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Nomades devenus sédentaires

La sédentarisation, qui s’effectue depuis le début du XXe siècle, a lieu sur un espace extrêmement limité : une grande capitale et quelques modestes bourgs de province. Ce mouvement s’est amorcé lorsque les Français ont choisi Djibouti pour construire un port majeur. Il fallait de la main-d’œuvre pour bâtir le port et le rail, décharger les bateaux et les trains, ouvrir les commerces. Djibouti-Ville a fait alors office d’aimant. Le rail a remplacé peu à peu les caravanes de dromadaires et enlevé du travail à de nombreux nomades. Ce mouvement de sédentarisation est toujours en cours. Les importantes sécheresses, qui sévissent depuis les années 1970, ont rendu la vie nomade de plus en plus difficile : l’eau se fait rare et les conditions de vie ne s’améliorent guère. L’Ethiopie a fermé ses frontières aux troupeaux des nomades djiboutiens, qui venaient traditionnellement faire profiter leurs bêtes de l’eau et de la végétation des hauts plateaux. La route N1 et ses camions ont pratiquement mis fin à l’économie des caravanes. Certes, certaines circulent encore mais, outre le sel et les peaux, elles transportent à présent des chaînes hi-fi et des babioles made in China. Beaucoup ont donc été contraints de venir grossir les banlieues de Djibouti-Ville ou d’autres cités. La vie y est dure, mais souvent plus facile que dans le désert. Parfois avec leurs troupeaux (leur bien le plus précieux), les nomades se sont installés à Balbala par exemple, précédés ou rejoints par les réfugiés des pays voisins. Mais si la population se sédentarise massivement, chacun garde des liens étroits avec la vie nomade : famille, mode de vie, traditions, hospitalité, endurance, lecture du paysage, danses, hiérarchie tribale... Le changement est trop récent pour que des siècles et des siècles de nomadisme puissent être vite oubliés.

Afars, Issas : l’âme du peuple djiboutien

Les deux principaux groupes qui composent la population djiboutienne sont les Afars et les Issas. Leur origine est commune et l’étranger de passage (comme celui qui y réside) a souvent bien du mal à les distinguer, tant les différences lui semblent mineures. Afars et Issas sont unis par une religion commune : l’islam. Et par le mode de vie de leurs ancêtres : le nomadisme. Afars et Issas sont d’origine couchitique (ou chamite), nom donné aux différents peuples qui s’établissent dans la Corne de l’Afrique par migrations successives, à partir de 1000 ans av. J.-C. environ. Selon les légendes locales, ils viendraient de l’ouest de l’Ethiopie et du Soudan actuel et auraient peu à peu avancé vers les côtes. Les premières migrations qui s’établissent en Erythrée, près du fleuve Awach, donnent naissance aux Afars. D’autres, toujours en Erythrée, engendrent les Sahos. Par la suite, d’autres migrations parviennent au nord-est de la Corne de l’Afrique, donnant naissance aux Somalis. Les différenciations se font surtout au gré des influences d’autres populations, qui s’établiront ou commerceront avec les peuples de cette région. Par la suite, d’autres influences, indiennes, arabes, européennes, viendront encore brouiller les distinctions.

Le territoire Issa, à Djibouti, correspond approximativement au sud du pays. La culture somalie est celle des nomades. Et ses valeurs continuent d’exister malgré la sédentarisation progressive de la population. Les Somalis sont divisés en plusieurs tribus, liées par la même culture, les mêmes valeurs. Les Issas en font partie, tout comme les Issak et les Gadaboursi, eux aussi présents à Djibouti mais en petit nombre. La plus grande partie des Somalis vit en Somalie et dans de petites zones d’Ethiopie et du Kenya. Le territoire afar correspond au nord du pays, de la frontière érythréenne jusqu’à Dikhil. La plus grande partie des Afars (4/5e) vit en territoire éthiopien.

Langues afar et somali

Les deux langues possèdent des racines communes. Elles n’ont été transcrites qu’à partir des années 1970. Et encore, pas de manière définitive. A l’écoute, pour le non-initié, il est difficile de faire la différence. Une caractéristique rapproche Afars et Issas : tous ou presque sont polyglottes (c'est plus vrai à Djibouti-Ville que dans les terres). En plus de leur propre langue, ils parlent l’arabe (langue de la religion) et le français (langue de l’enseignement), souvent avec beaucoup d’aisance.

Ici la culture a été orale depuis des siècles et des siècles. C’est par la voix, les chants, les contes et les poésies que l’on s’est transmis l’histoire de cette terre, celle des ancêtres, les traditions. Les accords oraux ont autant de valeur que les contrats écrits. Les Egyptiens, les Arabes, les Français et bien d’autres ont écrit sur l’histoire de la région dans leur propre langue. Mais les locaux, eux, la racontent. La mémoire reste donc un outil essentiel. On est très tôt habitué à entendre et à retenir. Chacun est ainsi supposé connaître par cœur le nom de ses ancêtres, sur plusieurs générations. Ce qui sans doute explique la très grande facilité dont font preuve les Djiboutiens dans l’apprentissage des langues. Cette culture d’apprentissage par l’écoute n’est pas incompatible avec l’enseignement écrit, importé timidement par les colons français, puis généralisé après l’indépendance.

Nomades Issas et Afars se conforment depuis des siècles à un ensemble de règles orales dont le chef de famille est le premier garant. Toutes sont étroitement liées à la vie nomade. A ces règles orales ancestrales se superposent les lois écrites des colons et celles de la nouvelle république. Justices coutumière et moderne tentent de faire bon ménage. Mais c’est encore à la première que l’on fait appel en premier lieu.

La tribu avant tout

« Le Somali naît sur la route, sous une hutte, une yourte, ou tout simplement à la belle étoile. Il ne connaît pas son lieu de naissance qui n’est inscrit nulle part. Comme ses parents, il n’est originaire d’aucun village ni d’aucune ville. Son identité est uniquement déterminée par son lien avec sa famille, son groupe, son clan. [... ] L’individu n’existe pas, il ne compte qu’en tant qu’élément d’une tribu. » (Ryszard Kapuściński, Ebène).

Le monde somali est structuré par le reer, qui hiérarchise l’espace de l’individu. Et les relations entre les groupes et au sein de ceux-ci sont gérées par un système juridique traditionnel appelé xeer. Ce code oral organise la vie des Issas depuis le XVIe siècle. Ses règles sont appliquées par le guiddis, une assemblée constituée de quarante-quatre membres (représentants de clan, sages, etc.), qui évalue chaque délit (de l’insulte au meurtre) et décide de la somme à payer (en bétail notamment) pour réparation.

Dans une famille traditionnelle, les rôles sont bien définis : l’homme se charge de la sécurité du troupeau et du campement, des relations avec l’extérieur. Les femmes élèvent les enfants et s’occupent de l’approvisionnement en eau et en bois. Les enfants apprennent vite à garder les troupeaux. La vie de ces familles n’a longtemps tourné qu’autour d’un seul but : la quête de l’eau. Cela implique une grande liberté de mouvement, que les frontières dessinées par l’histoire et par les Européens ont mise à mal.

La loi coutumière des Danakil, l’autre nom des Afars, est constituée d’un ensemble de règles appelé fima. Les fimami, assemblées constituées de personnes regroupées par tranches d’âge (où l’on apprend la discipline de groupe, la solidarité), fixent des lois qui permettent la cohésion d’une tribu, d’un clan. L’individu doit les suivre tout au long de sa vie. Ces règles orales précisent ainsi le rôle de chacun, défini selon son sexe et son âge. La répartition des tâches, s’appliquant aux nomades, est assez proche de celle qui est évoquée pour les Issas.

Minorités et réfugiés

On trouve également à Djibouti d’autres ethnies, fortement minoritaires. On citera par exemple les Midgan, aujourd’hui associés aux forgerons qui, à Tadjourah par exemple, fabriquent les fameux poignards des nomades. Les Yéménites sont assez nombreux depuis les premiers siècles de notre ère. Ainsi, à Djibouti-Ville, de nombreux commerçants et la plupart des pêcheurs sont d’origine yéménite. De grandes familles de commerçants yéménites (Coubèche, Farah, Anis) sont installées ici depuis très longtemps et s’impliquent activement dans la vie locale. Djibouti est aussi une terre de commerce depuis des décennies, attirant très tôt marchands et négociants (Arméniens, Indiens, Chinois, Grecs, Juifs, Pakistanais, Sénégalais...). La présence étrangère est en revanche bien faible hors de la capitale. Les conflits des années 1980 et 1990 dans les pays voisins (Somalie, Erythrée, Ethiopie, Yémen, Soudan) ont par ailleurs entraîné l’afflux de centaines de milliers de migrants vers Djibouti. Cette population s’est massée dans des camps frontaliers ou a rejoint les faubourgs de la capitale dans l’espoir de trouver un emploi. Les réfugiés représentent désormais un quart de la population djiboutienne. Certains se sont très bien intégrés et participent chaque jour un peu plus à la vie locale. D’autres attendent toujours de retourner dans leur pays d’origine.

La présence française à Djibouti

L’indépendance de Djibouti, en 1977, n’a pas coupé tous les liens avec la France, l’ancien pays colonisateur. Les relations demeurent fortes sur le plan culturel, économique, politique et militaire. Environ 1 500 militaires français sont en poste à Djibouti (2020), auxquels il faut ajouter leurs familles. La présence des forces françaises sur le territoire djiboutien est encadrée par le Traité de coopération en matière de défense signé le 21 décembre 2011 entre les deux pays. Il s’agit d’une présence tournante. Tous les trois ans, l’effectif est renouvelé. La surveillance du trafic maritime et la lutte anti-terroriste dans la mer Rouge, le golfe d'Aden et l'océan Indien aux côtés des forces de l'Otan constituent aujourd’hui les principales missions des Forces françaises à Djibouti (FFDJ). Outre les Français et les Américains (près de 4 000 militaires), sont aussi stationnés ici des Allemands, des Espagnols, des Italiens, des Japonais et des Chinois.