Guide du Paraguay : Histoire
Les premiers groupes amérindiens, les Lágido et Pámpido, seraient arrivés sur le territoire actuel du Paraguay il y a 8 000 ans, bien avant les Guarani (ou Avá), il y a 2 500 ans. Les Guarani appartiennent au groupe linguistique tupi-guarani, présent dans le bassin amazonien depuis 12 000 ans. Leur dispersion s'est faite progressivement sur de vastes territoires, s'étendant du fleuve Amazone jusqu'à l'estuaire du Río de la Plata, du littoral atlantique jusqu'aux contreforts de la cordillère des Andes. A l'arrivée des premiers explorateurs européens, l'actuel Paraguay était donc peuplé de nombreuses tribus. Les Guarani regroupaient un ensemble de peuples semi sédentarisés, qui vivaient de chasse, pêche et cueillette mais aussi de la culture itinérante du manioc et du maïs. Ils se sont vite trouvés en supériorité numérique face aux autres groupes restés nomades.
Les premières explorations dans le sud du continent commencent au début du XVIe siècle, quelques années après la " découverte " du Nouveau Monde par Christophe Colomb en 1492. Les explorateurs étaient des Espagnols et des Portugais, dont les rois s'étaient attribués les territoires à conquérir. Ces territoires étaient situés de part et d'autre d'une ligne verticale dont les limites étaient définies par le traité de Tordesillas (1494). En 1516, l'Espagnol Juan Díaz de Solís explore la " Mer douce ", un vaste estuaire qui prendra vingt ans plus tard le nom de Río de la Plata (" le Fleuve d'Argent "). Il remonte le fleuve jusqu'à la confluence des Ríos Paraná et Uruguay. A cet endroit, Solís et quelques hommes mettent pied à terre, attirés par l'or que leur montrent des Indiens depuis les berges. Les Espagnols sont immédiatement capturés, puis dévorés ! Le reste de l'équipage prend la fuite et rentre en Espagne. Lors du voyage retour, l'une des caravelles fait naufrage au large du Brésil, sur l'île de Santa Catalina. Les rescapés sont accueillis, pacifiquement cette fois, par des Indiens guarani. Ces derniers leur racontent leur quête de Yvy marãe'y, la " Terre sans mal ". Dans ce paradis terrestre, situé bien à l'ouest, il y aurait un " Roi blanc " et une montagne d'argent dénommée Potojchi (Potosi). Pour trouver cette montagne, Alejo García, un Portugais qui faisait partie du groupe de rescapés, organise une expédition en 1524, avec une poignée d'Espagnols et des guides indiens. Ils empruntent le Tapé Avirú, le chemin qui mène à la Terre sans mal. 2 000 Guarani se joignent à eux. García sera le premier Européen à traverser la vaste forêt tropicale puis le Chaco, pour atteindre les premiers contreforts de la cordillère des Andes. Après avoir amassé divers objets en argent, les Espagnols rentrent vers Santa Catalina. Mais ils sont assassinés par d'anciens alliés guaranis, peu après avoir traversé le Río Paraguay du côté de l'actuelle ville de San Pedro de Ycuamandyyú.
En 1527, Sébastien Cabot, navigateur vénitien envoyé par la Couronne de Castille, entend parler des aventures d'Alejo García. Il explore à son tour la région, par les fleuves. Il remonte le Paraná, puis le Paraguay, jusqu'à une quarantaine de kilomètres de l'actuel Asunción. L'expédition rentre en Espagne en 1530, sans métaux précieux mais en ayant davantage d'informations sur les larges fleuves qui pénètrent au coeur du continent.
Quatre ans plus tard, Hernando Pizarro rentre du Pérou avec d'immenses richesses. La conquête du continent est désormais justifiée et urgente pour l'empereur Charles Quint. Il se méfie du Portugal qui revendique des territoires situés au-delà de la ligne de Tordesillas. L'objectif de la conquête espagnole est donc double : découvrir les mines de Potosi et empêcher les incursions portugaises. En 1536, la Couronne de Castille charge Don Pedro de Mendoza de conquérir le plus grand territoire jamais confié à un Adelantado (représentant du roi dans les territoires à découvrir). La " Province géante des Indes " représente environ la moitié de l'Amérique du Sud. Après avoir fondé Buen Ayre (Buenos Aires) en 1536, Mendoza envoie son second, Juan de Ayolas, trouver le chemin menant aux montagnes d'argent. Accompagné par Domingo Martínez de Irala, Ayolas remonte le fleuve Paraguay jusqu'à une baie qu'il nomme Candelaria (au nord de l'actuel Fuerte Olimpo). Irala y construit un fort, tandis qu'Ayolas continue d'explorer la région. De son côté, Mendoza tombe malade et décède lors du voyage retour vers l'Espagne.
Période précolombienne > Arrivée des premiers groupes humains il y a 8 000 ans. La région est peuplée de tribus nomades de différentes familles linguistiques.
1524 > Expédition à pied d'Alejo Garcia guidé par des Guarani à travers l'actuel Paraguay.
1527 > Remontée du Río Paraguay par Sébastien Cabot.
1536 > Expédition de Juan de Ayolas et Domingo Martinez de Irala.
1537 > Fondation de Nuestra Señora de la Asunción par Juan de Salazar y Espinoza.
1541 > Asunción devient le centre politique de la " Province géante des Indes ".
1544 > Le gouverneur Alvar Nuñez Cabeza de Vaca est destitué par les habitants d'Asunción.
1556 > Instauration de l'encomienda, puis décès d'Irala.
1585 > Premières missions franciscaines.
1609 > Premières missions jésuites.
1717-1736 > Révolución comunera. Premiers parfums d'indépendance.
1753-1756 > Guerre guarani contre les bandeirantes portuguais.
1767-1768 > Expulsion des jésuites du Paraguay.
1811 > Indépendance de la République du Paraguay le 15 mai.
1814-1840 > Dictature du Dr Francia.
1844-1862 > Présidence de Carlos Antonio López.
1862 > Présidence de Francisco Solano López.
1865-1870 > Guerre de la Triple Alliance contre l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay.
1870-1887 > Période de reconstruction. Les biens et terres de l'Etat sont bradés aux compagnies étrangères. Période d'instabilité politique.
1887 > Création des deux grands partis du Paraguay, Libéral et Colorado.
1932-1935 > Guerre du Chaco.
1936 > Mouvement révolutionnaire " fébrériste ".
1939-1940 > Présidence de José Felix Estigarribia.
1940-1948 > Dictature d'Higinio Moríñigo.
1947 > Guerre civile.
1954-1989 > Dictature du général Alfredo Stroessner.
1989 > Coup d'Etat du général Andrés Rodriguez.
1992 > Nouvelle constitution, transition démocratique.
1993 > Présidence de Juan Carlos Wasmosy. Orientation néolibérale de l'économie.
1996 > Echec du coup d'Etat de Lino Oviedo.
1998 > Présidence de Raúl Cubas.
1999 > Assassinat du vice-président Argaña. Mouvement populaire " Marzo paraguayo ". Fuite à l'étranger du président Raúl Cubas et de Lino Oviedo.
2000-2003 > Présidence de Luis González Macchi.
2003-2008 > Présidence de Nicanor Duarte Frutos.
2008-2012 > Election de Fernando Lugo. La gauche au pouvoir.
2009-2010 > Réforme de la santé, négociation pour réviser le traité du barrage d'Itaipú.
2011 > Célébrations du bicentenaire de l'indépendance du Paraguay.
Juin 2012 > Massacre de Curuguaty et destitution parlementaire du président Lugo.
Juin 2012-août 2013 > Présidence intérimaire de Federico Franco. Le pays est isolé sur le plan diplomatique.
Avril 2013 > Retour du parti Colorado au pouvoir. Horacio Cartes est élu président de la République.
Juillet 2015 > Visite du pape François.
Septembre 2015 > Début de la mobilisation étudiante contre la corruption et pour une réforme éducative.
Une expédition emmenée par Juan de Salazar y Espinoza part de Buen Ayre pour chercher Ayolas qui ne sera finalement jamais retrouvé. Lors de ce périple, l'équipage débarque dans une baie proche du Cerro Lambaré. C'est le territoire des Cario, une tribu guarani qui les accueille chaleureusement. Le 15 août 1537, le fort Nuestra Señora Santa María de la Asunción est fondé. Il doit assurer le ravitaillement des expéditions en provenance de Buenos Aires. L'hospitalité des indiens surprend les conquistadores. Les Cario voient ces blancs barbus arrivés sur de grands bateaux comme des alliés pour combattre les redoutables Guaycurú du Chaco. Ils octroient aux Espagnols le statut de chefs militaires et n'hésitent pas à leur offrir leurs femmes, plusieurs par conquistadores. La région est alors surnommée le " Paradis de Mahomet ", les Espagnols vivant avec de véritables harems ! L'alliance hispano-guarani est née et une société métisse se forme au bout de quelques années : les Européens apprennent la langue et les moeurs indigènes, alors que les Guarani découvrent des techniques d'agriculture nouvelle. La région d'Asunción se peuple de métis, les mancebos de la tierra (" jeunes hommes de la terre "), qui obtiendront à la fin du XVIe siècle les mêmes droits que les Espagnols. Les rapports entre Espagnols et Guarani sont cependant largement déséquilibrés en faveur des Espagnols et tourneront vite à de l'exploitation pure et simple.
En 1540, après la disparition d'Ayolas, Irala est élu gouverneur de la province du Río de la Plata par les Espagnols d'Asunción. Cette élection directe, sans passer par la métropole, est prévue par une cédule royale autorisant, à titre exceptionnel et provisoire, les conquistadores à élire leur gouverneur. L'une des premières mesures prises par Irala est l'abandon de Buenos Aires et le rapatriement à Asunción de ses 400 habitants. En septembre 1541, Asunción devient le centre politique et militaire de la province. Elle est surnommée la " Mère des villes ". C'est de là en effet que partaient les expéditions pour fonder les autres cités de la région : Villarrica, Santa Fé, Santa Cruz et plus tard la nouvelle Buenos Aires.
1542 voit l'arrivée d'Álvar Núñez Cabeza de Vaca, le nouveau gouverneur désigné par l'empereur pour remplacer Irala. Sa venue va profondément diviser les habitants d'Asunción. Cabeza de Vaca tente de remettre de l'ordre dans cette province, où le concubinage et la polygamie sont devenus bien trop courants chez les Espagnols. Il interdit les rancheadas, ces pillages de villages indiens, et s'attaque aux avantages fiscaux des officiers. La plupart des conquistadores ne voient en lui qu'un homme austère et trop respectueux des Guarani. En avril 1544, des insurgés capturent l'Adelantado et le destituent de ses fonctions de gouverneur pour les rendre à Irala. Cabeza de Vaca est renvoyé en Espagne sur une caravelle baptisée Comuneros (qui vient de " común ", " commun ", et qui signifie " du peuple "). Le message adressé à Charles Quint est clair : le pouvoir royal ne peut passer au-dessus de la volonté populaire !
Dans sa longue quête de la Sierra de la Plata, Irala sera devancé en 1545 par Gonzalo Pizarro, venu de Lima. Asunción perd alors de son importance. Les colons savent désormais qu'ils ne trouveront pas d'or ou d'argent. La seule richesse de la province repose sur des terres fertiles et une main-d'oeuvre indienne abondante. Le système de l'encomienda est donc introduit en 1556. Irala répartit des terres et 20 000 indiens entre 320 Espagnols. L'encomendero est chargé de " civiliser " et évangéliser les indiens. En contrepartie, il perçoit de ces derniers des corvées. Ce système va modifier considérablement les rapports entre les deux peuples. Malgré la brutalité de l'encomienda, Irala, qui s'éteindra en 1556, est souvent considéré comme le père des Paraguayens car il a favorisé l'émergence d'une société métisse et bilingue (d'origine basque, il était lui-même issu d'une société bilingue). Il a notamment reconnu d'importants droits aux métis, ce qui n'était pas le cas ailleurs sur le continent.
Avec le travail forcé et les maladies importées d'Europe, la population guarani diminue fortement au XVIe siècle. Face à la cupidité des Espagnols, les indiens prennent les armes à plusieurs reprises, ou s'enfuient. La Couronne espagnole décide de faire appel aux franciscains, puis aux jésuites, pour fonder des missions ou " Réductions " destinées à regrouper les indiens pour les pacifier et les évangéliser. Le terme " Réduction " viendrait du latin reductio qui signifie " ramener " (à la vie civile et à l'Eglise) mais plus probablement du mot " réduit ", univers isolé et préservé. Au-delà de la fonction civile et religieuse, les missions étaient le moyen de contrecarrer la puissance des encomenderos et de peupler une zone tampon proche des frontières brésiliennes.
Les franciscains fondent les premières missions à partir du milieu des années 1580 : Altos, Piribebuy, Tobatí, Atyrá, Caazapá... Les frères Alonso de San Buenaventura et Luis Bolaños seront les grandes figures de cette époque. Ils furent acceptés par les Guarani qui voyaient en eux des sortes de chamans, encore plus puissants que leurs chamans traditionnels, et surtout des protecteurs face à la brutalité des encomenderos. Les Guarani restaient soumis à l'encomienda, mais encadrés par les franciscains. Ces derniers auront un rôle primordial dans la conservation de la langue guarani. Luis Bolaños mettra par écrit la grammaire et le vocabulaire guarani, et réalisera le premier ouvrage de catéchisme traduit en guarani.
De leur côté, les jésuites vont se servir de l'expérience franciscaine et perfectionner les Réductions. La première, San Ignacio Guazú, date de 1609. Ils mettent en place une organisation sociale et économique propre, différente de celle des franciscains. Dans les missions franciscaines, les moines n'étaient là que le temps d'évangéliser et de civiliser le maximum d'indiens afin de faciliter l'application de la mita (travail forcé), alors que dans les Réductions jésuites, les indiens sont dispensés de mita. Les jésuites payent un tribut proportionnel au nombre d'indiens, mais le fruit du travail de la communauté sert au développement de la mission. Alors que la mission franciscaine est relativement ouverte sur l'extérieur, la Réduction jésuite est à l'écart de la vie coloniale, de l'encomienda, des vices des Espagnols et même du castillan. Les Réductions jésuites étaient faites pour durer, avec un système économique propre et autonome et beaucoup d'utopie. Pendant un siècle et demi, les jésuites ont réuni environ 150 000 Guarani dans une trentaine de Réductions réparties entre le Paraguay, le nord de l'Argentine et le Brésil, "los Treinta Pueblos".
Pour convertir les indiens, les missionnaires faisaient preuve d'une très bonne connaissance de la langue et de la culture guarani. Ils maîtrisaient et respectaient leurs croyances messianiques et utiliseront la place centrale de Tupá, le " dieu suprême ", créateur de la lumière et de l'univers, en l'identifiant au Dieu chrétien. Pour détourner l'origine du mythe fondateur, ils sauront facilement remplacer la Terre sans mal, que seuls quelques élus pouvaient atteindre, par le paradis céleste, auquel a droit tout croyant. Au début des années 1630, les bandeirantes, ou chasseurs d'esclaves venus de São Paolo, saccagent une grande partie des missions jésuites et font prisonniers des dizaines de milliers d'indiens. Les missions se déplacent alors vers le sud-ouest, où se trouvent actuellement San Ignacio Guazú, Santa María de Fé, Santa Rosa de Lima, San Cosme y San Damián, Itapúa (Encarnación), Trinidad et Jésus. Pour se protéger contre de nouvelles attaques, les jésuites obtiennent le droit d'armer les indiens pour former une " armée guarani ". Cette armée mettra en déroute les bandeirantes à plusieurs reprises et les missions jésuites vivront un siècle de tranquillité et de prospérité.
Le système économique performant des Réductions jésuites finit par attiser les convoitises. Les encomienderos voyaient dans les Réductions une sérieuse concurrence. Les religieux de leur côté n'appréciaient pas l'absence de contrôle hiérarchique sur les pères et reprochaient à ces derniers de vouloir créer une société à part, avec un syncrétisme culturel et religieux choquant.
En 1750, un traité entre l'Espagne et le Portugal accorde à ce dernier de vastes territoires où se trouvaient sept Réductions jésuites espagnoles. Des milliers d'indiens et quelques pères jésuites refusèrent d'abandonner leurs missions et résistèrent par les armes pendant trois ans (1753-1756), en vain. Les rapports ne firent que s'envenimer par la suite pour aboutir finalement à l'expulsion définitive de tous les jésuites des colonies et de l'Espagne en 1767 et 1768 et à la suppression de la Compagnie de Jésus. Les missions sont désormais gérées par un gouverneur espagnol. Face à la cupidité des administrateurs, les indiens s'en vont. Habitués à vivre dans une société paternaliste et ordonnée, ils perdront tout repère et disparaîtront dans la plus grande misère. Les missions seront pillées et détruites, la plupart entre 1817 et 1827.
Depuis les premières années de la colonie, les Paraguayens ont le droit d'élire, à titre exceptionnel et provisoire, leur gouverneur en cas de défaillance du gouverneur choisi par la Couronne. L'exception devint la règle et donna aux Paraguayens des aspirations de liberté. Au début du XVIIIe siècle, le pays est surchargé d'impôts. A la même époque, les Réductions jésuites sont en pleine expansion et constituent une solide concurrence sur les marchés agricoles, avec un régime fiscal très avantageux. En 1717, le gouverneur Diego Balmaceda eut la mauvaise idée de libérer des indiens du Chaco qui avaient été capturés par des encomenderos, afin de les remettre aux jésuites. Les encomenderos excédés se révoltèrent en invoquant la sacro-sainte liberté. En 1721, l'avocat panaméen José de Antequera, envoyé sur place par le vice-roi du Pérou pour enquêter sur l'affaire, prendra le parti des Paraguayens. Il prendra même la place du gouverneur, avant d'être arrêté puis exécuté en 1725.
Pour contenir ce soulèvement populaire, les troupes espagnoles venues de Buenos Aires reçoivent l'appui d'une armée de 8 000 Guarani des missions jésuites. La rébellion qui dura 18 ans se termina en 1735 avec la défaite des Comuneros. C'est la fin de tout privilège politique, mais la rébellion constitue les prémices des futurs mouvements indépendantistes sud-américains.
Le 25 mai 1810, les créoles de Buenos Aires profitent des événements politiques en Europe (invasion de l'Espagne par Napoléon en 1808) pour destituer le vice-roi à Buenos Aires. C'est la " révolution de Mai ". La junte ambitionne d'administrer tout le Río de la Plata, y compris le Paraguay. Elle envoie le général Manuel Belgrano et son armée capturer le gouverneur espagnol du Paraguay, Bernardo de Velasco. Les Paraguayens sont plutôt favorables à cette poussée indépendantiste mais craignent de passer sous le joug des autorités de Buenos Aires. Ils restent donc du côté de l'Espagne et affrontent l'armée de Belgrano. Lors des batailles de Paraguarí, puis de Tacuarý, début 1811, les Paraguayens mettent en déroute l'armée de Belgrano. Ces victoires sont considérées comme les premiers germes du processus d'indépendance du Paraguay, car les autorités espagnoles s'enfuirent dès les premiers combats, et seuls les créoles paraguayens défendirent leurs terres.
Le gouverneur Velasco envisage de faire appel aux forces portugaises pour défendre sa province de la junte de Buenos Aires. Informés de cela, un groupe de soldats paraguayens emmenés par Pedro Juan Caballero, ainsi qu'un civil, José Gaspar Rodríguez de Francia, décident de prendre le pouvoir. Dans la nuit du 14 au 15 mai 1811, ils destituent Velasco sans un coup de feu et, le 15 mai, le Paraguay devient un pays libre et indépendant. Une junte est créée pour diriger le pays, constituée de Fulgencio Yegros, le Dr Francia, Fernando de la Mora, Francisco Xavier Bogarín et Pedro Juan Caballero.
Le 30 octobre 1814, après avoir écarté du pouvoir les principaux chefs militaires du pays, Rodríguez de Francia est nommé par le Congrès " dictateur suprême de la République " pour cinq ans, puis deux ans plus tard à perpétuité ! Le terme " dictateur " désignait à l'époque un magistrat investi de pouvoirs illimités en cas de danger pour la République. Mais le Dr Francia avait une vision très moderne du terme. Il instaure un Etat laïc et autocratique et réprime durement les oppositions politiques, qui sont souvent le fait d'anciens alliés. Yegros, Pedro Juan Caballero et bien d'autres sont jetés en prison ou fusillés. Francia est LA justice, une justice impitoyable. Les frontières se ferment et les anciennes terres de la Couronne et de l'Eglise passent aux mains de l'Etat. Ces terres sont organisées en " estancias de la patria " (fermes d'Etat), qui produisent tout ce dont a besoin le pays (bovins, céréales, coton...). L'idée est de vivre en autonomie, comme ont pu le faire les jésuites dans leurs Réductions, mais à l'échelle de tout un pays. A la mort du "Suprême" en 1840, le pays est stable, riche et puissant.
Domingo Martínez de Irala (1509-1556). Considéré comme le " Père du Paraguay " pour avoir facilité la formation d'une société métisse, ce conquistador originaire du nord de l'Espagne est arrivé sur le nouveau continent en 1535, avec l'expédition de Pedro de Mendoza, à l'origine de la fondation du fort de Buenos Aires. C'est de là qu'il explore, avec Juan de Ayolas, les fleuves Paraná et Paraguay et se charge de la construction du fort de La Candelaria en 1537. Il participe ensuite à la fondation de la ville d'Asunción. Nommé gouverneur de la province du Río de la Plata en 1539, à la mort d'Ayolas, il crée le cabildo d'Asunción en 1541 et ordonne aux habitants du fort de Buenos Aires de rejoindre Asunción où se concentrent tous les efforts de colonisation. A la tête de nombreuses expéditions dans le sud du continent, il sera devancé par Francisco Pizarro en 1545 dans la découverte des richesses de Potosi. En 1555, il met en place le système de l'encomienda. Il meurt un an après d'une maladie. De ses diverses épouses indiennes, il aura de nombreux enfants, ses mancebos de la tierra, dont Ruy Díaz de Guzmán. Ce chroniqueur célèbre sera l'auteur de la première histoire du Paraguay et du Río de la Plata sous forme de prose.
José Gaspar Rodríguez de Francia (1766-1840). Né à Asunción, il étudie la théologie à Tucuman en Argentine, puis devient avocat après avoir lu en cachette les oeuvres de Rousseau et de Voltaire. C'est un grand amateur d'astronomie, de guitare et de musique en général. Il fait partie du petit groupe d'hommes à l'origine de l'indépendance du Paraguay. Unique civil, il sut tempérer l'empressement des officiers rebelles. Homme de l'Interior (la province) plus que de la capitale, il saura y trouver ses appuis pour obtenir ce qu'il désire du Congrès, comme le pouvoir à vie. Admirateur de Robespierre et de Napoléon, il sera de son vivant un dictateur tyrannique mais populaire. Il parvint en effet à isoler le pays des guerres intestines qui suivirent l'indépendance en Argentine, instaura l'école primaire obligatoire, supprima la corruption et parvint à ce que tout un pays puisse travailler et manger à sa faim. Francia s'éteindra en 1840. C'était une personnalité solitaire, paranoïaque, austère et cruelle, mais désintéressée et d'une honnêteté absolue. Personnage polémique encore aujourd'hui, sa tombe sera profanée quelques années après sa mort et ses restes n'ont jamais été retrouvés. Augusto Roa Bastos fera de Francia le personnage central de son roman Moi, le Suprême.
Maréchal Francisco Solano López (1827-1870). Fils de Carlos Antonio López, qui deviendra plus tard président du Paraguay (1844-1862), il grandit à Asunción dans une famille aristocratique et entre très tôt dans l'armée, après avoir étudié avec un jésuite. A 19 ans il est déjà colonel. Grand lecteur, très cultivé, et polyglotte (il parle le français et l'anglais), il est nommé ambassadeur du Paraguay en 1853 et voyage dans toute l'Europe. Il étudie à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr et achète des armes et des navires pour l'armée de son pays. Durant son séjour à Paris, il fait la connaissance d'une Irlandaise, Elisa Alicia Lynch, qu'il ramènera avec lui au Paraguay en 1854, avec qui il aura sept enfants (en plus des trois qu'il eut avec son premier amour, Juanita Pesoa). En 1862, Carlos Antonio López décède et Francisco est désigné officiellement comme son successeur par le Congrès pour une période de 10 ans. Ses premières années de gouvernance se caractérisent par la poursuite de la modernisation de son pays engagée par son père : prolongement de la voie ferrée et des lignes de télégraphe, construction d'hôpitaux, d'écoles (avec des bourses pour envoyer des jeunes étudier en Europe), construction du palais présidentiel, du théâtre national, modernisation de l'armée... La guerre de la Triple Alliance qu'il provoqua par excès d'orgueil éclate en 1865 et anéantira le pays. Comme pratiquement tous les hommes en âge de se battre, le maréchal López perdra la vie le 1er mars 1870, à Cerro Corá, aux côtés de son fils encore adolescent le colonel José Francisco López Lynch, plus connu sous le nom de " Panchito ". Les dernières paroles du maréchal seront " Je meurs avec ma patrie " (ou " je meurs pour ma patrie", avancent certains historiens). Ses restes reposent au Panteón de los Héroes à Asunción. Francisco Solano López reste un personnage très controversé, considéré pour certains comme l'unique responsable de la plus grande guerre du continent et de la destruction de son pays, d'autres le vénèrent comme un véritable héros et de nombreuses places et avenues portent son nom.
L'instabilité politique qui fait suite à la mort de Francia prend fin en 1844 avec l'arrivée au pouvoir de son neveu, Carlos Antonio López. Celui-ci conserve un régime autocratique mais ouvre son pays vers l'extérieur. Il autorise la presse et développe l'enseignement secondaire, envoie des étudiants en Europe et fait venir des spécialistes étrangers pour développer les infrastructures de son pays (voie ferrée, chantier naval, aciérie). Il fait appel à des architectes européens pour moderniser la capitale. Ces grands travaux sont réalisés grâce aux fonds de l'Etat, sans recours à l'endettement extérieur, contrairement aux autres pays de la région qui deviennent très dépendants de l'Angleterre.
A la mort de Carlos Antonio López, son fils Francisco prend le relais, après avoir goûté à la culture européenne durant quelques mois et ramené au pays une belle Irlandaise rencontrée à Paris, Eliza Lynch ou Madame Lynch. Il poursuit le travail de modernisation de son père. Les premières lignes de télégraphe sont mises en place et les grands travaux continuent dans la capitale, comme le Panthéon ou le Palacio de López. Il renforce également une armée déjà puissante, l'une des plus redoutables du continent.
Dans les années 1860, le Paraguay est l'un des pays les plus avancés d'Amérique. Mais cinq années d'une guerre terrible vont tout anéantir. L'origine du conflit tient, d'une part, aux poussées expansionnistes de jeunes puissances que sont le Brésil et l'Argentine qui, libérés du joug colonial depuis quelques décennies, souhaitent grignoter peu à peu le reste du continent, et d'autre part à la mégalomanie ou l'orgueil de Francisco López, qui déclare la guerre au Brésil afin de défendre un pays allié, l'Uruguay, qui pouvait lui offrir un accès vers l'océan. Mais derrière tout cela, il y a l'Angleterre, la première puissance économique mondiale de l'époque. Ce pays a de près ou de loin participé à l'émancipation des colonies espagnoles et portugaises, qui devinrent d'importants fournisseurs en matières premières et de nouveaux marchés pour ses industries florissantes. Le libre-échange devait pénétrer partout. Mais au Paraguay, tant Francia que les López ne cédèrent pas à ce courant de pensée. Or, pour l'Angleterre, le Paraguay pourrait constituer un grand fournisseur de coton, matière première dont elle a besoin pour alimenter son industrie textile. De plus, en cas de conflit militaire, l'Angleterre pourrait proposer son aide pour la reconstruction du pays, à crédit bien évidemment...
L'étincelle qui déclencha le conflit fut l'occupation en 1864, par l'armée brésilienne, de terres uruguayennes. Le gouverneur uruguayen d'alors, un conservateur, était allié du Paraguay. Le Brésil et l'Argentine soutenaient son opposant, un libéral. Comme le Brésil refusait de quitter le territoire uruguayen, le maréchal López, à la tête de l'armée la plus puissante d'Amérique du Sud, décida d'envahir en novembre 1864 l'Etat brésilien du Mato Grosso. Il demanda ensuite l'autorisation de traverser le territoire argentin pour se rendre en Uruguay. Le président argentin, Bartolomé Mitre, refusa mais López pénétra quand même sur le territoire argentin.
Le 1er mai 1865, le Brésil, l'Argentine et l'Uruguay (passé aux mains de libéraux) signent alors un traité d'alliance pour combattre le Paraguay, avec un pacte secret entre le Brésil et l'Argentine prévoyant le démembrement du pays à leur profit. L'affrontement était dès le départ inégal. Le Paraguay résista pourtant cinq ans, avec d'héroïques victoires, comme Curupaytý en 1866, mais finit dans la pire agonie. Dans les derniers mois, des armées d'enfants d'une dizaine d'années avec de fausses moustaches continuaient de se battre, car il ne restait plus d'hommes valides... La guerre prend fin le 1ermars 1870, avec la mort de López et de son fils aîné, les armes à la main, à Cerro Corá.
Ce fut probablement la guerre la plus lourde en pertes humaines du continent après la Guerre de Sécession. Les chiffres les plus courants évaluent qu'entre 60 et 75 % de la population paraguayenne aurait disparu durant le conflit. Mais surtout, la surmortalité masculine fut sans précédent : 80 à 95 % des hommes de plus de 14 ans trouveront la mort ! Selon un recensement de 1871, sur 800 000 Paraguayens, il ne reste que 220 000 survivants : 106 000 femmes, 86 000 enfants et 28 000 hommes de plus de quatorze ans, dont beaucoup d'invalides. Pour l'Argentine, le Brésil ou l'Uruguay, la guerre a permis de chasser un dictateur sanguinaire qui se prenait pour Napoléon. Mais au Paraguay, la " Grande Guerre " est considérée comme une guerre d'extermination et le maréchal López est généralement présenté comme un héros mort au combat pour la patrie. Ce conflit est un véritable traumatisme national, omniprésent dans l'espace public, dans les noms des rues par exemple.
L'Argentine et le Brésil occupent le pays jusqu'en 1876. Ils se partageront environ 40 % du territoire paraguayen. Seules les dissensions entre les anciens alliés empêchent la disparition totale du pays. Sur le plan politique, les libéraux prennent le pouvoir en 1870, mais l'instabilité est grande et les Brésiliens nomment qui ils veulent au gouvernement. Sur le plan économique, le Paraguay va devoir s'endetter, et brader les biens de l'Etat pour financer la reconstruction : immeubles, chemin de fer et terres agricoles. De grandes compagnies anglaises achètent d'immenses terrains pour exploiter la forêt et notamment le quebracho, l'arbre à tannin avec lequel on fabriquait aussi les traverses de chemin de fer. Le cas de la Compagnie Carlos Casado est le plus célèbre, avec 5,6 millions d'hectares dans le Chaco (14 % du pays !). Au total, plus de 21 millions d'hectares auraient été vendus dans les années 1880.
Avec le développement des latifundios, une oligarchie de grands propriétaires terriens se met en place. C'est elle qui fonde en 1887 les deux grands partis politiques qui vont traverser le XXe siècle et sont toujours les plus puissants aujourd'hui : les " rouges " et les " bleus ". Le parti Colorado (rouge) est conservateur, nationaliste et catholique. Le parti Libéral (bleu) se veut davantage porté sur le libre-échange et les droits de l'homme. Mais, au final, les deux partis proposent des programmes assez similaires. Les premiers domineront la vie politique jusqu'en 1904 avec l'une des grandes figures de la fin du XIXe siècle, le général Bernardino Caballero, fondateur de l'Association nationale républicaine (parti Colorado) et grand allié du Brésil. Les libéraux arrivent au pouvoir en 1904, mais les premières décennies seront marquées par une très grande instabilité. Seul Eligio Ayala parviendra à garder une certaine stabilité durant sa présidence de 1924 à 1928. Il réussira à normaliser la vie civile et à assainir les finances publiques.
Jusqu'au début du XXe siècle, ni les Boliviens ni les Paraguayens ne s'intéressent à cette vaste plaine inhospitalière située entre le Río Paraguay et les contreforts de la cordillère des Andes. Peuplé de tribus indiennes hostiles, avec un climat inhumain et des hordes d'insectes piqueurs, le Chaco restait une région sauvage. Seuls quelques ethnologues comme Guido Boggiani osaient s'y aventurer, tandis que l'exploitation du quebracho ne commença qu'à la fin du XIXe siècle. A l'issue de la guerre du Pacifique (1879-1884), la Bolivie dut céder sa partie littorale au Chili. Elle commença alors à s'intéresser à un débouché côté atlantique. Il fallait rejoindre le fleuve Paraguay qui se jette dans l'estuaire du Río de la Plata. L'occupation du Chaco devenait nécessaire et la Bolivie commença à installer quelques fortins dans la vallée du Pilcomayo. Le Paraguay décide de faire de même. Les premiers incidents se produisent en 1927. La Société des Nations temporise les tensions, mais la rumeur de la présence de pétrole dans le Chaco ravive les esprits. De nouveaux acteurs entrent en jeu : la Standard Oil, compagnie états-unienne basée en Bolivie, et la Royal Dutch, de capitaux anglo-hollandais, au Paraguay. Le conflit militaire commence en 1932 et durera trois ans. 100 000 morts au total, 35 000 Paraguayens et 65 000 Boliviens. Plus que les balles, ce sera l'environnement hostile du Chaco qui sera le plus meurtrier : maladies transmises par les moustiques, chaleur et soif ! Des deux côtés on attaquait les fortins adverses pour leurs maigres points d'eau. La bataille de Boquerón en 1932 est la plus célèbre. Occupé par les Boliviens, le fortin fut repris par l'armée paraguayenne après un long siège mené par le général José Felix Estigarribia. La " guerre de la soif " prit fin le 12 juillet 1935 mais la situation des frontières ne fut réglée qu'en 1938. Les trois quarts du territoire disputé revinrent au Paraguay qui s'agrandit ainsi de 120 000 km². Le pétrole, s'il existe, n'a encore jamais été exploité... Sachez que la guerre du Gran Chapo qui oppose le San Theodoros et le Nuevo Rico, dans L'Oreille cassée (1937) d'Hergé, est fortement inspirée de la Guerre du Chaco.
Après la guerre, le colonel Rafael Franco prend le pouvoir aux libéraux, lors de la révolución del 17 de febrero de 1936. Il entend mettre fin au système oligarchique et organise le pays selon le modèle national socialiste européen de l'époque. Il sera renversé en 1939 par Felix Paiva, rapidement remplacé par le général José Felix Estigarribia, héros de la Guerre du Chaco. Estigarribia instaure une nouvelle constitution en 1940, de type autoritaire. Il décède l'année suivante dans un accident d'avion. Son successeur, Higinio Moríñigo, durcit le régime qui devient de type fasciste. En 1946, Moríñigo se débarrasse de personnalités encombrantes de son gouvernement et les remplace par un groupe de jeunes officiers libéraux et fébréristes, afin d'assouplir quelque peu son régime. C'est le " printemps démocratique ". Mais les fébréristes seront rapidement expulsés du gouvernement. Rafael Franco reprend la tête d'un mouvement révolutionnaire en mars 1947, s'alliant avec les libéraux et les communistes. La marine et l'infanterie appuient le mouvement qui prend forme à Concepción. Mais la ville est bombardée par l'aviation, restée aux ordres du dictateur Moríñigo, et les rebelles sont finalement écrasés quelques mois plus tard, alors qu'ils allaient prendre la capitale. Cette guerre, qui dura de mars à août 1947, fera des milliers de morts. Environ 400 000 personnes, dont beaucoup d'intellectuels et d'artistes, s'exileront dans les pays voisins. Au cours du conflit, le général Stroessner scellera une alliance entre les forces armées et le parti Colorado, alliance qui lui permettra d'arriver plus tard au pouvoir.
La guerre civile est suivie d'une grande instabilité qui prendra fin avec le coup d'Etat du général Stroessner en 1954. Ce dernier instaure un régime dictatorial jusqu'en 1989. 35 ans de dictature ! La plus longue d'Amérique latine après celle de Fidel Castro à Cuba. La façade démocratique qu'il voulait donner de son régime ne trompait personne mais les Etats-Unis, dans le contexte de la guerre froide, n'y voyaient rien à redire. Stroessner était, avec Pinochet et Videla, une machine à éliminer du " communiste ". Le mystérieux Plan Condor mis en place dans le cône sud avec l'appui de Washington au milieu des années 1970 avait pour objectif d'échanger des informations entre Etats sur les supposés opposants politiques, afin de préserver la " sécurité nationale ". Les hommes de Stroessner n'hésitaient pas à torturer hommes, femmes et adolescents pour obtenir des informations sur les mouvements subversifs. Il existait également un réseau très bien organisé d'espions dans le moindre village, les pyragué (" hommes aux pieds de plumes ").
Le système stroessniste reposait sur trois piliers : l'armée, le parti colorado et l'Etat. Le dictateur constituait la clef de voûte de cet ensemble. Pour financer le clientélisme et les activités de l'Etat-Colorado, la production de marijuana, les trafics en tous genres et la contrebande étaient encouragés, et la corruption s'institutionnalisa. La coíma était la règle pour obtenir un permis, une place dans une école, ou de faux papiers pour sa voiture volée au Brésil ! Et si l'on voulait un poste de fonctionnaire, il fallait forcément avoir sa carte du parti. Bref, il fallait jouer le jeu, ou refuser ce système et être assimilé à un communiste. Des mouvements de résistance ont tenté de s'opposer à ce régime, comme les Ligas Agrarias Cristianas et le Movimiento 14 de Mayo, mais la répression fut féroce. Les " archives de la terreur " (5 tonnes de documents !), retrouvées par l'avocat Martin Almada en décembre 1992, ont apporté les preuves de la brutalité du régime. Si Stroessner faisait une fixation sur l' " ennemi intérieur ", il cherchait aussi à s'enrichir et à enrichir ses proches. Les grands travaux engagés sous l'ère Stroessner pour les barrages d'Itaipú et de Yacyretá, ou la vente de millions d'hectares de terres à des sojateros brésiliens, ont été l'occasion de gagner beaucoup d'argent.
Après les septièmes élections (truquées) de 1988, Stroessner envisage de céder la place à son fils, Gustavo. Mais les plus modérés du parti Colorado souhaitent un réel changement. Le général Andrés Rodríguez, qui se sent menacé pour ses prises de position, prend de vitesse le dictateur et organise un golpe ("coup d'Etat") le 3 février 1989. Stroessner se réfugie au Brésil avec sa famille, où il résidera sans être inquiété jusqu'à sa mort en 2006. De leurs côtés, les exilés rentrent enfin dans ce Paraguay qui aspire à la démocratie.
Andrés Rodríguez met en place une nouvelle constitution, adoptée le 20 juin 1992. Elle empêche qu'un président puisse se représenter à la fin de son mandat et reconnaît le guarani comme langue officielle à côté de l'espagnol (le guarani était banni sous Stroessner). En 1993, Juan Carlos Wasmosy succède à Rodríguez. Il réforme la justice et l'armée, et applique une politique économique néolibérale. En avril 1996, le général Lino Oviedo tente un putsch contre Wasmosy. Le projet échoue et Oviedo sera condamné en février 1998 à dix ans de prison. Mais l'une des premières mesures du président fantoche élu trois mois plus tard, Raúl Cubas, est d'accorder l'amnistie à Oviedo. La Cour Suprême refuse le décret d'amnistie mais Cubas n'en a cure. Une procédure de destitution du président est alors lancée par le Congrès. Au même moment, Luis María Argaña, le vice-président qui devait remplacer Cubas, est assassiné le 23 mars 1999. Tout semble indiquer que Lino Oviedo est commanditaire du meurtre. C'est une grave crise politique qui se joue et le peuple en a bien conscience. Des milliers d'étudiants et paysans se réunissent sur la place du Congrès pour manifester leur désir de démocratie et de justice. Mais Cubas envoie les chars et des francs-tireurs partisans d'Oviedo tirent sur la foule, faisant huit morts et des dizaines de blessés. C'est le massacre du "Marzo paraguayo". Cubas démissionne et s'enfuit au Brésil, Oviedo en Argentine. Tous deux reviendront quelques années plus tard au pays et ne seront pas inquiétés. Après ces événements, Luis González Macchi, à la tête du Sénat, prend les fonctions de président de la République. Il ne parvient pas à sortir son pays d'une grave crise économique et financière. Nicanor Duarte Frutos le remplace en 2003. La politique de Duarte Frutos est dans la lignée des précédentes et ne parviendra ni à réduire les inégalités sociales, ni à faire baisser la corruption qui demeure ancrée fortement dans la vie politique. L'ancien président Macchi a d'ailleurs été condamné en décembre 2006 à 8 ans de prison pour le détournement de 16 millions de dollars ! A la fin de son mandat, Duarte Frutos tente de modifier la constitution pour pouvoir se représenter. Il devra y renoncer face à la mobilisation populaire emmenée par un évêque, Fernando Lugo, qui décide de se présenter aux élections de 2008.
L'incendie du supermarché Ycuá Bolaños le 1er août 2004, dans le quartier de Trinidad à Asunción, est la plus grave catastrophe civile du pays. L'incendie a provoqué la mort de 396 personnes et en a brûlé 500. L'émotion est toujours grande au Paraguay à l'évocation de la tragédie. Dans cette capitale peu peuplée où tout le monde se connaît, chacun a parmi ses proches une victime de ce drame. L'incendie a commencé suite à une explosion due au gaz, dans les cuisines du restaurant du supermarché. Le feu s'est propagé très vite dans l'édifice mal conçu. Le plus terrible dans cette tragédie est que l'incendie aurait pu faire beaucoup moins de victimes, si les vigiles n'avaient pas reçu l'ordre de fermer les portes du bâtiment, pour empêcher que les clients n'emportent leurs courses sans payer ! Le supermarché dévasté est toujours debout dans l'avenue Artigas. Il est plein de graffitis. Le plus fréquent est " Nunca más ! " (Plus jamais !).
Pour la première fois depuis 61 ans, le parti Colorado ne gagne pas les élections présidentielles. Et ce n'est pas un professionnel de la politique qui en est le responsable mais Fernando Lugo, un ancien évêque catholique. Il obtient 41 % des votes devant Blanca Olivar du parti Colorado et Lino Oviedo (de retour !) comme représentant de l'Unace (l'Union nationale des citoyens éthiques...). Lugo était à la tête de l'Alliance patriotique pour le changement, une coalition regroupant des mouvements sociaux et des partis politiques, de gauche surtout mais aussi de droite, avec un allié de poids, le parti libéral radical authentique (PLRA). Lugo a été choisi par les classes populaires et par de nombreux chefs d'entreprises, qui souhaitaient que les choses changent enfin au Paraguay. Il représentait le Karai, le guide charismatique permettant de ramener le pays vers le droit chemin, mais ne disposant pas de majorité au Congrès, et devant cohabiter avec Federico Franco, son vice-président ultralibéral, les réformes promises tardent à aboutir. Lugo obtiendra tout de même des avancées sociales importantes : gratuité des soins pour tous dans les hôpitaux publics et de l'éducation jusqu'à la fin du secondaire. Il obtiendra également la renégociation du traité d'Itaipú avec le triplement du tarif du mégawatt vendu au Brésil. Mais Lugo a toujours du mal à gérer les problèmes de corruption qui gangrènent les institutions publiques, ainsi que le problème de l'EPP (Ejército del Pueblo Paraguayo), une mystérieuse guérilla de quelques dizaines de personnes, implantée dans les départements de San Pedro (nord-est du pays) qui réalise de temps à autre des enlèvements d'estancieros, des assassinats et des attentats sur des édifices publics.
La réforme agraire reste l'enjeu principal du mandat de Fernando Lugo. Les paysans sans terre se font entendre plus que jamais, organisent des marches et des occupations de terres, mais les puissants lobbies agricoles nationaux et étrangers contrôlent le Parlement. Les affrontements avec la police sont courants mais ce qui arriva le 15 juin 2012, à Marina Kue dans les environs de Curuguaty, dans le département de Canindeyú (est du pays), provoque la stupeur générale : l'expulsion de paysans sans terre qui occupaient une parcelle de terrain destinée à la réforme agraire donnera lieu à un échange de balles entre des manifestants et la police, faisant 18 morts, 11 paysans et 6 policiers, et des dizaines de blessés dans les deux camps. ¿ Qué paso en Curuguaty ? Que s'est-il passé à Curuguaty ? Cette question que l'on trouve encore inscrite sur les murs d'Asunción et dans l'adresse même d'un site web (www.quepasoencuruguaty.org.py) reste sans réponse. Beaucoup y voient un complot politico-agro-industriel pour décrédibiliser la politique du président Lugo, tout du moins la gestion de cette affaire que l'on connaît désormais sous le nom du " Massacre de Curuguaty ". Plusieurs paysans sont toujours en prison, attendant leur procès, des témoins et journalistes ont été assassinés entre-temps... Les doutes planent toujours autour de cette sinistre affaire des années après les faits, mais les conséquences politiques seront, elles, immédiates.
Suite à ces affrontements d'une rare violence, Lugo limogea le chef de la police et le ministre de l'Intérieur, membres du parti libéral. Le PLRA mais aussi le parti Colorado, majoritaire au Parlement, se sont aussitôt emparés de l'affaire, accusant le président de ne pas avoir su la gérer et d'avoir négligé ses fonctions présidentielles. En se fondant sur l'article 225 de la Constitution, le Sénat déclencha alors une procédure qui aboutit le 22 juin à la destitution du président. Fernando Lugo est démis de ses fonctions moins d'un an avant la fin de son mandat, et comme le prévoit la Constitution, c'est le vice-président, Federico Franco, qui va assurer l'intérim jusqu'aux élections générales d'avril 2013. Or Lugo n'a eu que 24 heures pour préparer sa défense, au lieu des 5 jours réglementaires... Sans alliés au Congrès ni dans la presse (aux mains de l'opposition), Lugo accepte de quitter le pouvoir pour éviter un bain de sang dans la capitale. Cette destitution parlementaire qualifiée généralement de " coup d'Etat parlementaire " est vivement dénoncé par les gouvernements de gauche de la région, et par l'Union européenne. Le Paraguay est alors exclu du Marché commun du Sud (Mercosur) et de l'Union des nations sud-américaines (Unasur). Avec la destitution de Lugo, les fonctionnaires soupçonnés d'être proches du président Lugo, ou de ne pas appuyer le nouveau gouvernement, sont licenciés. Désormais se préparent les élections de 2013, le clientélisme et l'achat des futurs votes commencent au niveau des deux grands partis traditionnels, qui reprennent leurs vieilles habitudes héritées de la dictature.
Après une période trouble de juillet 2012 à août 2013, dirigée par le libéral Federico Franco, qui s'employa à remettre en cause les réformes de son prédécesseur en matière de santé et d'éducation, ou de réglementation des OGM, c'est sans surprise le parti Colorado qui remporte les élections de 2013, avec à sa tête un entrepreneur multimillionnaire, Horacio Cartes, élu avec 46 % des voix devant Efraín Alegre du PLRA (37 %). Le nouveau président de la République est pourtant un néophyte en politique. Il vota pour la première fois de sa vie en 2010, à l'âge de 55 ans, et n'est membre du parti Colorado que depuis 2009 (il a dû faire modifier le règlement interne du parti pour pouvoir se présenter aux élections). Il est par contre un homme d'affaires prospère, à la tête du conglomérat Grupo Cartes, qui détient une vingtaine de compagnies dans tous les domaines (banque Amambay, maisons de change, culture de soja, de viandes, hôtels, embouteillement des boissons gazeuses, club de foot Libertad...). Horacio Cartes, qui contrôle l'essentiel du commerce légal et surtout de la contrebande de cigarettes dans la région, a un passé sulfureux : il a été emprisonné 2 mois pour fraude bancaire en 1986 et WikiLeaks a mis en ligne en 2010 un câble diplomatique du département d'Etat américain affirmant qu'il se trouve à la tête d'un réseau de trafic de drogue et de blanchiment d'argent. Une avionnette brésilienne chargée de marijuana et de cocaïne a même été découverte dans l'une de ses estancias en 2000... Mais peu importe, beaucoup d'argent et de belles promesses font tout oublier et l'important est de faire avancer le pays, comme il l'a fait pour ses entreprises. " Si Dieu m'a donné des facilités pour la vie entrepreneuriale, je pense disposer des conditions pour les mettre en oeuvre dans la politique " déclare régulièrement le nouveau patron du Paraguay. Le " Berlusconi paraguayen " s'est attaché dès le début de son mandat à sortir le Paraguay de son isolement diplomatique (le pays a été réintégré au Mercosur et à l'Unasur en juillet et août 2013) et à prendre des mesures sociales pour réduire la pauvreté et les inégalités, tout en menant paradoxalement une politique ultralibérale pour attirer les investisseurs étrangers. Moment fort de sa présidence pour cet ultra catholique convaincu (il déclara qu'il se tirerait une balle dans les parties génitales s'il venait à découvrir que son fils était homosexuel...) : la réception du pape François en juillet 2015.
"Il n'est pas difficile de se sentir bien sur cette terre si accueillante. Le Paraguay est connu comme le coeur de l'Amérique, et pas seulement pour sa position géographique, mais du fait de la chaleur et de l'hospitalité de ses gens". L'un des événements les plus marquants de 2015 a été la visite du pape François du 10 au 13 juillet. Le pape, issu de l'ordre des jésuites, était très attendu dans ce pays très majoritairement catholique. Des dizaines de milliers de personnes se sont massées sur la route de l'aéroport pour accueillir le souverain pontife qui les salua, depuis la même Peugeot qui, 27 ans plus tôt, transportait Jean-Paul II. Le lendemain, c'est devant la basilique de Caacupé que se réunirent plus d'un million de fidèles pour la messe en l'honneur de la Vierge de Caacupé. Le pape François a une relation particulière avec le Paraguay. Lorsqu'il était archevêque à Buenos Aires, Jorge Bergoglio passait beaucoup de temps dans les villas (bidonvilles) avec les communautés d'immigrés paraguayens. Le pape condamna la guerre de la Triple Alliance et rendit un vibrant hommage à la femme paraguayenne : "Que Dieu bénisse la femme paraguayenne, la plus glorieuse de l'Amérique ! " ; "Vous les femmes et les mères paraguayennes qui, avec grand courage et abnégation, avez su relever un pays détruit, effondré, submergé par la guerre. Vous avez la mémoire, le patrimoine génétique de celles qui ont reconstruit la vie, la foi, la dignité de votre peuple". Le pape a par ailleurs demandé aux dirigeants paraguayens de réduire les inégalités, en critiquant les politiques néolibérales remises en place après la période Lugo : "Un développement économique qui ne prend pas en compte les plus faibles et malchanceux n'est pas un véritable développement". Il est allé à la rencontre des plus pauvres au Bañado Norte, a rencontré des membres de la société civile, dont un représentant d'une association homosexuelle paraguayenne, et s'est rendu auprès d'enfants atteints de cancer à l'hôpital pédiatrique Niños de Acosta Ñu, à Asunción. L'aura du pape et ses discours engagés resteront dans toutes les mémoires paraguayennes.
La corruption qui touche toutes les institutions publiques du pays, héritage de la dictature de Stroessner, reste omniprésente au Paraguay. Le dernier rapport de Transparency International (2014) classe le Paraguay au 150e rang mondial sur un total de 174 pays analysés (le plus corrompu du continent après le Venezuela). Ancrée dans la société paraguayenne depuis des décennies, la population l'accepte, par peur, habitude ou résignation. Mais en septembre 2015, les étudiants de l'Université Nationale d'Asunción (UNA) ont osé dire stop ! "¡Ya basta ! ". Tout a commencé par une série d'articles du journal Ultima Hora, qui révélèrent le train de vie Froilan Peralta, le recteur de l'Université nationale, et de ses proches, bénéficiant d'emplois fictifs, ou d'emplois subalternes rémunérés au niveau de salaires de professeurs d'université. Tous les jours de ce mois de septembre 2015, la presse apporte son lot de révélations sur les détournements d'argent au sein de l'UNA. Rapidement des centaines puis des milliers d'étudiants indignés se réunissent au campus universitaire de San Lorenzo. Ainsi commence un mouvement étudiant d'une ampleur sans précédent au Paraguay. Le campus est bouclé par les étudiants qui contrôlent les entrées et exercent des fouilles systématiques pour éviter des infiltrations de saboteurs du mouvement, ou l'entrée d'armes et d'alcool qui pourraient le décrédibiliser, pour éviter aussi qu'on ne dérobe les archives de l'administration, où se trouvent les preuves de corruption. Des cantines populaires et toiles de tentes se montent pour nourrir et héberger les étudiants, des artistes de rock s'invitent, des spectacles s'improvisent. Le campus est désormais autogéré, dans une ambiance des plus festives. Face à cette mobilisation non violente, bien relayée par les réseaux sociaux et les médias, Froilan Peralta démissionne de son poste de directeur le 25 septembre. Par effet de dominos, d'autres directeurs de différentes universités du pays impliqués dans des scandales similaires démissionnent à leur tour. Certains comme Froilan Peralta sont emprisonnés. Ce mouvement étudiant, qui contraste avec la passivité et le fatalisme habituel face à la corruption, a surpris tout le monde, notamment au sein de la classe politique désemparée (et inquiète) face à l'ampleur de ces manifestations pacifistes justifiant difficilement des interventions policières violentes. Les étudiants, conscients d'être désormais les acteurs d'une sorte de révolution culturelle, ne veulent pas se taire " ¡ UNA No Te Calles ! ¡Paraguay No Te Calles ! " ("UNA ne te tais-pas, Paraguay exprime-toi ! "). On revendique une éducation de qualité, gratuite et accessible à tous, et plus largement une société nouvelle, plus transparente, exempte de corruption et de clientélisme. " Je n'ai pas peur de la répression de l'Etat, j'ai peur du silence de mon peuple ". Une petite classe moyenne, qui a grandi après la dictature et a fait des études supérieures, commence à émerger et n'a plus peur. Peut-être le signe avant-coureur de changements profonds dans la société paraguayenne... Les manifestations étaient toujours quotidiennes fin décembre 2015.
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