Un art émergent

Peinture et sculpture commencent tout juste à faire des émules à Djibouti, la religion musulmane interdisant en effet la représentation des hommes et des animaux.

Les artistes djiboutiens s’inspirent avant tout du quotidien, de la vie nomade : deux sources d’inspiration aussi immédiates qu’inépuisables. Souvent très colorés, les tableaux des artistes locaux connaissent un succès grandissant, notamment auprès des touristes. Parmi les peintres, citons Khalil Massori, God Djama Elmi, Mouhoumed Mohamed Houssein, Nawal Awad, Fouad Daoud Youssouf, Sid Ali, Rifki, Omar Moubine, Oubah Hamod Hassan… Moins nombreux, les sculpteurs s’inspirent des artisans nomades ou villageois qui confectionnent des figurines, une activité réservée aux hommes.

Le pays ne comptant pour le moment aucun musée, le visiteur de passage intéressé par l’art local devra donc se rapprocher directement des artistes. Les tableaux sont exposés chez les peintres à leur domicile, chez des particuliers, et font aussi parfois l’objet d’expositions à l'Institut français de Djibouti.

Djama Elmi God

L’artiste peintre djiboutien est né en 1948 dans la plaine de Gerissa (Somaliland) et s’est éteint en 1996 à Djibouti. Son père remarque dès son plus jeune son don pour la sculpture. Dès l’âge de 5 ans, il travaille habilement l’argile, ce qui lui vaut d’être scolarisé en Ethiopie. Plus tard, alors qu’il s’installe à Mogadiscio, le gouvernement somalien lui accorde une bourse d’étude qui lui permet de s’envoler pour l’Italie. Il décide se former à l’Académie des Beaux-Arts de Ravenne. De retour en Somalie, il entre au ministère de la Culture puis s’installe à Djibouti en 1977. Il devient enseignant dans un lycée de la capitale, poste qu’il occupera jusqu’à la fin de ses jours. Après des débuts de sculpteur, il privilégie la peinture comme moyen d’expression. Entre-temps, celui qui défiait l’autorité connaît une période difficile sur le plan politique. Cependant, il expose ses toiles à l’ONU et réalise les deux lions sculptés qui gardent l’entrée de l’état major de Djibouti. Ses talents graphiques et son sens des couleurs lui valent de réaliser des logos, des illustrations d’ouvrages, des timbres ainsi que des caricatures pour le quotidien La Nation. Pendant des années, il a partagé son analyse de la société djiboutienne par l’intermédiaire de Samireh, son personnage récurrent, un nomade urbanisé. En peinture, il aimait représenter des gens du peuple pris sur le vif dans leur quotidien comme un porteur d’eau.

Son nom d’artiste, God, fait référence au mamba noir. La première galerie d’art ouverte à Djibouti lui rendra hommage en reprenant son nom.  La Galerie God est le lieu incontournable de la vie culturelle djiboutienne. Il reste à ce jour la figure majeure de l’art djiboutien, le seul à avoir accédé à une reconnaissance internationale et à avoir vécu de son art. « L’artiste au pinceau magique » demeure un modèle pour la jeune génération.

Rifki Abdoulkader Bamakhrama

Rifki Abdoulkader Bamakhrama est venu à la peinture par la politique. Né à Djibouti en 1954, il se voit offrir la tutelle du premier ministère de la Culture de Djibouti, de 1999 à 2005. Durant son mandat, il s’applique à développer l’art et à soutenir la condition des artistes. C’est ainsi qu’il fonde la première galerie d’art de Djibouti : la Galerie God. Son objectif est de faire connaître les artistes peintres et d’offrir un terrain favorable à l’émergence de nouveaux talents. Sa volonté de bâtir un lieu d’accueil pour la scène artistique conduit également à la création de l’Institut djiboutien des arts en 2004. Plus axé sur la formation et la professionnalisation des métiers d’art, le lieu englobe l’enseignement de la musique, des arts dramatiques et visuels. Il est aussi à l’initiative du Festival de Théâtre de Djibouti. Jusqu’à la fin de sa vie, Rifki Abdoulkader Bamakhrama accueillait les visiteurs dans son atelier. Il présentait ses tableaux tout en retraçant son combat en faveur de la culture. Ses peintures apparaissent comme une porte ouverte sur son imaginaire. Ses formes et ses personnages aux tonalités chaleureuses jaillissent de manière instinctive sur la toile, tandis que ses visages sont auréolés d’une part de mystère.

Femmes peintres

Le parcours de Nawal Awad fait figure d’exception. Artiste peintre professionnelle, cette dame est une pionnière dans son pays. Après des études à l’école des Beaux-Arts de Belgique, elle devient enseignante d’arts plastiques au CFPEN de Djibouti. Elle s’investit dans l’éducation artistique auprès des plus jeunes, multipliant les projets d’ateliers d’éveil artistique.

Sa première exposition se déroule en 1998 au Sheraton Hôtel. Elle révèle alors une série de toiles sur des thèmes qui expriment son engagement artistique mais aussi son combat en faveur des droits de la femme. A travers ses peintures, elle sensibilise aux revers du statut traditionnel de la femme avec des sujets tels que les mutilations génitales. Ses prises de position sont soutenues dès le début par le quotidien La Nation. Elle accumule ensuite les marques de reconnaissance. La première femme d’influence djiboutienne continue d’enseigner et de travailler sur le thème du corps féminin.

La nouvelle génération est portée par Oubah Hamod Hassan. Femme peintre djiboutienne, elle exerce son talent dans les domaines des arts plastiques, de la décoration, du dessin, des tatouages et de la gastronomie. Elle expose en 2019 une série de portraits peints d’une grande sensibilité qui ne sont pas sans évoquer le pointillisme.

Initiatives en faveur de l’art

Dans la lignée de Rifki Abdoulkader Bamakhrama, le ton est à la sensibilisation aux pratiques artistiques, en particulier dans les écoles. En 2018, l’UNICEF a organisé un atelier d’initiation à la photographie sur 4 jours ouvert aux enfants de toutes origines. L’art de la photographie étant extrêmement peu représenté à Djibouti, la jeune génération a pu découvrir un moyen d’expression susceptible de porter sa parole. Reste à espérer que l’initiative ait suscité des vocations. L’an dernier, le lycée français de Djibouti a invité ses étudiants à collaborer au projet « graffiti, décoration des murs du lycée ». Les adolescents ont ainsi embelli leur environnement en associant leurs compétences et leur imagination.