La petite Vienne sur mer
En vous promenant au centre, vous aurez parfois le sentiment d’être à Vienne, à Prague ou à Budapest. Certaines façades de palais érigées au XIXe siècle alors que Trieste était sous la protection de l’aigle des Habsbourg rappellent au visiteur que la ville n’a pas toujours été italienne. Au XIVe siècle, Trieste, convoitée et encerclée par les territoires de l’ennemie de toujours, Venise et sa République, se rattache volontairement au très puissant empire des Habsbourg qui voit en son accès à la mer une aubaine. Proclamé port franc par Charles VI en 1719, exempté de taxes, son spectaculaire essor économique attire massivement les marchands grecs et serbes. Bordée par de larges avenues rectilignes, Trieste affiche sur les façades cossues de ses édifices la fierté d'avoir été l’un des ports les plus influents d’Europe avec une superposition de styles baroque, empire, néoclassique, Art nouveau. L’ambiance habsbourgeoise des édifices et l’esprit bohémien de cette ville au parfum de Mitteleuropa se ressentent dans son subtil métissage.
Piazza Unità d’Italia
S’ouvrant sur la mer, la plus vaste place d'Europe (10 000 m2) est aussi l’une des plus belles. La Piazza Unità d’Italia célèbre le rattachement de Trieste à l'Italie en 1918 après plus de cinq siècles de protectorat austro-hongrois. Elle est prolongée par une superbe jetée : le Molo Audace. La place centrale présente une belle unité avec d’élégants édifices à l’architecture baroque et austro-hongroise d’inspiration néoclassique avec quelques touches d’Art nouveau qui donnent une idée de sa puissance d’antan. Parmi les édifices qui entourent la place, admirez le Palais du gouvernement conçu par l'architecte viennois Emil Artman et construit entre 1901 et 1905. Sa fascinante façade scintillante de mosaïques en verre de Murano reprend des motifs, des portraits allégoriques et la croix de Savoie. Face à la mer se dresse le majestueux bâtiment du Palazzo del Municipio, l'hôtel de ville avec sa tour campanaire imaginé par l'architecte triestin Giuseppe Bruni. Observez la façade structurée et ses rangées serrées de fenêtres, surmontée d'une tour avec une horloge où Jakeze et Mikeze, deux personnages en bronze battent les heures depuis 1876. Le 18 septembre 1938, depuis le balcon central de l’hôtel de ville, le président du Conseil italien, Benito Mussolini annonce à une foule immense rassemblée sur la Piazza Unità d’Italia l’instauration des lois raciales fascistes en Italie. Devant l’hôtel de ville se dresse la Fontaine des quatre continents. Créée par l'architecte Mazzoleni, cette fontaine baroque achevée en 1754 représente le monde tel qu’il est connu à l’époque. Quatre statues incarnent les habitants des quatre continents (Europe, Asie, Afrique et Amérique). C’est aussi sur la Piazza Unità d'Italia que vous verrez le palais Stratti appartenant au classicisme. Il abrite le Caffè degli Specchi (café aux miroirs), le QG bourgeois de la marine britannique durant la Seconde Guerre mondiale. Symbole de la domination de Trieste sur la mer, les façades du Lloyd Triestino Palazzo, conçu dans le style de la Renaissance italienne, sont à voir. Enfin, le palais de la Lieutenance autrichienne, l’un des plus importants sous la domination des Habsbourg, se démarque avec son entrée monumentale et ses mosaïques représentant les armoiries de la maison de Savoie.
Quartier Teresiano
Le centre-ville appelé Borgo Teresiano est l'un des plus vieux quartiers. Commandé par Marie-Thérèse, la première impératrice d'Autriche au milieu du XVIIIe siècle, il est construit en damier sur le modèle d’une ville d’Europe centrale. Avec ses angles stricts et son tracé rectiligne, le Borgo Teresiano est l'un des premiers exemples d'urbanisme moderne de la fin du XVIIIe siècle. Ce quartier d’inspiration néoclassique bâti sur des salines abandonnées répond à la demande croissante de la bourgeoisie vivant en ville. Les immeubles calibrés et ornés de balcons en marbre témoignent du riche passé de la ville. Dessinés par des architectes et des artistes en vogue comme Matteo Pertsch, Pietro Nobile et Cesare dell'Acqua, les édifices imposants se caractérisent par un rez-de-chaussée élevé, une grande porte centrale permettant un accès aux véhicules et des résidences privées aux étages supérieurs. La bourse, l'opéra, la place de la mairie, la gare, l'édifice Art déco en brique rouge de la Generali Reali Estate sont des exemples représentatifs de cette architecture cosmopolite aux caractéristiques italiennes et influencée par l'architecture viennoise du XIXe siècle. Le point d'appui du quartier est le Canal Grande creusé entre 1754 et 1756, un port moderne qui permet aux navires d’atteindre le centre-ville et de décharger leurs marchandises. La mer pénètre dans les terres jusqu’à l’église néoclassique Sant’Antonio Taumaturgo. La structure spectaculaire en pierre et la forme unique des quais et du Canal Grande sont à la gloire du commerce maritime de Trieste qui règne alors sans partage sur cette mer.
De nombreux lieux de culte
Grâce à la politique tolérante de Marie-Thérèse qui a décrété la liberté de culte, les communautés catholiques, orthodoxes (grecques et serbes) et juives cohabitent paisiblement. Au centre-ville, une église catholique, une synagogue, une église orthodoxe serbe et une église orthodoxe grecque érigées presque face à face incarnent le parfait exemple du « vivre-ensemble » qui caractérise Trieste. En 1784, les Grecs construisent une imposante église orthodoxe, San Nicolò dei Greci dont la façade est redessinée en 1820 par l'architecte Matteo Pertsch dans un style néoclassique. A l’intérieur, son iconostase richement dorée impressionne. Près du Grand Canal, observez la superbe église de la Sainte-Trinité-et-Saint-Spiridion bâtie en 1869 pour la communauté serbe orthodoxe par Carlo Maciachini, défenseur des « styles historiques ». L’édifice inspiré de l'architecture byzantine est surmonté d’un grand dôme central bleu. La façade avec ses mosaïques rappelle le style roman italien.
Symbole principal de la religiosité chrétienne de Trieste, la spectaculaire Cattedrale di San Giusto datant du XIVe siècle est construite sur les ruines d'un temple antique sur la colline de San Giusto qui constituait autrefois le cœur du quartier médiéval. Sa façade dominée par une rosace est ornée de fresques, de mosaïques et de sculptures. La synagogue, sobre et élégante, en béton a été construite en 1912 par les architectes Ruggero et Arduino Berlam. C’est l’un des plus imposants édifices du judaïsme en Europe dont la décoration est influencée par certains édifices chrétiens d’Orient.
Les cafés historiques
De son passé viennois, Trieste, premier port de Méditerranée pour l’importation du café, a gardé de superbes cafés littéraires avec de hauts plafonds. Véritables institutions pour les Triestins, ces cafés du XIXe siècle traversent les époques. Ils sont pour la plupart près de la via Roma, du Canal Grande et des quais. Prenez un « nero » au somptueux bar en bois sculpté de l’antico caffè San Marco, une institution au décor viennois dans le plus pur style Sécession. Admirez le style Liberty et le mobilier d'origine de l'Antico Caffè Torinese et dégustez un café viennois dans le plus vieux café de la ville : le caffè Tommaseo, ouvert en 1825 et superbement décoré par le peintre Gatteri.
Trieste présente à ses visiteurs toutes ses mémoires
Après la défaite autrichienne lors de la Première Guerre mondiale, les patriotes « irrédentistes » annexent Trieste par la force à l’Italie. Pour effacer l’identité cosmopolite du port et gommer son passé autrichien, le régime fasciste utilise l'architecture comme outil de propagande. Objectif : « italianiser » l’espace public de Trieste et les esprits. La préfecture de police, les infrastructures portuaires et politiques sont bâties sur le modèle fasciste : ce sont de très grands bâtiments en béton et en marbre blanc à l’architecture grandiloquente avec des arcades et des colonnes puissantes à l’image de l’Université. Ces édifices des années 1920-1930 côtoient ceux des XVIIIe et XIXe siècles dans un éclectisme architectural qui fait aujourd’hui la particularité de Trieste. La Risiera di San Sabba témoigne elle aussi de cette mémoire douloureuse du fascisme. Construit en 1898 pour l'empilage du riz, l'édifice a été utilisé par les nazis pour l’élimination des juifs et des opposants politiques italiens, slovènes et croates. En 1966, l’architecte Romano Boico fut choisi par la municipalité pour transformer la Risiera en lieu de mémoire. Il ajouta des structures en béton au site original. Le musée possède 17 cellules de détention et une bibliothèque.
Les alentours de Trieste méritent un coup d’œil
A 8 kilomètres de la ville, surplombant l’Adriatique, magnifiquement entouré d’un grand parc à la végétation flatteuse, le château blanc de Miramare semble sorti d'un conte de fées. Construit par l'architecte Carl Junker entre 1856 et 1860 dans un style éclectique, il combine des éléments de style baroque, roman et Renaissance. Avec ses 20 chambres conçues dans le style de l’historicisme romantique, le castello di Miramare fut la maison de vacances de l'archiduc Maximilien de Habsbourg-Lorraine et de son épouse, la princesse Charlotte de Belgique. Entre 1869 et 1896, sa nièce l’impératrice Élisabeth, plus connue sous le nom de Sissi, y séjourna 14 fois.
A une dizaine de kilomètres de Trieste se dresse le castello di Duino. Superbement restauré et surplombant le golfe de Trieste, il a été construit au XIVe siècle sur les ruines d'un avant-poste romain. En 1911 et 1912, le poète autrichien Rainer Maria Rilke y séjourna et y débuta l'écriture des Élégies de Duino.
A 47 km de Trieste, Palmanova est un chef-d’œuvre d’architecture militaire. Cette ville fortifiée en forme d'étoile à 9 branches, conçue par Vincenzo Scamozzi, fut bâtie en 1593 par la République de Venise qui utilisa les dernières innovations militaires afin de se protéger de ses rivaux, les Habsbourg d’Autriche et les Turcs. Dotée de trois cercles défensifs, sa vaste place d'armes est spectaculaire. Très bien conservée, Palmanova est classée à l'Unesco depuis 2017.