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Sur les traces de l’Histoire

Première étape de ce grand voyage architectural : le site préhistorique de Hyrax Hill, qui abrite les vestiges de trois lieux de peuplement dont le plus ancien remonterait à 3 000 ans. Tumuli funéraires, vestiges d’un fort en pierre et fondations de deux huttes en pierre de forme semi-circulaire complètent cet étonnant panorama d’un habitat préhistorique déjà très raffiné et codifié. Dans l’un de ces premiers « villages », la présence de 13 enclos distincts a, en effet, été révélée, traduisant une organisation hiérarchisée de l’espace. Faisons maintenant un bond dans le temps pour partir à la découverte de la riche civilisation swahilie, étonnant mélange de cultures arabes et africaines, qui apparut dès le IXe siècle avec l’émergence des premières cités-Etats et grands comptoirs commerciaux. Le site de Gede est sans doute l’un des plus importants du pays. Vous y découvrirez les vestiges d’une cité fondée au XIe siècle et qui était jadis protégée de deux puissants murs d’enceinte. Maîtres de l’architecture de l’eau, les bâtisseurs de l’époque rivalisaient d’ingénierie dans la création de puits et citernes nécessaires à l’adduction d’eau et aux ablutions rituelles. Ceux de la Grande Mosquée sont encore visibles. Ne manquez pas non plus son superbe mihrab (niche indiquant la Mecque) savamment sculpté dans le corail. Jadis, il était recouvert de plâtre et agrémenté de… porcelaines de Chine ! Un type de décoration que l’on retrouve également sur de nombreuses stèles funéraires dont une aux étonnants piliers cannelés et bossages de corail. Autre symbole de la splendeur de cette cité swahilie : les ruines de son palais avec son porche d’entrée et ses multiples salles et cours. Vous remarquerez deux trous percés dans le sol… il s’agissait là d’un des premiers exemples de système de ventilation. Et ne faites pas l’impasse sur les latrines d’une étonnante modernité, avec leur petit muret de séparation et leur « lavabo » pour se nettoyer ! Les maisons du site sont de très beaux exemples de cette culture swahilie avec leurs murs faits de blocs de pierre taillés dans le corail non encore fossilisé, donc plus tendre et facile à travailler. Les ruines de Mnarani, Jumba la Mtwana, la vieille ville de Mombasa ou le village de Shela sont d’autres superbes témoins de la culture swahilie. Mais s’il ne fallait visiter qu’un site, ce serait bien sûr la ville de Lamu, la plus vieille ville d’Afrique de l’Est, dont le cœur est classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Si la ville est ancienne, ses édifices datent principalement des XVIIIe et XIXe siècles. Toute la culture swahilie est là, dans ces dédales de ruelles labyrinthiques et ombragées tout juste assez larges pour faire passer les animaux, dans cette division en petits quartiers (mitaa) et surtout dans ces maisons aux caractéristiques si particulières. En pierre de corail, mortier de chaux et bois de palétuvier, ces maisons possèdent peu d’ouvertures sur la rue, si ce n’est une porte superbement sculptée et décorée de motifs floraux ou calligraphiques et des balcons fermés tels des moucharabiehs. Un porche (daka) agrémenté d’un banc de pierre (bazaras) offre un espace de convivialité avant d’entrer dans la demeure qui s’organise autour d’une cour ou d’un jardin. Plafonds peints et niches sculptées font partie des éléments phares de la décoration de ces somptueuses maisons. En vous promenant dans les rues de la ville, vous passerez sans doute devant des portes à caissons cloutés… il s’agit là d’un apport de la communauté indienne, très présente à Lamu. Ne manquez pas non plus les très belles mosquées de la ville et les maisons du front de mer avec leurs vérandas ouvertes et leurs arcades. En parallèle de ces trésors swahilis, le Kenya abrite également des témoins de la présence portugaise, dont le Fort Jesus à Mombasa. Bâti au XVIe siècle, il est un bel exemple de l’adaptation de l’architecture militaire aux évolutions de l’artillerie. Chef-d’œuvre d’harmonie et de géométrie, il porte fièrement les idéaux de la Renaissance. Voyez ses murailles imposantes, ses douves et ses bastions aux formes angulaires protégeant citernes, magasins et quartiers privés, l’ensemble étant, là encore, sculpté dans la pierre de corail.

Héritage colonial

L’Uganda Railway, surnommée la Lunatic Railway par les locaux, est la première grande transformation du pays lancée sous le protectorat britannique. Progressivement, les gares nouvellement édifiées vont devenir le centre névralgique de grands centres urbains, à l’image de Nairobi, nouveau siège du Protectorat. Travaux d’assèchement, création d’un plan d’urbanisme autour de la City Square, rien n’est laissé au hasard… surtout pas la définition des zones d’habitation réservées aux Européens qui s’octroient les meilleurs terrains, reléguant la population noire aux périphéries, dans des logements de fortune. La ségrégation urbaine se met en place. Dans la ville, les Anglais multiplient les édifices aux influences « néo » comme la Court House et son porche flanqué de six colonnes, la Pan Africa House avec ses fenêtres sculptées d’inspiration Renaissance ou bien encore la très néoclassique McMillan Library. A Mombasa, les styles « néo » se mêlent aux influences swahilies, comme en témoignent l’Africa Hotel et son double balcon à la partie supérieure fermée ou bien encore la Vieille Poste avec son balcon en bois et sa façade aux accents arabisants. La communauté indo-pakistanaise, très présente sous le protectorat britannique, laisse également sa marque à travers des échoppes et temples aux couleurs chatoyantes. D’une manière générale, les maisons urbaines de l’époque sont souvent surélevées pour une meilleure isolation, et possèdent une véranda/galerie et un toit avec des avancées protégeant de la pluie et du soleil, tandis que l’intérieur fait la part belle aux bois et à la céramique. En parallèle, les Britanniques créent également de grands domaines agricoles au milieu desquels trônent des maisons dont l’évolution stylistique traduit le pouvoir grandissant des propriétaires sur ces terres. Au départ, les premiers arrivants logeaient dans des huttes tout à fait rudimentaires. Puis, progressivement, ils ont érigé de plus grandes demeures sur des fondations de pierre. Ces maisons pouvaient être en brique ou en bois (de cèdre le plus souvent), et possédaient, sous des dehors parfois rustiques, des aménagements confortables et fonctionnels. En plus de la maison, ces grands domaines possédaient granges, étables, espaces de stockage et habitations pour le personnel. Des exemples sont à voir non loin de Mau Narok, qui possède également une étonnante église de pierre aux atours romans fortifiés et crénelés alors même qu’elle date… des années 60. Une incongruité architecturale qui souligne un peu plus l’aspect artificiel de cette présence britannique qui, si elle s’est accompagnée d’une ouverture indéniable à la modernité, a surtout dénaturé le pays, expropriant les populations locales et détruisant une partie de son riche habitat.

Architecture moderne et contemporaine

Dès la fin des années 50, l’architecte Amyas Connell annonce l’arrivée du modernisme avec des édifices comme l’Aga Khan Jubilee Hospital. Mais sa réalisation la plus célèbre, inaugurée l’année même de l’indépendance du pays, est le Parlement de Nairobi dont la tour d’horloge blanche et élancée domine alors la ville. L’objectif de l’architecte est d’allier sobriété et fonctionnalité dans un style qui se détache définitivement du passé. Désormais libre et indépendant, le Kenya se lance pleinement dans la folie moderniste avec des édifices emblématiques tel le Kenyatta International Conference Centre, tour de 28 étages toute de verre et de béton, surmontée d’une étrange corolle inversée et dont l’amphithéâtre adjacent a été pensé sur le modèle d’une hutte africaine. Une juxtaposition détonante ! Les années 70 portent aussi la marque de l’architecte David Mutiso qui réalise le siège de l’ONU, ainsi que le Kenya Technical Teachers College aux tuiles de béton rouge et à l’amphithéâtre surmonté d’une pyramide à toit plat, tous deux dans le quartier de Gigiri à Nairobi. Depuis lors, la capitale connaît une croissance urbaine que rien ne semble pouvoir arrêter. Jadis verdoyante, Nairobi ne cesse de rogner ses espaces verts au profit d’aménagements autoroutiers ou résidentiels où dominent le béton, tandis que son Central Business District se dote de gratte-ciel toujours plus hauts… la ville devrait d’ailleurs inaugurer en 2023 le pharaonique projet des Pinnacle Towers, deux tours de 320 m et 201 m accueillant hôtels et appartements de luxe. Un projet fou, comme celui baptisé Kenya Vision 2030 et qui prévoit la création du plus grand port d’Afrique de l’Est dans la baie de Manda et qui s’accompagnerait de moult raffineries, pipelines, quais, resorts touristiques et autres voies ferrées et autoroutières… Fort heureusement, nombreux sont les architectes à faire un autre choix, celui de la durabilité et du respect des traditions. Cela avait été lancé avec la très belle African Heritage House de l’américain Alan Donovan qui s’était inspiré des mosquées de boue du Mali pour réaliser cette somptueuse demeure rouge-ocre qui possède aussi des éléments de nombreuses autres cultures africaines (porte sculptée swahilie, patio marocain, motifs décoratifs ouest-africains). Aujourd’hui, des édifices allient avec brio tradition et innovation, comme la Cathédrale du Sacré-Cœur de Kiricho avec sa superbe charpente en V renversé faite d’arches en béton supportant des lattes de bois et ses éléments en granit, bois, pierre à savon et argile réalisés par des artisans locaux. Une démarche également portée par l’architecte burkinabè Francis Kéré qui a récemment réalisé le Startup Lions Campus pour aider les jeunes de la région du Turkana. Inspiré des étonnantes buttes des colonies de termites, ce bâtiment impressionne par ses vastes toits-terrasses ombragés et ses ingénieuses colonnes de ventilation inspirées de la tradition arabe. La fondation Eco Moyo Education Centre multiplie également les projets durables réalisant des salles de classe et centres éducatifs en bois, pierre de corail et makuti (le célèbre chaume de feuilles de palmier). Autant d’éléments que l’on retrouve dans les somptueux écolodges du pays, comme le Tortilis Camp à Amboseli ou la Ngong House à Nairobi. Soucieux de limiter leur impact sur l’environnement, ces lodges en deviendraient presque invisibles !

Richesses vernaculaires

Le site archéologique de Thimlich Ohinga, près de Mingori, est unique à bien des égards. Daté du XVIe siècle, il témoigne d’établissements communaux partagés, fondés sur l’agropastoralisme et l’artisanat. L’Ohinga, ou enceinte, avait principalement pour but de protéger les communautés et le bétail. La particularité de ce site fortifié réside dans son ingénieuse architecture de pierre sèche. Les murs d’enceinte étaient alors construits en trois phases : les tranches intérieure et extérieure étaient construites séparément, avant que ne leur soit adjointe une tranche médiane assurant leur cohésion. De tailles variables, les pierres étaient assemblées dans un savant jeu d’équilibre assurant une stabilité parfaite, et ce, sans mortier. Ces murs pouvaient atteindre jusqu’à 4,5 m de haut et faisaient en moyenne 1 m d’épaisseur. Contreforts, conduites de drainage, site industriel et fosses d’habitation complètent cet étonnant exemple d’un habitat de pierre fortifié réalisé par les premières communautés pastorales de la région. Un exemple d’autant plus étonnant que la très grande majorité des ethnies du Kenya privilégient les constructions temporaires en matériaux naturels et donc périssables (bois, terre, herbe, roseaux, écorces, bouse…) Parmi les constructions autochtones les plus étonnantes, vous pourrez peut-être apercevoir les huttes d’acacia et de palmier en forme d’igloo du peuple El Molo ; les huttes circulaires aux toits de chaume coniques du peuple Taïta qui utilise toutes les ressources de la nature environnante pour s’adapter au climat, à commencer par les grands arbres protecteurs et pourvoyeurs d’ombre ; les huttes du peuple Oromo que l’on reconnaît aux motifs colorés peints sur leurs murs de bois et torchis ; les huttes du peuple Dassanech qui doivent leur silhouette d’igloo à leur structure en bois recourbé et au côté desquelles se trouvent souvent des espaces de stockage en forme de cases cylindriques à toits coniques et sur pilotis ; ou bien encore les incroyables kayas, villages fortifiés, du peuple Mijikenda, indissociables des forêts où ils sont construits et aujourd’hui considérés comme la demeure sacrée des ancêtres. Mais l’habitat autochtone le plus connu est sans aucun doute celui du peuple Maasaï. Les villages maasaï sont célèbres pour leur « boma » ou « kraal », c’est-à-dire l’enceinte qui protège les habitations. Cette dernière peut être faite de pierre, de poteaux de bois ou de bosquets de fourrés épineux et impénétrables. Un système de clôture partagé par le peuple Samburu. Les habitations maasaï sont généralement de plan rectangulaire et leur silhouette de boue et de paille est souvent bombée. Très touristiques et peut-être un peu artificiels, les Bomas du Kenya (musée de plein air), le Bomtolulu Workshops and Cultural Centre de Mombasa et le réseau des Villages Culturels Maasaï ont au moins le mérite de faire vivre et connaître ces riches traditions vernaculaires.