Une littérature d’expatriés…

Si le Botswana mérite son surnom de « Suisse de l’Afrique » pour la sérénité de sa gouvernance, sa situation géographique et démographique rappelle également l’Helvétie. Sans accès à la mer et faiblement peuplé au regard du désert du Kalahari qui compose une bonne partie de son territoire, le pays ne dépasse guère les 2,5 millions d’habitants. Autant de locuteurs qui pour la plupart usent du tswana comme idiome de prédilection, bien que l’anglais soit langue officielle. C’est celle-ci que choisira Bessie Head quand elle se lancera en littérature, au terme d’une vie difficile qui l’amènera à trouver refuge au Botswana. Née en Afrique du Sud en 1937, elle est le fruit des amours illégitimes d’une femme riche et blanche et d’un serviteur noir. Bien que l’apartheid ne soit pas encore officialisé, règnent déjà les lois de ségrégation qui interdisent les unions mixtes. Il est dit alors que sa mère sera éloignée de son milieu sous un prétexte fallacieux, et que Bessie Head verra le jour dans un hôpital psychiatrique. Adulte, devenue enseignante, elle commence à publier dans le fameux magazine Drum, mais son implication politique au sein du Pan Africanist Congress l’incitera en 1964 à s’exiler au Botswana où elle demande la nationalité, ce qu’elle n’obtiendra que quinze ans plus tard, soit à peine dix ans avant qu’elle ne décède prématurément de maladie alors que son travail commençait tout juste à être reconnu. Grâce au remarquable travail de traduction entrepris par la belle maison d’éditions suisse Zoé, il nous est à ce jour possible de découvrir son plus fameux roman, Marou, dont l’héroïne est une Marsarwa du Botswana en proie aux discriminations que subit sa tribu.

C’est son pays d’adoption qui inspire également à Norman Rush, né à Oakland en 1933, quelques-unes de ses plus belles pages. Depuis son plus jeune âge fou de littérature, il sera tour à tour vendeur de livres anciens et professeur, l’année 1978 le découvre à la tête des Peace Corps – agence indépendante américaine qui œuvre pour la paix entre les peuples – au Botswana, et alors il se met à croquer avec un certain mordant les expatriés dans un recueil de nouvelles très explicitement intitulé Les Blancs. Terminé en 1986 et couronné par le prix Pulitzer, cet ouvrage est proposé en traduction par les éditions Fayard. Dans une fabuleuse galerie de portraits, le lecteur y rencontre tout autant des sociologues désappointés par leur expérience africaine que des fonctionnaires et autres missionnaires venus prêcher la bonne parole en total décalage avec la réalité du terrain.

Norman Rush récidivera et prendra à nouveau le Botswana comme décor pour deux romans : Accouplement, salué par le National Book en 1991, et De simples mortels publié en 2003. Dans le premier, une anthropologue va confronter à la réalité son fantasme concernant un intellectuel parti fonder une société utopiste au cœur du désert du Kalahari, dans le second un agent de la CIA peine à concilier les missions qui lui sont confiées, notamment celle de surveiller un Tswana socialiste, et la passion empreinte de jalousie qu’il ressent pour sa femme.

Pas d’agent secret dans les romans d’Alexander McCall Smith, mais une détective privée atypique et attachante, qui est surtout un joli prétexte pour découvrir de l’intérieur le Botswana, un pays que connaît très bien l’auteur, lui qui au gré de sa vie oscillera entre le continent qui l’a vu naître en 1948 et l’Écosse dont est originaire sa famille. Élevé à Bulawayo, il enseignera au début des années 1980 à Gaborone, une expérience visiblement marquante puisqu’en 1998 il se lancera en écriture en publiant Mma Ramotswe détective, un premier tome inaugural d’une série mondialement célébrée qui se retrouve en français dans la mythique collection « Grands détectives » des éditions 10-18. Precious Ramotswe, une quadragénaire séparée d’un ex-compagnon violent, a décidé de créer dans la petite ville de Tlokweng l’Agence n° 1 des dames détectives du Botswana, la première du pays ! Se fiant plus à ses intuitions et à son sens des relations humaines qu’aux indices tangibles, la jeune femme va enchaîner les succès, dressant une fresque intime du Botswana et s’autorisant par ailleurs une nouvelle histoire d’amour, bien plus romantique. Alexander McCall Smith écrira une vingtaine d’aventures botswanaises avant de se tourner vers de nouveaux horizons. La réception de sa saga est telle qu’elle a été traduite dans plus de trente langues et fait le bonheur de lecteurs du monde entier.

… et une littérature de natifs

Peut-être encore un peu timide, ou ne bénéficiant par des faveurs d’une publicité qui ferait fi des frontières du pays, la littérature écrite par des Botswanais existe néanmoins, comme le prouvent les écrits de Unity Dow. Fortement impliquée dans la vie politique de son pays et militante investie dans la lutte pour les droits des femmes, son roman Les Cris de l’innocente publié chez Actes Sud en 2006 met en scène Amantle, une enquêtrice au fort tempérament qui va tout faire pour que la mort de la petite Neo, trop facilement imputée aux errances d’un lion, soit élucidée. Bien que la France l’ait honorée de l’ordre national de la Légion d’honneur en juillet 2010, il est à déplorer que ce roman – qui est d’ailleurs malheureusement épuisé – soit le seul à avoir été traduit alors que Unity Dow en a publié cinq, notamment en 2010 Saturday Is for Funerals aux éditions anglaise Harvard University Press, qui a été unanimement salué par la critique internationale puis distingué à plusieurs reprises aux États-Unis.

Qui voudra entendre les nouvelles voix de la littérature botswanaise n’aura donc pour autre choix que de pratiquer son anglais, par exemple en se procurant un exemplaire de Goodbye to Power ou de Love on the Rocks d’Andrew Sesinyi, né en 1952, ou en creusant l’œuvre de Moteane Melam, professeur d’université, qui aura publié tour à tour en Afrique du Sud (Living and Partly Living en 1996), aux États-Unis (Children of the Twilight Zone en 1999) et au Botswana (Baptism of Fire and Others Stories, 2010). Une autre façon de humer l’air du temps en matière de littérature contemporaine est de s’offrir quelques pérégrinations sur la Toile, et c’est d’ailleurs sur Internet que Siyanda Mohutsiwa, née en 1993, s’est fait connaître en lançant un hashtag qui est devenu viral. Désormais écrivaine et conférencière, elle représente une nouvelle génération qui demande à se faire entendre.