shutterstock_1991305592.jpg
Sri Dalada Maligawa © saiko3p - Shutterstock.com.jpg
shutterstock_1071833183.jpg

Au temps des grands royaumes

L’architecture bouddhique témoigne d’une ingéniosité et d’un savoir-faire exceptionnels. Comment ne pas être ébloui par l’étonnant Dambulla Rock Temple ? Classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, ce grand complexe religieux abrite 5 sanctuaires, 4 monastères et 80 grottes qui se font eux-mêmes les écrins de 2 100 m2 de peintures murales et 157 statues de Bouddha dont les plus anciennes remontent au XIIe siècle. Ces sanctuaires rupestres se caractérisent par une conception ouverte de l’espace. Aucune cloison ne vient limiter la progression des fidèles qui suivent de façon naturelle le chemin tracé par les éléments de décor colorés. Ces joyaux troglodytes font presque figure d’exception dans un paysage sinon davantage marqué par les temples bouddhiques traditionnels. L’élément phare de ces temples est le dagoba (stupa), édifice sacré contenant des reliques du Bouddha et des objets sacrés. La forme générale du dagoba rappelle celle d’une cloche surmontée d’un cube, lui-même coiffé d’un mât. Le dagoba est réalisé en briques, et sa surface est le plus souvent chaulée de blanc. Point central des complexes religieux, il est souvent placé sur une plateforme sculptée, le vahalkada, à laquelle les fidèles accèdent par des portes et escaliers placés aux quatre points cardinaux. Une fois sur la plateforme, les fidèles peuvent démarrer leur marche rituelle toujours dans le sens des aiguilles d’une montre afin d’avoir le reliquaire à la droite du corps, symbole de pureté dans le bouddhisme.

À côté du dagoba, d’autres édifices d’importance composent les temples bouddhiques. Les vatadage, structures que l’on ne trouve qu’au Sri Lanka, sont des édifices-reliquaires circulaires composés de deux « enceintes », l’une composée de colonnes qui soutenaient jadis des toits en bois, l’autre composée d’une sorte de parapet en briques décoré de fines sculptures. Les plus beaux exemples de vatadage sont à voir à Polonnaruwa et Medirigiriya. Autre élément purement sri-lankais : l’Arbre de la Bodhi. Chaque temple possède une bouture de ce légendaire Figuier des Pagodes sous lequel Bouddha atteint l’Éveil. L’arbre est placé au centre d’une plateforme rectangulaire ou circulaire, ceinte d’une palissade ou d’un mur. Le plus vénéré est le Jawa Sri Maha Bodhi à Anuradhapura.

À Polonnaruwa, vous pourrez également observer des patimagharas, sanctuaires de l’image, abritant une statue de Bouddha et décoré de sublimes peintures polychromes retraçant la vie du Bienheureux. Leur taille varie selon celle de la statue et certains peuvent atteindre une taille colossale comme le Thuparama de Polonnaruwa. Quelles que soient leurs dimensions, leur plan est immuable : un porche et un vestibule précèdent la salle de plan rectangulaire ou carrée où se dresse la statue. Les moines bouddhistes très rigoristes se méfiaient de cette « éducation » par l’image, mais les souverains du grand royaume de Kandy développèrent avec faste et emphase cet art de la peinture (que l’on retrouve dans les temples-grottes du Dambulla cités plus haut !) Marquant la séparation entre les mondes sacré et profane, les « pierres de lune », pierres en forme de demi-cercle, sont placées sur le seuil des temples. Disposés de façon concentrique, leurs motifs illustrent le chemin menant à la libération des contingences et passions terrestres. Outre les chefs-d’œuvre de Polonnaruwa ou d’Anuradhapura, le plus célèbre des temples du pays est sans aucun doute le Sri Dalada Maligawa, le Temple de la Dent de Bouddha à Kandy, entouré de profondes douves. Cette architecture bouddhique a pu déployer toute sa puissance grâce au soutien des grands royaumes dont le bouddhisme était la religion officielle. Ce sont ces puissants rois qui ont également permis la construction de monastères. Ces bastions de la foi suivaient généralement un plan en quadrilatère avec une enceinte extérieure délimitant les espaces réservés à la vie quotidienne, et une seconde enceinte délimitant une imposante plate-forme centrale supportant les édifices sacrés. Les plus étonnants de ces monastères sont ceux d’Arankale et Ritigale. Édifiés dans des zones reculées en pleine forêt, ils se caractérisent par une large chaussée pavée propice à la marche rituelle et méditative, menant à des plateformes jumelles reliées par un pont de pierre. Vierges de toute décoration ou ostentation et emprunts d’une harmonie toute géométrique, ces monastères sont d’authentiques joyaux de pierre.

Les grands royaumes sri-lankais sont également indissociables des grandes cités sacrées qu’ils ont édifiées. Les ruines de Polonnaruwa laissent entrevoir la splendeur originelle de cette belle cité-jardin dont les temples et palais possédaient souvent des fondations en pierre et des superstructures de brique ou de bois. Les vestiges des Palais de Nissanka Malla et Parakramabahu y sont particulièrement intéressants, tout comme ceux du Palais de Vijayabahu à Anuradhapura. Mais c’est l’ancienne cité de Sigiriya qui symbolise peut-être le mieux toute la puissance de ces grands rois sri-lankais. C’est au sommet du Sigiriya Rock « Rocher du Lion », haut de plus de 180 m, que le roi parricide Kassyapa fit ériger une citadelle imprenable pour se protéger de son frère qu’il n’avait pas réussi à tuer ! Des millions de briques ont été encastrées dans la roche pour réaliser galeries et escaliers débouchant dans la gueule d’un colossal lion de brique et de plâtre marquant l’entrée de la citadelle. Autres prouesses : celles de l’architecture de l’eau. Bassins en forme de lotus, piscines royales comme celle d’Ath Pokuna à Lankarama construite pour le bain des éléphants, et bien sûr barrages, digues et tanks (nom donné aux réservoirs) jalonnant les plaines, notamment entre Colombo et Sigiriya, sont autant de preuve du génie bâtisseur de ces rois.

Le Sri Lanka possède également de très beaux témoins de la culture hindoue dont le temple ou kovil est le fier représentant. Séparé du monde profane par de hauts murs percés de portes, le kovil se caractérise par une entrée flanquée de gopuram, hautes tours rectangulaires à étages (toujours en nombre impair) symbolisant le mythique Mont Meru, généralement ornées de nombreuses et imposantes statues ainsi que d’incrustations de couleurs, et destinées à guider les fidèles. Le cœur du temple est occupé par un sanctuaire, le garbhgriha (littéralement « la chambre des entrailles ») lui-même coiffé d’un dôme ou d’une pyramide. Un espace couvert est aménagé autour du sanctuaire afin de permettre aux fidèles d’effectuer leur marche rituelle, là encore, dans le sens des aiguilles d’une montre. La période coloniale et la Guerre Civile ont entraîné la destruction de nombreux de ces chefs-d’œuvre, et beaucoup ont fait l’objet de reconstructions récentes. Parmi les plus beaux, ne manquez pas : le Temple de Koneswaram à Trincomalee, le temple du Kerimalal Naguleswaram ou bien encore le très beau Nallur Kandaswamy Kovil à Jaffna.

En parallèle de ces architectures officielles et religieuses, le Sri Lanka a très tôt vu se développer une architecture vernaculaire symbolisée par l’habitation dite en cadjan (palmes de cocotier). Cette dernière se compose d’une structure en bois supportant des palissades de palmes tressées extrêmement résistantes. Certaines habitations ont, au contraire, des murs réalisés en torchis de boue et de paille. Dans tous les cas, les toits sont faits de feuilles de palmier.

Héritage colonial

Certains forts à douves conservent leurs origines lusitaniennes, tout comme certaines maisons à hauts pignons et galeries couvertes en façade. Mais ce sont les Hollandais qui marquèrent l’île plus durablement. En matière militaire, ces derniers renforcèrent les forts à l’aide de bastions et puissants appareillages de pierre, avant de s’inspirer des citadelles de Vauban, reconnaissables à leur plan en étoile. Les forts de Batticaloa, Trincomalee, Jaffna, Manmar et Colombo sont de parfaits exemples de cette évolution de l’architecture militaire. Cette architecture défensive a également donné naissance à d’authentiques villes fortifiées dont Galle est la plus belle représentante. Les Hollandais renforcèrent le grand fort en lui ajoutant les célèbres bastions de l’Etoile, du Soleil et de la Lune, tandis que derrière ses remparts crénelés, la ville déploie un urbanisme tout européen avec ses dédales de ruelles et ses demeures à fenêtres gothiques, galeries, toits de tuile et frises et lambrequins ciselés. La demeure du gouverneur hollandais avec sa promenade menant à la mer et se terminant par une balustrade « à la florentine » est un autre superbe symbole de cette architecture résolument éclectique. Les églises ne sont pas en reste et mêlent habilement structure quasi défensive (murs épais et solides) et sobres éléments de décor (arches, vitraux), telle l’église Wolvendaal de Colombo. Les Hollandais n’ont pas importé que leurs styles, ils ont également importé leur amour immodéré des canaux ! Pour faciliter le transport des épices le long de la côté, ils construisirent de nombreuses voies d’eau, notamment du côté de Negombo. Très européenne, la présence hollandaise a malgré tout tenté de s’adapter aux conditions climatiques locales, en ajoutant autant que possible cours et arcades, comme le montre bien l’Old Dutch Hospital de Colombo. Sans doute se sont-ils inspirés de l’architecture domestique cinghalaise qui s’est développée en parallèle et que l’on reconnaît notamment à ses fenêtres à évents intégrés conçus pour garantir la fraîcheur, à ses belles portes ornées, et à son organisation autour d’une ou plusieurs cours intérieures bordées d’arcades…, autant d’éléments assurant intimité et confort. Une disposition qui n’a rien à voir avec le pavillon compact placé au centre d’un jardin qu’affectionnaient tant les colons anglais ! Cette présence anglaise s’est surtout fait sentir dans les gigantesques plantations de thé, créant des villes aux allures de petite Angleterre, telle Nuwara Eliya avec son golf, son club-house et sa bibliothèque, tandis que les travailleurs des plantations, tamouls pour la plupart, résident (aujourd’hui encore) dans de petits ensembles d’habitations sommaires adjacents aux usines baptisés « colonies ». Bungalows de planteurs aux avant-toits soulignés de lambrequins et rest-houses, petits hôtels reconnaissables à leur véranda, jalonnent aussi les plantations. Gares, collèges, tours d’horloge, édifices publics et autres champs de courses se font alors néoclassiques, victoriens, italianisants ou néo-tudor, mêlant briques rouges, colombages, fer forgé travaillé et romantiques tourelles. Parmi les plus étonnants, notons : le Queen’s Hotel et la gare de Kandy, le Colombo National Museum, le Bureau de Poste de Nuwara Eliya, ou bien encore la College House de l’Université de Colombo.

Architecture moderne et contemporaine

La grande figure de l’architecture moderne sri-lankaise est Geoffrey Bawa… au départ avocat de formation ! C’est au moment de l’Indépendance, après avoir acquis une plantation d’hévéa à l’abandon à Lunuganga, qu’il décide de quitter le droit pour se former à l’architecture et être en mesure de transformer ce lieu unique à son image. Sa propriété devient le manifeste d’un modernisme tropical empreint de poésie et de nature. Pour Bawa, l’architecture doit se faire trait d’union entre passé, présent et futur, tout en s’inscrivant de façon harmonieuse dans son environnement. Pour ce faire, l’architecte crée des plans libres et ouverts laissant entrer la nature et la lumière par le biais de grandes baies vitrées, de terrasses et de toitures végétalisées. Il reprend également certains traits caractéristiques de l’architecture sri-lankaise tels que les cours et bassins intérieurs, les passages à colonnades et les toits en tuile de terre cuite. Parmi ses réalisations les plus célèbres, notons : les deux élégants pavillons du Seema Malaka Temple de Colombo, le Kandalama Hotel à Dambulla et bien sûr le Parlement du Sri Lanka. Pour l’occasion, l’architecte a drainé un terrain marécageux pour créer un îlot au cœur d’un lac artificiel, faisant ainsi écho aux travaux d’irrigation menés lors de la période des grands royaumes. Étonnante composition asymétrique de pavillons aux toits cuivrés qui semblent léviter au-dessus des terrasses étagées, le Parlement est un incontournable ! Un modernisme fort éloigné de celui de la Bank of Ceylan, aux accents résolument occidentaux, tout comme le World Trade Center Colombo avec ses tours jumelles déployant leurs silhouettes arrondies de verre et de béton sur 152 m de haut.

En 2004, l’île est frappée par un tsunami. 100 000 logements sont détruits, des villages entiers sont rasés. Si les secteurs les plus touristiques sont rapidement reconstruits, notamment dans la partie sud de l’île, de nombreuses zones du Nord peinent à se relever, les habitants y étant relogés dans des villages de béton sans âme. Après cette tragédie, il fut décrété que toute construction à moins de 100 m de l’océan serait interdite… mais face à la pression touristique, le littoral a très rapidement connu une nouvelle phase de bétonisation. En parallèle, certains ont cherché à élaborer des solutions plus durables et humaines. C’est le cas du célèbre architecte japonais Shigeru Ban qui a réalisé un étonnant projet de 100 maisons à Kirinda. Objectif : adapter les maisons au climat et employer main-d’œuvre et matériaux locaux (bois de caoutchouc pour les cloisons, blocs de terre compressée pour les murs). Quelques années plus tard, Shigeru Ban revint sur l’île pour dessiner la Villa Vista aux élégants jeux de volume et de perspective et au toit composé de panneaux de ciment eux-mêmes couverts de feuilles de cocotier pour permettre une intégration parfaite à l’environnement. Le Sri Lanka a également attiré une autre grande figure de l’architecture japonaise : Tadao Ando, qui y a réalisé la Pringiers House à Mirissa, fascinant monolithe de béton s’avançant vers la mer. Parmi les autres étonnantes réalisations contemporaines, notons : le Nelum Pokuna Mahinda Rajapaska Theatre à Colombo dont la structure en fleur de lotus à 8 pétales s’inspire du bassin en lotus de Polonnaruwa, ou bien encore le Clear Point Residence Building avec ses jardins verticaux dont les plantes contribuent à rafraîchir le bâtiment, tandis que l’irrigation se fait par un système de récupération des eaux de pluie. Une volonté de durabilité que l’on retrouve dans les nombreux spas, lodges et resorts jalonnant l’île, à l’image du Wild Coast Tented Lodge à Palatupana et du Yala Hotel/Uga Chena Huts aux étonnantes structures en dômes de chaume et charpentes de bois ; ou bien encore du Santani Wellness Resort and Spa de Kandy avec son harmonie de pierre, bois et béton et ses avancées sur pilotis pour mieux s’adapter à la topographie des lieux. Sobriété, épure, respect de l’esprit du lieu et de l’environnement président à la réalisation de ces lieux d’évasion et de bien-être.