Une démocratie fragile

La République du Paraguay est régie par la Constitution de 1992. Des élections générales sont organisées tous les cinq ans, pour élire le président de la République et son vice-président, les membres du Congrès (80 députés, 45 sénateurs) et les gouverneurs des 17 départements du pays. Le président comme le vice-président ne peuvent se représenter à la fin de leur mandat, pour éviter les dérives autoritaires du passé. Au niveau local, chacun des départements est divisé en municipios et districts, subdivisés en zones urbaines (barrios) et rurales (compañias). Asunción a un statut à part de district capital et n’appartient à aucun département.

Depuis la fin du XIXe siècle, la vie politique paraguayenne est dominée par deux formations très conservatrices : le Parti Colorado et le Parti Libéral. Ces deux gros partis ont traversé guerres civiles, dictatures et périodes plus démocratiques, sans laisser beaucoup de place aux autres formations. Pour les reconnaître : le Colorado arbore la couleur rouge, le Libéral, le bleu.

L’Association nationale républicaine (ANR), ou Parti Colorado, s’est maintenue au pouvoir depuis 1947, à l’exception d’une courte période entre 2008 et 2012. Le Parti Libéral Radical Authentique (PLRA), autrefois plutôt progressiste, est considéré aussi à droite que l’ANR. Même s’il n’a pas dirigé le pays récemment, il a su renforcer sa présence au Congrès et dans les instances locales. L’année 2008 a marqué un tournant dans la vie politique paraguayenne, avec la victoire de l’Alliance patriotique pour le changement (APC), de Fernando Lugo, mettant fin à plus de 60 ans de pouvoir ininterrompu du Parti Colorado. Une victoire pour la démocratie, qui n’a pas résisté longtemps aux manœuvres politiciennes. Le président Lugo fut en effet destitué par le Congrès en juin 2012, sans même pouvoir présenter sa défense. Frente Guasú (FG) est aujourd’hui la troisième force politique du pays. Elle réunit différentes formations de gauche, dont l’ancien APC de Lugo. Elle promeut, entre autres, la réforme agraire, la redistribution des richesses et l’universalisation de la protection sociale.

Une économie agro-exportatrice

Le Paraguay affiche une croissance moyenne de 4,5 % depuis 2003, croissance qui s’est maintenue malgré les difficultés économiques de ses voisins, l’Argentine et le Brésil, ses principaux partenaires. Cette croissance est boostée par les exportations de produits agricoles, l’élevage et la vente d’énergie hydroélectrique. L’agriculture représente 90 % des exportations et un tiers du PIB. On exporte maté, maïs, coton, blé, canne à sucre, tournesol, riz, tabac, stévia, chia et sésame, mais surtout du soja. Le Paraguay est le 4e exportateur mondial de soja (le 1er si l’on tient compte de la superficie du pays). La surface des champs de soja a été multipliée par trois en 20 ans. Elle représentait 3,55 millions d’hectares en 2019, pour une production de 9,5 millions de tonnes. 95 % du soja est d’origine transgénique. Le Paraguay, qui a longtemps interdit les OGM sur son territoire, a été mis devant le fait accompli avec les produits Monsanto, quand les autorités ont « découvert » que les compagnies sojeras utilisaient toutes des semences transgéniques. Vu le poids du soja dans l’économie, un retour en arrière était impossible (voir le documentaire Le monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin). Sans revenir sur l’impact écologique du « tout soja », ses conséquences sur le monde paysan ne sont pas négligeables. On estime que 1,6 % des propriétaires fonciers se partagent 80 % des terres, et que 94 % des terres cultivables sont exploitées de manière agro-industrielle. Avec la mécanisation, un seul employé agricole permet de cultiver 500 ha de soja, alors qu’il en faut 4 pour cultiver 10 ha dans l’agriculture traditionnelle ! La production de viande bovine est l’autre moteur économique du Paraguay. Officiellement, il y a 15 millions de têtes de bétail au Paraguay, soit plus de deux vaches par habitant ! Officieusement, il y en aurait beaucoup plus, les ganaderos se trompant un peu parfois lorsqu’ils comptent leurs bêtes, pour des raisons fiscales… Le Paraguay est dans les dix premiers pays exportateurs de viande bovine et l’activité emploie 260 000 personnes, entre élevage, transport, abattoirs, production de fourrage, etc. Mais le boom des exportations ne fait pas que des heureux. Les prix grimpent dans les supermarchés, en raison de la baisse de l’offre destinée au marché local. On estime que sur 100 kg de viande produite dans les estancias, 97 kg sont exportés (Russie et Chili surtout), et seulement 3 kg finissent sur les parrillas paraguayennes ! Le secteur industriel est très lié à l’agriculture et repose surtout sur l’agroalimentaire (viande en conserve, huiles, produits laitiers, bière…). Au niveau des agro-carburants, la production d’éthanol (à base de canne à sucre et de sorgho) et de biodiesel (à partir d’huiles végétales et animales) est en plein boom, grâce à des conditions climatiques favorables et à une électricité à bas coût. L’activité minière est peu développée. Seul le calcaire est extrait en grande quantité dans la région de Vallemí. Dans le Guairá, à Paso Yobái, on exploite une mine d’or. Quelques gisements de pétrole, de fer et de manganèse ont été découverts dans le Chaco, mais leur exploitation n’est pas assez rentable actuellement pour les investisseurs. Enfin, le Paraguay partage avec ses voisins d’immenses barrages hydroélectriques, comme Yacyretá et surtout Itaipú, la deuxième centrale la plus puissante au monde, après celle des Trois Gorges, en Chine. L’hydroélectricité est un secteur très sensible de la diplomatie paraguayenne, soumis à des traités binationaux sur la gestion et la tarification de l’énergie. Quant au secteur tertiaire, le commerce transfrontalier fait vivre des milliers de personnes. Ciudad del Este est l’une des plus grandes places commerciales de la région. Salto de Guairá, Pedro Juan Caballero et Encarnación bénéficient également des échanges transfrontaliers. Une bonne part des produits vendus sont des contrefaçons. La contrebande et les trafics sont si importants au Paraguay que certains pensent qu’il faudrait créer un deuxième PIB pour mesurer cette économie informelle ! Les remesas, ces transferts d’argent des immigrés paraguayens, depuis l’Espagne ou l’Argentine, représentaient 569 millions de dollars en 2018. D’après certains experts, les remesas ont permis de réduire bien plus la pauvreté au Paraguay que les mesures prises par les gouvernements successifs… Et le tourisme dans tout ça ? Le Paraguay est encore une destination confidentielle. Les principaux visiteurs sont des Argentins et des Brésiliens, venant assister à des congrès ou faire des achats. On rencontre très peu de touristes étrangers, la plupart sont allemands, en raison des liens historiques avec l’importante communauté germanique arrivée dès la fin du XIXe siècle. Les Paraguayens sont eux de plus en plus nombreux à visiter leur pays. La Senatur (secrétariat national du tourisme) a dynamisé un peu le secteur ces dernières années, avec la mise en place de circuits thématiques, comme la Ruta Jesuitica, ou la Ruta de la Caña. Un réseau de chambres d’hôtes, ou posadas turisticas, s’est également développé récemment, couvrant une bonne partie du territoire, en particulier là où il n’était pas rentable de construire un hôtel. Même si le développement du tourisme est lent et manque de moyens humains (peu de gens formés) et financiers, il constitue une alternative intéressante pour l’exploitation durable d’un patrimoine naturel et culturel à sauvegarder.

Les grands défis du Paraguay

Le Paraguay est sorti il y a plus de 30 ans de la dictature, mais le clientélisme et les achats de vote institutionnalisés sous la dictature font toujours partie du folklore paraguayen, tandis que la corruption gangrène depuis longtemps les plus hautes sphères politiques, administratives et judiciaires. Selon Transparency International, le Paraguay est le pays le plus corrompu d’Amérique du Sud, après le Venezuela. Ce fléau ralentit toute possibilité d’avancées économiques et sociales. Un autre problème majeur du Paraguay est l’hyperconcentration des terres, phénomène qui a fait partir plus de 1,5 million de paysans vers les villes depuis 20 ans, et a favorisé le creusement des inégalités. En 2019, un quart des Paraguayens vivaient avec moins de 1,90 dollar par jour, et l’Indice de développement humain (IDH) qui prend en compte la santé, l’éducation et le niveau de vie, plaçait le Paraguay en 110e position sur 189 pays. Dans un pays où la pression fiscale est très basse, l’exportation massive de soja ne profite qu’à une faible partie de la population, sans parler des incidences environnementales. L’accaparement agressif des terres indigènes et paysannes par intimidation et menaces de la part des hommes de main des grandes compagnies sojeras reste d’actualité. Les autorités ne font pas grand-chose pour l’empêcher, et cela génère régulièrement de graves conflits. Une guérilla est même apparue en 2008 dans le nord du pays. L’EPP (Ejército del Pueblo Paraguayo) réalise de temps en temps des enlèvements et assassinats ciblés, mais ne compterait qu’une vingtaine d’hommes. Beaucoup pensent que l’État se sert du prétexte de ce minuscule groupe terroriste pour criminaliser les revendications légitimes des organisations paysannes. Quant aux étudiants, ils sont aussi en première ligne des manifestations, de plus en plus nombreuses dans un pays qui en a longtemps été privé. La lutte contre la corruption, l’amélioration du système de santé et de retraite, la défense de la démocratie et de l’environnement, sont parmi les thèmes récurrents des mouvements sociaux de ces dernières années.