle de l’archipel des Moluques, réputée pour le clou de girofle, la cannelle et la noix de muscade. Ces îles n’apparurent officiellement dans les écrits arabes qu’au XIVe siècle. Ces pionniers du commerce maritime partaient de Bassorah (actuellement en Irak) pour rejoindre l’Inde et l’Asie du Sud-Est. Ils revenaient vendre leurs biens à Aden au Yémen, où ils payaient une taxe en musc, camphre, ambre gris et bois de santal au sultan des Omeyyades, Ibn Ziyad. Vers l’an 915, un grand voyageur originaire de Bagdad, Al Masudi, fait halte à Zanzibar. Il mentionne alors un négoce de pierres précieuses et d’or. Le plus connu de ces aventuriers orientaux au long cours est Sindbad le marin, qui sillonnait les mers d’Afrique et d’Asie et vivait des histoires fantastiques. Il alimenta les légendes au fil des siècles et fut immortalisé dans les contes perses des Mille et une nuits (Les Sept voyages de Sindbad le marin) au XIIIe siècle. Ce commerce arabe s’arrêta avec la colonisation des Moluques par les Hollandais. Ce fut un Français qui imagina l’importation de ces épices des Moluques, Pierre Poivre, à l’île Maurice, aux Seychelles, à la Réunion, alors colonies françaises, pour concurrencer le monopole de la compagnie des Indes hollandaises. Importés à Zanzibar à la fin du XVIIIe siècle, c’est le sultan Saïd qui encouragea la plantation des girofliers à Unguja et Pemba, pour compenser la perte financière liée à l’abolition de l’esclavage sous la pression occidentale. La période coloniale a aussi vu l’expansion des plantations contre la réduction des forêts primaires.

Le clou de girofle, une épice en or

L’épice la plus lucrative est depuis toujours le clou de girofle. Ce sont des boutons séchés de fleurs de girofliers, connus pour leur odeur et goût d’œillet et leurs vertus anesthésiantes et antibactériennes, principalement utilisés pour soulager le mal de dents. La récolte des boutons floraux se fait sur une échelle, à la main, elle est longue et ardue. Les grappes sont émondées et triées, puis séchées sur de grands draps au soleil. C’est un spectacle immanquable à Pemba, dans les campagnes devant les maisons. Aujourd’hui, Pemba en produit trois fois plus que sa grande sœur, soit 75 % des exportations. La majeure partie de la production est transformée en huiles essentielles dans une distillerie à Zanzibar pour être exportée et vendue à l’industrie alimentaire, pour la pharmacologie et les cosmétiques. La meilleure qualité est séparée pour être vendue directement. Les distilleries de l’île (à Stone Town et Chake Chake à Pemba) constituent l’activité industrielle unique de l’archipel, et produisent aussi des huiles essentielles de citronnelle, eucalyptus et ylang-ylang.

Une culture à nouveau rentable pour l’archipel

Une fois cultivés, les rendements des girofliers étaient bien meilleurs à Pemba à la fin du XIXe siècle. Au début du XXe siècle, l’archipel de Zanzibar produisait près de 90 % des clous de girofle exportés dans le monde. Ce marché était florissant jusqu’en 1938, lorsque a lieu la grande crise du clou de girofle, qui peut se résumer par l’asphyxie qu’imposèrent les financiers indiens aux planteurs arabes. Elle se traduisit par de très fortes tensions entre les deux communautés, jusqu’à ce que le conflit nuise à tout le monde et que les autorités coloniales parviennent à forcer les Indiens à abandonner une partie de leurs créances, dues essentiellement à des intérêts exorbitants. Puis le coup de grâce arriva avec la libéralisation de l’économie. Jusqu’aux années 1970, les prix et les exportations étaient contrôlés par un État socialiste, mais l’ouverture du marché a entraîné une crise sans précédent pour les producteurs locaux. La production dans l’archipel a alors chuté de 80 %, en raison du développement rapide d’une concurrence internationale et l’alignement du cours de l’épice sur le marché mondialisé. Le prix était si bas que des plantations ont été abandonnées. Néanmoins, la reprise du marché a ravivé cette culture à Pemba. Aujourd’hui, l’Indonésie détient 75 % de la production mondiale de clou de girofle, alors que Zanzibar est troisième avec des miettes : 7 % du marché. Néanmoins, les exportations pour le seul clou de girofle sont passées de 5 millions de dollars, en 2019, à 16 millions de dollars en 2020, en raison de la pénurie mondiale et de la subite et spectaculaire hausse du cours mondial. Elles représentent désormais 40 % des exportations de Zanzibar ! Une nouvelle manne financière liée aussi au contexte économique mondial, pour une fois bénéfique aux producteurs. Sans compter les autres épices qui ont représenté 12 millions de dollars en 2020, notamment la noix de muscade qui se vend très bien aussi, la cannelle et le poivre noir.

Les fermes à épices à Unguja, une visite immanquable

L’île aux épices a conservé quelques fermes où sont cultivées toutes sortes de plantes, arbres et fruits exotiques qui ont fait la fortune de l’île, mais qui représentent une production anecdotique aujourd’hui, destinée au marché local et aux touristes essentiellement. La visite que l’on pourrait penser un peu pénible est franchement passionnante car elle est ponctuée de dégustations et de devinettes odorantes. On découvre l’arbre d’où l’on découpe l’écorce de cannelle, le fruit qui renferme des noix de muscade zébrées d’une peau rouge vif (et on apprend au passage ses vertus aphrodisiaques pour les femmes), la citronnelle (à ne pas confondre avec le citronnier), cette herbe aromatique qui sert à fabriquer des huiles essentielles qui éloignent les moustiques, le poivre de Zanzibar bien sûr, l’un des meilleurs du monde... Sans oublier le café, que l’on ramasse à maturité, les types de piments, et bien sûr les clous de girofle. On découvre aussi les bananes, noix de coco et autres fruits tropicaux. La visite se termine par un stand où l’on peut acheter toutes les épices à bon prix. On les trouve également sur le marché aux épices de Stone Town à Darajani.